6 oeuvres pour comprendre le Rwanda d’hier à aujourd’hui
D’avril à juillet 1994, en seulement 100 jours, le gé‐ nocide le plus rapide de l’histoire aura coûté la vie à 800 000 Tutsis, marquant à jamais la mémoire du Rwanda. À travers le prisme de la fiction ou au fil de témoignages et d’his‐ toires vécues, du point de vue tutsi ou à travers des voix hutues, de nombreux ouvrages et oeuvres ont été consacrés à cette doulou‐ reuse page du 20e siècle. D’autres encore, font valoir le chemin parcouru depuis le génocide des Tutsis, por‐ tant un regard plus actuel sur le pays des mille col‐ lines. Aux origines du géno‐ cide en un roman
On associe habituelle‐ ment le déclenchement du génocide à l’attentat du 6 avril 1994, lorsque l’avion transportant le président du Rwanda, Juvénal Habyari‐ mana, et celui du Burundi, Cyprien Ntaryamira, est abattu. Mais les causes des rivalités ethniques entre Hu‐ tus et Tutsis sont plus pro‐ fondes, et leurs origines, plus lointaines.
Avant la proclamation de l'indépendance du Rwanda en 1962, la présence colo‐ niale allemande puis belge applique la maxime diviser pour mieux régner, allant jus‐ qu’à créer une carte d’iden‐ tité spécifiant l’origine eth‐ nique des Rwandais, selon qu’ils appartiennent à l’ethnie majoritaire, celle des Hutus, ou minoritaire, celle des Tut‐ sis.
Ces rivalités sont racon‐ tées dans le roman NotreDame du Nil de l’autrice d’ori‐ gine tutsie Scholastique Mu‐ kasonga. Dans ce récit, la ro‐ mancière s’inspire de sa propre vie et situe l’intrigue au début des années 1970, dans un lycée pour jeunes filles destinées à devenir l’élite du pays.
Dans ces montagnes, à 2500 mètres d’altitude, on est bien loin de Kigali, la capitale rwandaise. Bien loin aussi du 6 avril 1994. Pourtant, les ri‐ valités sont déjà présentes.
C’est cela le quota : vingt élèves, deux Tutsi et, à cause de cela, j’ai des amies, des vraies Rwandaises du peuple majoritaire, du peuple de la houe, qui n’ont pas eu de places en secondaire. Comme mon père le répète, il faudra bien nous débarras‐ ser un jour de ces quotas, c’est une histoire de Belges!
Extrait du roman NotreDame du Nil de Scholastique Mukasonga
Auréolé de plusieurs prix littéraires, dont le prestigieux prix Renaudot en 2012, le ro‐ man a également été adapté au cinéma par le romancier et réalisateur franco-afghan Atiq Rahimi.
Livrer sa vérité en deux essais
Du côté des essais, les ou‐ vrages abondent. De nom‐ breux survivants tutsis ont partagé leurs parcours et les conditions dans lesquelles ils ont assisté, impuissants, aux massacres de 1994.
Parmi ces voix, celle de Beata Umubyeyi Mairesse a longtemps gravité autour de l’histoire de son pays à tra‐ vers la fiction. On lui doit des romans, des nouvelles et des recueils de poésie, dont le tout récent Culbuter le mal‐ heur, publié aux éditions Mé‐ moire d’encrier.
Mais en 2024, dans Le convoi, l’autrice brave ses doutes et s’autorise à livrer sa propre histoire. Narrant la manière dont un convoi hu‐ manitaire suisse lui a sauvé la vie, elle dissèque aussi la folie qui s’est emparée des génocidaires 30 ans aupara‐ vant.
C’est lui qui nous explique que les tueurs, paysans, ou‐ vriers, hommes de labeur la veille, disent désormais qu’ils vont "travailler" lorsqu’ils partent tuer, et non pas seulement tuer comme on exécute une tâche, mais tor‐ turer, avilir, martyriser avec un degré d’inventivité ma‐ cabre inouï.
Extrait du récit Le convoi de Beata Umubyeyi Mairesse
Cette notion de travail s’invite aussi dans les pages de l’essai Une saison de ma‐ chettes du journaliste et écri‐ vain français Jean Hatzfeld. Ce dernier donne la parole aux assassins, documentant l’inconcevable ouvrage de ces hommes ordinaires, agricul‐ teurs pour la plupart.
Interrogés par le journa‐ liste en 2003, les génoci‐ daires abordent sans am‐ bages différents sujets, de la haine des Tutsis à l’organisa‐ tion des meurtres, en pas‐ sant par les remords, les re‐ grets et le pardon.
Dans un autre essai, Là où tout se tait, Jean Hatzfeld donne aussi la parole aux Hutus, mais cette fois aux Justes, ceux qui se sont op‐ posés, souvent au péril de leur vie, aux massacres des Tutsis.
Fuir pour survivre en une bande dessinée
La fin du génocide ne sonne pas le glas des souf‐ frances. En juillet 1994, lorsque le Front patriotique rwandais (FPR) prend le contrôle du pays, les repré‐ sailles ciblent les Hutus. C’est dans ce contexte que la pe‐ tite Alice, alors âgée de 5 ans, fuit le Rwanda, accompagnée de ses parents et de ses soeurs.
La bande dessinée Le grand voyage d'Alice de Gas‐ pard Talmasse raconte cet exode à pied sur près de 2000 km, à travers ce qui constitue alors le Zaïre.
L’auteur présente l’histoire vraie d’Alice, en adoptant son point de vue d’enfant. Comme elle et sa famille, fuyant l’avancée du FPR, un million de Hutus passent la frontière du Zaïre (actuelle République démocratique du Congo) : parmi eux de nom‐ breux génocidaires, des mili‐ taires des [Forces armées rwandaises] avec toutes leurs armes, mais aussi des civils - dont des enfants - pris entre deux feux, contextua‐ lise la bande dessinée avant de dérouler le périple du per‐ sonnage principal.
Dans cette épreuve trop lourde pour une enfant, le lecteur est témoin des périls endurés par Alice pour sur‐ vivre dans un environnement hostile, de la violence à la maladie, en passant par la solitude et l’espoir de la jeune fille de retrouver une famille disloquée.
Gaspard Talmasse com‐ plète sa bande dessinée bio‐ graphique en incluant une entrevue avec la mère d’Alice, une façon d’ajouter du contexte politique et de com‐ penser les omissions involon‐ taires d’un récit d’enfant.
Effets en un film transfrontaliers
Ignorée alors par la com‐ munauté internationale, la si‐ tuation au Rwanda dans les années 1990 a aussi des ef‐ fets collatéraux dans des pays voisins, comme le Bu‐ rundi. C’est ce petit pays qui donne son nom au film d'Éric Barbier, disponible sur ICI Tou.tv Extra.
Adapté du premier roman du même nom de Gaël Faye, le film livre aussi le récit des rivalités ethniques à travers le regard d’un enfant, le petit Gaby, fils d’une Rwandaise tutsie et d’un père français.
Récipiendaire en 2016 du prix Goncourt des lycéens, le roman inspiré de l’enfance de Gaël Faye s’ouvre sur ce dia‐ logue entre un père et son fils :
- La guerre entre les Tutsi et les Hutu, c’est parce qu’ils n’ont pas le même territoire? - Non, ça n'est pas ça, ils ont le même pays. - Alors… ils n’ont pas la même langue? Si, ils parlent la même langue. - Alors, ils n’ont pas le même dieu? - Si, ils ont le même dieu. - Alors… pour‐ quoi se font-ils la guerre? Parce qu’ils n’ont pas le même nez.
La discussion s’était arrê‐ tée là. C’était quand même étrange cette affaire. Je crois que Papa non plus n’y com‐ prenait pas grand-chose.
Extrait du roman Petit pays de Gaël Faye
Fidèle à la trame du ro‐ man, le film s’achève sur la chanson Petit pays, que l’on doit également à Gaël Faye.
L’artiste et rappeur francorwandais y fait une déclara‐ tion d’amour à ce petit pays qu’il fallait reconstruire [...] sur des ossements, mais qui [veut] vivre malgré les cau‐ chemars qui [le] hantent.
Un petit pays qui a tout d’un grand en un documen‐ taire
Pour un regard plus ac‐ tuel sur le Rwanda, quelle meilleure perspective que celle de sa jeunesse? C’est ce que propose l’un des dix épi‐ sodes de la série documen‐ taire Demain l’Afrique.
Produite par TV5 et dispo‐ nible gratuitement sur TV5Unis, d’après une idée originale du réalisateur et animateur Raed Hammoud, cette série documentaire part à la rencontre de jeunes de dix pays africains, incluant le Rwanda.
Comment un petit pays qui survit à un génocide [...] devient, en l’espace de 30 ans, le petit Singapour de l’Afrique?, se demande Raed Hammoud dans cet épisode.
Le documentaire présente entre autres l'innovation technologique d’une entre‐ prise de drones, qui ache‐ mine par voie aérienne des solutions médicales.
Pionnier en matière de santé, le pays des mille col‐ lines est également présenté comme un modèle en ma‐ tière d’environnement, de propreté, d’éducation et de sécurité.