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Itinérance à Saint-Jérôme : ces « tannants » qui n’ont nulle part où aller

- Charles Séguin

Assis sur le parvis de l’église Sainte-Paule, en plein coeur de Saint-Jé‐ rôme, « cité de possibilit­és », une poignée d’itinérants discutent et profitent du soleil des premiers jours de mars. Certains ont trouvé refuge à la Hutte, le centre d’hébergemen­t fraîche‐ ment construit à quelques pas de là. D’autres vivent sous une bâche ou s’en‐ tassent dans un squat. Ils se partagent des ciga‐ rettes, comme d’habitude, mais, ces derniers temps, ils partagent aussi leur co‐ lère.

Ils grognent contre les res‐ sources mises à leur disposi‐ tion, qu’ils jugent insuffi‐ santes, mais aussi contre le maire Marc Bourcier, dont ils digèrent mal une récente dé‐ cision, qu’ils vivent comme un affront.

Un citoyen voisin de l’église érigeait chaque hiver depuis 2021 un kiosque libreservi­ce de vêtements gratuits sur son terrain. Mais à coups d’amendes salées, Saint-Jé‐ rôme a forcé, fin février, le démantèlem­ent de cet as‐ semblage ingénieux de caisses de lait, baptisé le rack à Yannick.

Même si, quelque temps après, l’auteur de cette initia‐ tive a réinstallé sa garde-robe à ciel ouvert sur un autre ter‐ rain quelques mètres plus loin, l’amertume contre le maire est restée.

À peine 10 jours plus tard, une autre mauvaise nouvelle secouait les gens de la rue : leur plus fidèle aidante, Chantal Dumont, qui les connaît par leur nom, écoute leurs histoires et leur fournit de l’aide d’urgence soir après soir, depuis plus de quatre ans, doit cesser ses activités.

Son financemen­t n’a pas été reconduit par le CISSS des Laurentide­s, qui a reçu pour 11 M$ de demandes de subvention pour des projets en itinérance, mais qui n’avait que 3,8 M$ à accorder. Le projet ne coûtait pourtant que 100 000 $ par année, se‐ lon Mme Dumont.

Suivant ses propres règles, allergique à la pape‐ rasse et ne comptant pas ses heures, Chantal sillonne les rues pour distribuer de la nourriture, des vêtements, de l’équipement de consom‐ mation sécuritair­e et du ré‐ confort. Selon le CISSS, son fi‐ nancement n’a pas été re‐ nouvelé, car les défis que rencontre l’organisme qui la chapeaute ne répondent pas aux critères établis.

C’est terrible, Chantal a sauvé des vies et je suis cer‐ tain que plusieurs personnes n’ont pas perdu leurs membres dans le froid grâce à elle!, s'exclame celui qu’on appelle P-H, engoncé dans une veste de cuir dénichée dans le rack à Yannick.

Assis dans les escaliers de l’église où se sont fait bapti‐ ser ses enfants, qu’il n’a pas vus depuis sa sortie de pri‐ son, il ne cache pas sa décep‐ tion. Il séjourne actuelleme­nt à la Hutte et tente de suivre son programme de théra‐ pies, dans l’espoir de les re‐ voir bientôt.

Sans le rack et sans l’aide de Chantal, je n’ai rien, abso‐ lument rien, lance Isa, l’aînée du groupe, dont le sourire troué vole la vedette au soleil anormaleme­nt radieux. Il y a quelques semaines, elle a perdu sa place à la Hutte, le centre d’hébergemen­t ayant quitté l’église pour ses nou‐ veaux locaux juste à côté. Elle raconte avoir simple‐ ment voulu calmer une ba‐ garre et être barrée de l’en‐ droit depuis.

Sous un vitrail fracassé de l’église maintenant désaffec‐ tée et partiellem­ent placar‐ dée, Isa montre du doigt la fenêtre de la chambre où elle habitait. Les rideaux, c’est moi qui les ai achetés et ins‐ tallés, se rappelle-t-elle. Maintenant, je n’ai que les rues pour dormir.

Il y a toujours ma fille qui pourrait m’aider, mais je ne veux pas être un fardeau pour elle, raconte-t-elle, dépi‐ tée.

Changement de visage

Isa est loin d’être la seule dans cette situation. Des or‐ ganismes d’aide à l’itinérance estiment qu’à Saint-Jérôme, entre 100 et 150 personnes passent la nuit sous les ponts, dans les parcs, dans leur voiture ou sur le canapé d’un ami. Certaines sortent d’un séjour au centre correc‐ tionnel ou du palais de jus‐ tice, d’autres ne parviennen­t pas à mettre la main sur les clés d’un logement.

En octobre 2023, seule‐ ment 0,2 % des logements de Saint-Jérôme étaient inoccu‐ pés, selon les données de la Société canadienne d’hypo‐ thèques et de logement.

Et le visage de l’itinérance a changé depuis la pandé‐ mie. Les organismes voient davantage de femmes, de fa‐ milles et de personnes âgées bénéficier de leurs services.

Pour leur venir en aide, le Plan régional intégré en itiné‐ rance, élaboré par le CISSS des Laurentide­s, prévoit leur offrir un continuum d’héber‐ gement diversifié (urgence, transition, réinsertio­n).

À Saint-Jérôme, on re‐ trouve une douzaine de lits de transition et de réinser‐ tion au centre d’héberge‐ ment pour femmes Le Phé‐ nix et 50 autres à la Hutte.

Cette dernière fait la fierté du maire Marc Bourcier. Pour 210 $ par mois, les per‐ sonnes peuvent s’y poser pendant plusieurs mois, le temps de stabiliser leur situa‐ tion. Des travailleu­rs sociaux, des psychologu­es et d’autres intervenan­ts les accom‐ pagnent dans leurs dé‐ marches de réinsertio­n. Les résidents ont deux règles à respecter : pas de violence et pas de matériel de consom‐ mation à l’intérieur. Les contrevena­nts sont expulsés, mais peuvent revenir plus tard.

Nulle part où aller

Moi, je m’occupe des autres, de ceux qui ne sont pas prêts à se stabiliser du jour au lendemain, explique Chantal Dumont. Les tan‐ nants, ils sont tannants par‐ tout.

Sur tout le territoire de Saint-Jérôme, seulement six lits d’urgence sont dispo‐ nibles. Pour [y] avoir une place, il faut trouver un télé‐ phone et appeler exactement à la bonne heure, parce qu’une minute après, il n’y a plus de place, s’insurge Isa,

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