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Des défis herculéens pour la relève agricole

- David Savoie

Les agriculteu­rs du Québec font face à plusieurs diffi‐ cultés ces temps-ci. Cer‐ taines sont liées à l'écono‐ mie, d'autres à l'environne‐ ment ou au climat, mais pour la relève agricole, celles et ceux qui veulent reprendre la ferme fami‐ liale ou qui veulent démar‐ rer leur entreprise, ces dé‐ fis sont décuplés.

Par une froide journée de printemps, Miguel Lord nous guide à l’intérieur de la ferme Lorami, située à Henryville, en Montérégie. Le jeune homme est la cinquième gé‐ nération de sa famille à pro‐ duire du lait ici.

Entre les quatre murs de la bâtisse, une soixantain­e de vaches se trouvent dans un grand parc; au milieu, un ro‐ bot assure la traite - un inves‐ tissement du jeune produc‐ teur pour qu'il puisse consa‐ crer du temps à autre chose.

L’agricultur­e a toujours fait partir de sa vie. Quand j’étais jeune, je me rappelle de manger dans le tracteur avec mon grand-père, dit-il.

Il connaît si bien le do‐ maine, qu’il n’a jamais vrai‐ ment envisagé autre chose. Je ne me suis jamais posé de questions, en fait, j’ai tou‐ jours aimé ça!, ajoute-t-il avec un petit rire.

Miguel Lord a entrepris des démarches pour re‐ prendre la ferme familiale.

Même si la production lai‐ tière est un secteur soumis à la gestion de l’offre - et donc aux revenus un peu plus pro‐ tégés que d’autres secteurs il n’en reste pas moins que les temps sont difficiles. Au nombre des obstacles : beau‐ coup de paperasse, la hausse des taux d’intérêt, des pro‐ grammes de soutien mal adaptés et les changement­s climatique­s.

Les effets de la récolte dé‐ sastreuse de l’année der‐ nière, par exemple, se font encore sentir : ses vaches produisent moins de lait puisqu'elles consomment du maïs de moins bonne qualité, ce qui force le jeune agricul‐ teur à compenser en ache‐ tant d’autres produits.

Ça représente des coûts de plus pour nous autres et tout ça, ce n’est pas assuré, dit-il.

L’été dernier, il a accepté un prêt d’urgence de 50 000 $ destiné aux agriculteu­rs de la relève.

Des fois, on répare des choses avec de la broche. De la broche, ça ne tient pas longtemps. On a eu le 50 000 $, mais comme je dis, "c’est de la broche", c’est pour es‐ sayer de rafistoler quelque chose pendant un temps. Et c’est un prêt, donc, il va falloir le rembourser. C’est de pelle‐ ter le problème par en avant, explique le jeune agriculteu­r.

Nous, tout ce qu’on de‐ mande, c’est de vivre de notre métier. On ne veut pas pomper les caisses de l’État, on veut juste vivre de nos ré‐ coltes.

Miguel Lord, agriculteu­r de la relève

Au cours des dernières se‐ maines, la Financière agricole a contacté 2000 entreprise­s agricoles de la province aux prises avec des difficulté­s fi‐ nancières, soit 10 % des fermes qu’elle sert, pour leur expliquer les formes de sou‐ tien offert. De ce nombre, 700 étaient des entreprise­s de la relève.

Politique, relève et bre‐ bis

Il suffit que David Beau‐ vais sorte de la moulée pour que les moutons trépignent et bêlent à tue-tête.

Le président de la Fédéra‐ tion de la relève agricole du Québec (FRAQ) a choisi de se lancer dans la production ovine il y a cinq ans.

Il produisait auparavant du lait de brebis, mais il a choisi de se tourner vers la production de viande pour l’instant, puisque c’est plus facile à gérer avec son ho‐ raire bien chargé.

Les budgets serrés, en re‐ lève agricole, il connaît : il cu‐ mule un autre emploi à l’ex‐ térieur de sa ferme pour pouvoir arriver.

Tu travailles à l’extérieur, pour être capable d’amener du revenu. Mais quand tu travailles à l’extérieur, c’est facile de perdre son entre‐ prise. Si tu vas travailler et qu’il y a un agnelage [une naissance] qui se passe [...] qu’il y a une mortalité, ou une brebis qui tombe ma‐ lade, là, tu viens de perdre deux jours de travail en re‐ venu… C’est tout ça qui n’est pas évident, explique le pré‐ sident de la FRAQ.

Il est loin d’être le seul dans cette situation. Selon un sondage mené par l’Union des producteur­s agricoles (UPA) en 2021, près de la moitié des agriculteu­rs de la relève occupent un emploi à l’extérieur de la ferme. Dans le cas des entreprise­s en dé‐ marrage, c’est encore plus élevé.

Ironie du sort, les agricul‐ teurs qui travaillen­t à l’exté‐ rieur sont souvent pénalisés par rapport aux montants qu’ils peuvent recevoir.

Dans le contexte actuel, la FRAQ a une demande pour le gouverneme­nt : une protec‐ tion du taux d’intérêt pour trois ans, par exemple à 3 %, ça donnerait un souffle à tout le monde pour les pro‐ chaines années, puis on ose espérer que ça redescende, explique David Beauvais.

Cette solution serait assez facile à administre­r, selon lui.

D’autres solutions?

Professeur au Départe‐ ment d’économie agroali‐ mentaire de la Faculté des sciences de l'agricultur­e et de l'alimentati­on, à l’Université

Laval, Patrick Mundler a ré‐ fléchi à d’autres idées sus‐ ceptibles d’aider la relève agricole. M. Mundler connaît bien la question, il se spécia‐ lise dans le développem­ent rural.

Pour l’accès aux terres, par exemple, il propose d'en‐ visager des hypothèque­s beaucoup plus longues.

On a un peu de difficulté à voir ça au Québec, où l'on considère que l’agriculteu­r doit payer sa terre pendant sa carrière. À la différence d’un tracteur, qu’on a acheté neuf, mais qu’on revend d’oc‐ casion [et qu'] il est foutu, la terre, elle, sera là à la fin de la carrière. Elle vaudra plus cher qu’au début, à coup sûr, assure Patrick Mundler.

En Suisse, notamment, des hypothèque­s à très longue durée existent et un système légal facilite aussi la location de terres pour l’agri‐ culture.

Autre solution : mettre en oeuvre un système de retraite pour les agriculteu­rs, pour que la ferme familiale ne soit pas le seul fonds de retraite des travailleu­rs.

Mais tous les pays du monde, pays en développe‐ ment ou pays industrial­isés, sont confrontés aux pro‐ blèmes de la relève agricole, conclut l’économiste.

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