Louis Riel, souvenirs familiaux et superhéroïnes pour l’artiste métisse Rosalie Favell
Habitée par une quête identitaire continue, l’ar‐ tiste autochtone Rosalie Favell décortique son passé à travers la photographie pour mieux révéler son his‐ toire familiale. Avec Por‐ traits de désir, le Musée des beaux-arts de l’Ontario (AGO) lui consacre une pre‐ mière exposition solo où sont réunies quatre décen‐ nies de création.
L’artiste qui avait 10 ans lorsqu'elle a reçu son pre‐ mier appareil photo raconte souvent que la photographie représente pour elle un véri‐ table espace de perfor‐ mance, où l'identité est constamment travaillée et re‐ travaillée, jusqu’à parfois être dissimulée. Ramener ma fa‐ mille dans le monde vivant est un acte qui peut être imagé et imaginé à travers la photographie, explique Rosa‐ lie Favell.
Née en 1958 à Winnipeg, au Manitoba, l’artiste au‐ jourd’hui installée à Ottawa puise son inspiration dans ses souvenirs de famille et son héritage métis. On dé‐ couvre sa quête pour trouver sa place sur Terre, que ce soit à travers l'apparition de pho‐ tographies de famille, l'adop‐ tion de nouvelles identités ou la refiguration de l'histoire de l'art.
Selon l’artiste, les albums de photos de famille sont une sorte de collection puis‐ qu’elle les utilise pour remo‐ deler en quelque sorte le musée à son image, ac‐ cueillant les visiteurs au coeur de son univers, où les peuples autochtones peuvent exposer leur culture et leur histoire.
Techniques de création variées
L’exposition, accessible jusqu’au 21 avril, présente une sélection de ses proposi‐ tions, dont certaines très évocatrices ne manquent pas d’allusion comme avec son tableau baptisé I Awoke to Find My Spirit Had Returned (Je me suis réveillé et j'ai dé‐ couvert que mon esprit était revenu).
À l'origine un collage de photos, et récemment refait à l'huile sur lin, cette oeuvre phare tirée de la fin du film Le magicien d'Oz présente l’artiste dans le rôle de Doro‐ thy quand elle se réveille pour se rendre compte que tout n'était qu'un rêve.
Au-dessus d'elle, à la place du magicien d'Oz, on recon‐ naît Louis Riel, chef métis élu et fondateur du Manitoba. Le titre de l'oeuvre vient d’ailleurs d'une citation qui lui est souvent attribuée : Mon peuple dormira 100 ans et quand il se réveillera, ce sera l'artiste qui lui rendra son esprit..
Dans ce tableau réalisé en 2018, Rosalie Favell suggère, à l’image de la fictive Doro‐ thy, que tout ce dont nous avons besoin se trouve juste à l’intérieur de nous, que tous les chemins mènent à la maison.
Figures héroïques
Notons que la rétrospec‐ tive qui rassemble clichés, peintures et techniques de collage numérique a été or‐ ganisée par Wanda Nani‐ bush, l’ancienne conserva‐ trice anichinabée de l'art au‐ tochtone au Musée des beaux-arts de l'Ontario. Elle met en lumière, d’une ma‐ nière admirable, la quête photographique aventureuse et identitaire de Rosalie Fa‐ vell.
Pour la conservatrice, l’ar‐ tiste a cherché à travers l'art un moyen d'explorer son identité autochtone, sans être liée par des débats sur l'authenticité ou des stéréo‐ types. Dans une série ulté‐ rieure, Wish You Were Here (2011), Rosalie Favell juxta‐ pose les photographies de sa grand-mère avec ses propres clichés.
Ainsi, elle revisite les voyages de sa grand-mère perpétuant la tradition d'être une femme autochtone de‐ vant et derrière la caméra. J'ai intitulé cette série J'aime‐ rais que tu sois là afin d’expri‐ mer à la fois ses sentiments et les miens à son égard. J'au‐ rais aimé qu'elle soit là, ra‐ contait-elle.
À ce titre, elle n’hésite pas à superposer expériences personnelles, histoires fami‐ liales et culture pop, le tout sous la forme d'un journal in‐ time. L’ex-conservatrice ex‐ plique que dans cette soif de trouver une figure auquel l’artiste pourrait s’identifier, Rosalie Favell a découvert qu’elle devait créer sa propre personnalité héroïque.
Un processus de création qui l'a conduit à imaginer sa série Plain(s) Warrior Artist dans laquelle elle s'insère dans des scénarios, les ren‐ dant à la fois familiers et in‐ édits. Et l’artiste ne s’arrête pas là. Dans Opening New Frontiers (2003) et I Dreamed of Being a Warrior (1999), elle va jusqu’à incarner le person‐ nage fictif du petit écran Xena, la princesse guerrière, faisant ressortir le désir les‐ bien implicite présent dans la production télévisée origi‐ nale.
Révélateur et audacieux, son amour de la photogra‐ phie et du fait d'être photo‐ graphié jette une lumière im‐ portante sur l'identité mé‐ tisse, l'avenir des autoch‐ tones et le désir homosexuel, souligne Mme Nanibush dans une note commentant l'exposition.
C'est à travers sa propre histoire familiale que Rosalie Favell trouve finalement un moyen de comprendre ses propres racines. Sa plus ré‐ cente série Family Legacy (2021) intègre, entre autres, des images fantastiques de science-fiction et des copies de cartes d’identité autoch‐ tones comme une déclara‐ tion sur les droits et la pré‐ sence du peuple métis en terre canadienne.