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30 ans plus tard, quelle justice pour les victimes du génocide au Rwanda?

- Ximena Sampson

Il y a 30 ans, le 7 avril 1994, commençait le génocide au Rwanda. En trois mois, les extrémiste­s hutus ont as‐ sassiné près d’un million de personnes. Trois décennies plus tard, où en est la jus‐ tice?

Marie Lamensch, coordi‐ natrice de projets à l'Institut montréalai­s d'études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia, et Geneviève Pa‐ rent, professeur­e agrégée à l'École d'études de conflits de l'Université Saint-Paul, à Ot‐ tawa, ont répondu à nos questions.

1. Est-ce qu'on peut dire aujourd'hui, 30 ans plus tard, que justice a été ren‐ due? Marie Lamensch :

Il fau‐ drait poser la question aux victimes.

En ce qui concerne les tri‐ bunaux, il y a eu le Tribunal pénal internatio­nal pour le Rwanda (TPIR), où l’on a mis au banc des accusés les prin‐ cipaux responsabl­es du gé‐ nocide, certains dirigeants de l’armée, des milices hutues Interahamw­e, des politicien­s et des membres de la radio des Mille Collines [qui incitait ouvertemen­t au génocide]. Mais il y a des gens qui ont réussi à fuir à l'étranger, dont certains qui ont trouvé re‐ fuge en France. C’est un très long processus.

Ensuite, il y a eu ce qu'on appelle au Rwanda les ga‐ caca. C'est une forme de jus‐ tice locale assez ancienne, qui était utilisée bien avant le génocide pour régler les conflits au sujet des terres ou d'animaux, par exemple. Ce système a été utilisé après le génocide afin d'avoir accès à la vérité, mais aussi pour faire en sorte que les gens ayant commis des crimes, mais qui n'étaient pas des gé‐ néraux ou des personnes haut placées dans l’appareil politique, ait à faire face à une forme de justice.

Dans ces tribunaux, tout le monde se place en cercle autour de l’accusé et de la victime, ou la famille de la victime. L’accusé doit s'excu‐ ser et parler du crime qu'il a commis.

C'est une forme de justice locale qui a assez bien fonc‐ tionné, même s’il y a eu quelques critiques, notam‐ ment quant à savoir si les gens disaient la vérité ou s’ils étaient sous pression.

De 2005 à 2012, près de deux millions de procès ont été organisés par les tribu‐ naux gacaca.

Une des choses les plus horribles dans le génocide rwandais, c'est que des gens comme vous et moi s’ar‐ maient de machettes pour tuer leurs voisins. Une grande partie de la popula‐ tion a participé. Il aurait été difficile de mettre tous ces gens en prison.

Marie Lamensch, coordi‐ natrice de projets à l'Institut montréalai­s d'études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia

Le processus des gacaca a aidé à mettre en lumière des choses qu'on ne savait pas sur la manière dont les crimes étaient commis et a permis d’avancer sur le che‐ min de la réconcilia­tion.

Geneviève Parent Les questions de justice et de ré‐ conciliati­on sont complexes dans un contexte de géno‐ cide intime, c’est-à-dire lorsque les responsabl­es sont des membres de notre famille, nos voisins, nos col‐ lègues de travail, etc.

Un aspect positif des ga‐ caca, c’est qu’un certain nombre de survivants ont pu en savoir plus sur les circons‐ tances entourant le massacre de leurs proches, ce qui peut aider à la guérison.

Par contre, les survivants qui ont dû témoigner n’étaient pas protégés et cer‐ tains d’entre eux ont été inti‐ midés, agressés physique‐ ment et même tués avant ou après leur participat­ion aux tribunaux gacaca. On rap‐ porte aussi des cas d'indivi‐ dus harcelés par des familles

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dont ils ont tué les proches. De nombreux Tutsis ont donc eu peur de participer et de témoigner.

Les Hutus ont également eu peur des tribunaux ga‐ caca, car ils craignaien­t d'être accusés à tort. Il reste aussi un sentiment d’impunité chez les survivants, à cause notamment de sentences lé‐ gères et d'une libération hâ‐ tive des responsabl­es.

Un autre aspect moins po‐ sitif, c’est la politique du par‐ don. Le pardon, lorsqu’on in‐ siste auprès de survivants qui ne sont pas prêts, peut même représente­r une victi‐ misation secondaire.

Il peut y avoir plusieurs raisons de pardonner, mais le pardon appartient à celui qui a souffert et ne doit pas lui être imposé.

Geneviève Parent, profes‐ seure agrégée à l'École d'études de conflits de l'Uni‐ versité Saint-Paul

En outre, la question des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis par le Front patriotiqu­e rwan‐ dais (RPF) [le parti du pré‐ sident rwandais, Paul Ka‐ game] n’a jamais été abor‐ dée. Il y a une version offi‐ cielle et celle-ci est exclusive. La critique envers le RPF n’est pas tolérée.

2. Qu'en est-il de la ré‐ conciliati­on et de la répara‐ tion? Marie Lamensch :

Au Rwanda, il y a énormément de traces du génocide. Il y a des pancartes un peu par‐ tout, il y a des musées à ciel ouvert. Il faut à la fois com‐ mémorer le génocide et es‐

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