Radio-Canada Info

Les micro-organismes au secours des agriculteu­rs

- Catherine Mercier

Dans la porcherie d’Alexandre Caron et de Nathalie Paquet, à L’Islet, dans Chaudière-Appa‐ laches, des cochons lèvent le groin au ciel. Ils ont re‐ connu le signal de leur douche quotidienn­e. Pen‐ dant quelques minutes, de petites buses fixées au pla‐ fond pulvérisen­t un liquide incolore.

À quelques kilomètres de là, à Saint-Pierre-de-la-Ri‐ vière-du-Sud, Frédérick Blais, un producteur laitier, par‐ court l’enclos de ses vaches, équipé d’un pulvérisat­eur dorsal. Il asperge la litière souillée par les déjections des animaux.

Dans les deux cas, le li‐ quide a un effet étonnant : les odeurs émanant des bâti‐ ments sont grandement atté‐ nuées.

Ça sent beaucoup moins fort dans les ventilateu­rs, [...] ça sent moins fort aussi à l'épandage. Étant donné que la ferme est proche de la maison, on est juste contents, confie Nathalie Pa‐ quet.

À la ferme de Frédérick Blais, l’agronome Félix Gobeil s’agenouille dans le parc des veaux. Il gratte la surface de la litière et en saisit une poi‐ gnée, qu’il porte à ses na‐ rines. C’est gorgé d’urine et ça ne sent rien!

C’est lui qui a recom‐ mandé aux éleveurs d’ajouter des pulvérisat­ions à leur rou‐ tine.

Mais qu’y a-t-il, au juste, dans le liquide vaporisé dans ces fermes d’élevage?

Faire entrer dans la ferme la forêt

Pour mieux illustrer de quoi il s’agit, Félix Gobeil nous donne rendez-vous dans un boisé au bout d’un champ.

L’agronome âgé de 29 ans gratte la litière de feuilles mortes au pied d’un grand érable. Ce qu’il récolte, sur ces feuilles humides et déjà bien décomposée­s, ce sont des bactéries, des levures, des champignon­s et d’autres micro-organismes présents naturellem­ent dans l’environ‐ nement. Invisibles à l'oeil nu, ils forment la base de l’éco‐ système.

C'est grâce à eux qu'on n'est pas ensevelis sous deux mètres de feuilles mortes, dit-il en souriant.

Dans une forêt, les élé‐ ments nutritifs provenant des débris végétaux et des excréments d’animaux sont sans cesse recyclés et les arbres cumulent une bio‐ masse impression­nante, sans aucune interventi­on hu‐ maine.

La forêt est un système naturel qui est autonome. Personne ne va fertiliser, per‐ sonne ne va arroser la forêt. Rares sont les maladies qui vont s'y implanter.

Félix Gobeil, agronome Dans le sol, à l’abri des re‐ gards, des bactéries ont la ca‐ pacité de capter l'azote de l'air, azote qui pourra ensuite être utilisé par les végétaux.

D’autres micro-orga‐ nismes arrivent à solubilise­r le phosphore et le potassium qui se trouvent dans le sol, rendant ces éléments acces‐ sibles aux plantes. Tout un village de micro-organismes travaille ici dans l’ombre.

L'idée, c'est de venir récol‐ ter ces micro-organismes-là, puis de les intégrer dans notre système agricole, ex‐ plique Félix Gobeil.

Une approche venue de loin

Récolter les micro-orga‐ nismes de la forêt pour en‐ suite exploiter leur potentiel à la ferme peut sembler com‐ plètement farfelu. Pourtant, cette technique a été inven‐ tée en Corée du Sud il y a plus de 50 ans et elle est au‐ jourd’hui utilisée dans des di‐ zaines de pays, surtout dans les régions tropicales.

Dans les années 1960, Cho Hankyu, un fils d’agricul‐ teur, voyait les fermiers de son pays devenir de plus en plus dépendants des engrais chimiques et des pesticides. Il a donc mis au point une méthode qui allait permettre aux producteur­s agricoles de fabriquer leurs propres in‐ trants, avec des ingrédient­s récoltés à la ferme.

Cette méthode est connue sous le nom d’ agri‐ culture naturelle coréenne, ou KNF (pour Korean natural farming).

Pour recueillir les microorgan­ismes, Cho Hankyu se servait d’une boîte de riz po‐ sée en forêt. C’est aussi ce qu’utilise Alexandre Caron.

Le fond de la boîte, fait d'une moustiquai­re, permet aux micro-organismes de le traverser et d’aller coloniser la céréale. Je suis allé porter deux petites boîtes de riz dans mon érablière. [Après une semaine], on a récolté ce riz-là, qui était vraiment ino‐ culé de petites mousses, de couleurs, de vert, de rose, de jaune…

Ramasser directemen­t la litière de feuilles mortes est une autre façon de prélever des micro-organismes.

Pour éviter de devoir ré‐ colter à répétition en forêt, Cho Hankyu a eu l’idée de faire fermenter ces êtres mi‐ croscopiqu­es avec du sucre et un substrat, comme du son de blé, histoire de les multiplier.

Chez Alexandre Caron, la solution mère de micro-orga‐ nismes est dans un grand ba‐ ril bleu à l’entrée de la por‐ cherie.

Ça fait un an et demi qu'elle est vivante et qu'elle se comporte très bien, dit-il.

Et au même titre qu’il doit veiller à l’alimentati­on de ses cochons, il doit nourrir ses micro-organismes, avec du sucre notamment. Je viens les nourrir au moins une fois par semaine pour garder en vie tout le microbiote, les le‐ vures, les champignon­s, les bactéries.

Chez Alexandre Caron, le fait d’inoculer des micro-or‐ ganismes dans la litière de paille des porcs a eu un im‐ pact non négligeabl­e sur la charge de travail à la ferme.

Autrefois, le producteur devait nettoyer fréquemmen­t les parcs et changer la litière, qu’il maintenait très mince. Aujourd’hui, ses cochons sont logés sur une épaisse couche de paille, beaucoup plus confortabl­e.

En combinant ça avec des micro-organismes, on s'est rendu compte qu’on n’était plus obligé d'écurer ou de nettoyer aussi souvent pour la sortir, cette litière-là, sou‐ ligne M. Caron. Il y a eu une diminution de la charge d'ou‐ vrage.

La décomposit­ion du fu‐ mier s’amorce directemen­t dans les bâtiments.

Une pratique reconnue

Depuis 2012, le Départe‐ ment de l’agricultur­e des États-Unis reconnaît les sys‐ tèmes sur litière profonde inoculée de micro-orga‐ nismes comme faisant partie des bonnes pratiques d’éle‐ vage, notamment parce qu’ils réduisent les odeurs et qu’ils respectent le bien-être ani‐ mal.

Au Collège d’agricultur­e tropicale de l’Université d'Ha‐ waï, on étudie ces systèmes depuis plusieurs années.

En entrevue téléphoniq­ue, Michael Duponte, conseiller

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada