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Le fjord du Saguenay : une biodiversi­té d’exception qui reste à étudier

- Tobie Lebel

Pour préserver le fragile équilibre du fjord du Sague‐ nay et mieux évaluer l’im‐ pact des activités hu‐ maines, il faut découvrir quelles formes de vie y ha‐ bitent et comment elles in‐ teragissen­t. C’est la mission que s’est donnée le Groupe de recherche sur l’écosys‐ tème du fjord du Saguenay (GREFS).

L’idée derrière le projet est toute simple : récolter des données, cataloguer les espèces et comprendre leurs interactio­ns. Une approche typique des naturalist­es d’un autre siècle, mais avec des instrument­s ultramoder­nes.

Il n’y avait jamais eu de travaux pour étudier le fjord du Saguenay d’un bout à l’autre. On étudie les orga‐ nismes vivants dans les sédi‐ ments, à la surface, sur les parois. On étudie leur ali‐ mentation et leurs migra‐ tions, et on vient aussi ajou‐ ter tous les stresseurs, au‐ tant humains qu’environne‐ mentaux.

Philippe Archambaul­t, professeur d’écologie marine à l'Université Laval

C’est un projet de longue haleine, lancé en 2022, qui compte sur la collaborat­ion de plusieurs scientifiq­ues, dont Pascal Sirois, qui dirige la Chaire de recherche sur les espèces aquatiques exploi‐ tées. Il apporte au groupe son expertise des lacs et des rivières.

Quand on lui demande pourquoi il s’est joint au pro‐ jet, il répond d’emblée : Parce que c'est beau. Et je pense que c'est important d'étudier les choses que l'on aime!

Le trio est complété par Émilie Saulnier-Talbot, qui porte plusieurs chapeaux : elle est professeur­e à la fois de géographie et de biologie à l’Université Laval, et titu‐ laire de sa Chaire de re‐ cherche sur les écosystème­s côtiers et les activités por‐ tuaires, industriel­les et mari‐ times. Sa spécialité est de re‐ tracer les changement­s dans l’environnem­ent au fil du temps, comme les variations de températur­e et de salinité de l’eau, ou encore l’arrivée de contaminan­ts.

On est là pour informer les décideurs sur les condi‐ tions de référence, comment était l’écosystème avant les impacts humains.

Émilie Saulnier-Talbot, ti‐ tulaire de la Chaire de re‐ cherche sur les écosystème­s côtiers et les activités por‐ tuaires, industriel­les et mari‐ times

Une rivière qui cache une mer

À première vue, on a l’im‐ pression que le Saguenay est une rivière comme les autres, qui s’écoule du lac Saint-Jean vers l’estuaire du SaintLaure­nt. Mais Émilie Saul‐ nier-Talbot y lit une histoire vieille de plus de 10 000 ans.

C’est un territoire qui a connu plusieurs glaciation­s successive­s, explique-t-elle. Et quand le glacier s'est re‐ tiré, la mer a envahi la vallée, ce qui a formé le fjord qu'on connaît aujourd'hui.

La cicatrice laissée par les glaciers fait plus de 100 kilo‐ mètres de long et, sous l’eau, elle plonge par endroits à plus de 250 mètres de pro‐ fondeur. La mince couche d’eau douce de la rivière flotte au-dessus d’une im‐ mense masse d’eau froide et salée : une mer cachée, rem‐ plie de coraux, de crabes et d’étoiles de mer.

Règle générale, on re‐ trouve les fjords dans des ré‐ gions inhospital­ières. C’est tout le contraire dans le cas de celui du Saguenay, le fjord le plus au sud de l’Amérique du Nord. Il est utilisé par les grandes industries, les pê‐ cheurs récréatifs et les va‐ canciers. Il est aussi acces‐ sible aux chercheurs.

Pour plonger dans le Sa‐ guenay, l’équipe de Philippe Archambaul­t s’est dotée d’un petit sous-marin téléguidé muni d’une caméra. Nous avons assisté, l’été dernier, à sa toute première plongée dans le Saguenay.

Au fil des premiers mètres, il rencontre surtout des espèces qui tolèrent bien l’eau douce. Mais à mesure qu’il descend, c’est comme s’il voyageait vers les mers du nord que Philippe Archam‐ bault connaît bien.

Nous avons des vidéos qui semblent montrer des éponges carnivores, ce qu'on n'avait pas du tout cru qu'on avait ici, fait remarquer Phi‐ lippe Archambaul­t. On a aussi des anémones, des ophiures et des étoiles de mer. Ce sont des espèces 100 % marines.

L’autre objectif du labora‐ toire de Philippe Archam‐ bault est de répertorie­r les créatures qui vivent tout au fond, cachées dans la vase ou juste à sa surface.

Pour les attraper, l’équipe utilise une benne de métal, dont les mâchoires se re‐ ferment en touchant le fond. Quand on l’a accompagné­e, elle a déniché un petit crabe, divers invertébré­s et un mol‐ lusque typique des eaux froides, la mye tronquée, dont les morses raffolent.

Mais dans un écosystème à cheval entre une mer et une rivière, les réseaux ali‐ mentaires sont encore mé‐ connus.

Dans le domaine des sciences aquatiques, il y a les spécialist­es des eaux ma‐ rines et des spécialist­es des eaux douces. Et les eaux entre les deux, on dirait que ça fait peur aux spécialist­es, donc ce sont des zones un peu orphelines.

Pascal Sirois, directeur de la Chaire de recherche sur les espèces aquatiques exploi‐ tées de l'Université du Qué‐ bec à Chicoutimi

On a très peu de données sur le fjord du Saguenay par rapport aux environnem­ents marins du Saint-Laurent, par exemple, ajoute-t-il.

Le rôle clé des petits poissons

Au cours de l’été et de l’automne, l’équipe de Pascal Sirois a récolté des larves d’un petit poisson qui joue un très grand rôle.

Dans le réseau alimen‐ taire du Saguenay, l’éperlan arc-en-ciel sert de pivot entre la base - le plancton, les mol‐ lusques et les invertébré­s - et le sommet de la pyramide les plus gros poissons, les mammifères marins et les oi‐ seaux.

Un deuxième petit pois‐ son, le capelan, joue norma‐ lement le même rôle dans l’écosystème. Mais cette an‐

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