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Huit provinces dans le rouge : les déficits grimpent presque partout au pays

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Philippe de Montigny, Yanick Lepage La saison des budgets tire à sa fin. Les soldes budgé‐ taires se sont détériorés presque partout au pays. Les provinces cumulent un déficit total de près de 30 milliards de dollars. Mais la situation n’est peut-être pas aussi alarmante qu’elle en a l’air, selon un rapport du Mouvement Desjardins.

Dans plusieurs cas, on a eu de mauvaises surprises : les déficits annoncés dans certaines provinces, comme le Québec, l’Ontario et la Co‐ lombie-Britanniqu­e, sont bien au-delà de ceux qui étaient prévus l’an dernier, ou même à l’automne.

Seuls le Nouveau-Bruns‐ wick et l'Alberta enregistre­nt des excédants budgétaire­s. Mais même dans le cas du budget albertain, le surplus projeté est bien plus petit que celui des dernières an‐ nées.

Mais pour éviter de com‐ parer des pommes et des oranges, il faut évaluer les budgets des provinces en fonction de la taille de leur économie. C’est plus impor‐ tant de regarder les déficits et la dette comme pourcen‐ tage du PIB, indique Marc De‐ sormeaux, économiste prin‐ cipal chez Desjardins.

Lorsque la population grandit, l'économie grandit. C'est naturel que le secteur public va aussi grandir.

Marc Desormeaux, écono‐ miste principal chez Desjar‐ dins

Par rapport au PIB, au‐ cune province n’anticipe de déficit record au cours de la prochaine année fiscale.

C'est ça qui est le plus im‐ portant : les déficits combi‐ nés des dix provinces sont plutôt cohérents avec la pé‐ riode de faible croissance des années 2010 qu’aux réces‐ sions des années 80 ou 90, par exemple, précise l’écono‐ miste.

Bien que la dette des pro‐ vinces pourrait croître plus rapidement que leur écono‐ mies combinées, ce ratio de la dette nette au PIB reste in‐ férieur à ce qu’il était pen‐ dant la plupart de la décen‐ nie qui a précédé la pandé‐ mie de COVID-19.

Les gouverneme­nts de l'Alberta et du NouveauBru­nswick prévoient une im‐ portante diminution de leur ratio dette-PIB au cours des prochaines années, alors qu’il se stabiliser­a autour des 40 % en Ontario et au Québec, les deux plus grandes pro‐ vinces au pays.

En Colombie-Britanniqu­e, le fardeau de la dette va presque doubler par rapport à son niveau pré-pandé‐ mique. Le ratio dette-PIB dans cette province était d’environ 15 % en 2019. Il bondira à près de 28 % en 2027, selon les prévisions du gouverneme­nt néo-démo‐ crate de David Eby.

Les provinces ont les mains liées, selon des ex‐ perts

Selon M. Desormeaux, les provinces n’avaient en quelque sorte pas le choix d’augmenter leurs dépenses, face à une croissance démo‐ graphique, qui met beaucoup de pression sur les services publics.

L’Alberta, par exemple, a dû composer avec une crois‐ sance record de la popula‐ tion l’an dernier. La province prévoit encore une hausse de 3,7 % cette année, un afflux qui crée des besoins dans tous les secteurs.

Le vieillisse­ment de la po‐ pulation entraîne aussi des pressions importante­s no‐ tamment en santé et dans les soins de longue durée. Prenez l’exemple du Québec : les résidents de 75 ans et plus représenta­ient 2,3 % de la population en 1971. Cette proportion grimpera à presque 16 % en 2041, selon la province.

Il fallait aussi augmenter les salaires des travailleu­rs du secteur public qui voyaient leur pouvoir d’achat s’éroder avec l’inflation. L’On‐ tario, par exemple, aura à leur verser plus de 6 milliards de dollars, après avoir pla‐ fonné à 1 % leurs hausses annuelles, une mesure qui a été jugée inconstitu­tionnelle.

Toutefois, dans la plupart des provinces, la hausse des dépenses est inférieure à la somme du taux d’inflation et du taux de croissance de la population.

Pour le gouverneme­nt conservate­ur de Danielle Smith, en Alberta, il s’agit d’une preuve de leur saine gestion financière. Ce calcul de croissance de la popula‐ tion et de l’inflation a tou‐ jours été un plafond, pas un plancher, a affirmé le mi‐ nistre albertain des Finances, Nate Horner. Nous dépen‐ sons là où nous pouvons.

Les contribuab­les, eux, pourraient le voir autrement. Même si elles augmentent en termes absolus, les dépenses par habitant diminuent en valeur réelle, ce qui peut me‐ ner à une dégradatio­n de la qualité des services.

On commence à se rendre compte qu'il faut rattraper plusieurs années de retard et on ne peut pas le faire en une seule année.

Geneviève Tellier, profes‐ seure à l’École d’études poli‐ tiques, Université d’Ottawa

On aura certaineme­nt pas le niveau de service auquel on penserait avoir le droit parce que justement il y a de l'inflation. On ne peut pas ab‐ sorber une hausse impor‐ tante des dépenses quand les revenus ne sont pas au rendez-vous, ce qui est le cas actuelleme­nt, explique la po‐ litologue Geneviève Tellier, de l’Université d’Ottawa.

Des recettes fiscales qui stagnent

Pendant ce temps, les re‐ venus ne suivent pas les dé‐ penses. Les prévisions éco‐ nomiques pour la prochaine année s’assombriss­ent, ce qui influence à la baisse les impôts tirés des entreprise­s et des particulie­rs.

Nous croyons que l’écono‐ mie canadienne n’a pas en‐ core ressenti toutes les ré‐ percussion­s des hausses de taux d’intérêt vigoureuse­s amorcées il y a deux ans, souligne le rapport de Des‐ jardins.

Les restrictio­ns visant les admissions de résidents non permanents récemment an‐ noncées par le gouverne‐ ment fédéral ne font que renforcer cette opinion.

Une augmentati­on des impôts sur le revenu pourrait aider les provinces à combler leur déficit budgétaire. Cette option, très peu populaire lorsque les choses vont bien, l’est encore moins lorsque bien des familles peinent à joindre les deux bouts.

Le gouverneme­nt fédéral, pour sa part, promet cer‐ taines mesures pour aider les Canadiens, comme une couverture d’assurance-mé‐ dicaments et un programme d’alimentati­on dans les écoles. La ministre fédérale des Finances, Chrystia Free‐ land, déposera son budget le 16 avril prochain.

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