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De l’huile sur le feu de l’inflation?

- Gérald Fillion

Le chef conservate­ur Pierre Poilievre accuse le premier ministre Justin Trudeau d’alimenter l’inflation en multiplian­t les annonces prébudgéta­ires depuis deux semaines. Se pour‐ rait-il que le gouverneme­nt fédéral et les administra‐ tions provincial­es, qui ont toutes présenté leur bud‐ get pour le nouvel exercice, nuisent au travail de la Banque du Canada et re‐ tardent la baisse des taux d’intérêt?

Il arrose le feu non pas avec de l’eau, mais avec de l'huile, a dit M. Poilievre en entrevue à La Presse.

Les annonces fédérales totalisent 19 milliards de dol‐ lars dans les dernières se‐ maines, en défense, pour le logement, en intelligen­ce ar‐ tificielle, pour l’alimentati­on en milieu scolaire, en santé mentale et pour les garde‐ ries. Ce sont des investisse‐ ments sur plusieurs années.

Par ailleurs, la plupart des provinces ont annoncé une croissance marquée de leurs dépenses de portefeuil­les et de l’ensemble de leurs dé‐ penses dans les budgets qui ont été dévoilés dans les der‐ nières semaines. La crois‐ sance des dépenses dépasse largement l’inflation.

La Colombie-Britanniqu­e a dévoilé un budget large‐ ment déficitair­e, avec une croissance des dépenses to‐ tales de 8,8 % pour 20242025 par rapport aux prévi‐ sions de l’exercice précédent. L’agence de notation Stan‐ dard & Poor's a même abaissé la cote de crédit de la province, la faisant passer à AA-, avec une perspectiv­e né‐ gative, ce qui indique qu'elle pourrait de nouveau être abaissée. C'est la troisième fois en trois ans que la note de cette province de l'Ouest est abaissée.

Pierre Poilievre a-t-il rai‐ son?

Pour le chef de l’opposi‐ tion officielle à Ottawa, le gouverneme­nt fédéral de‐ vrait plutôt cibler ses inter‐ ventions dans le secteur du logement. Mais pour le reste, selon lui, il doit baisser les impôts et les taxes, et maîtri‐ ser ses dépenses. Autrement, ajoute Pierre Poilievre, le gouverneme­nt ne fait qu’ali‐ menter l’inflation et reporter les baisses de taux, alors que la Banque du Canada affirme que le niveau d’inflation est toujours trop élevé.

A-t-il raison? Oui et non. Ayant intégré les données des budgets des provinces dans son analyse, la Banque du Canada a relevé la contri‐ bution des administra­tions publiques à la croissance prévue du PIB du Canada de 0,6 à 0,7 point de pourcen‐ tage cette année, et de 0,5 à 0,7 point pour 2025. L’argent public supplément­aire vient alimenter davantage la crois‐ sance de l’économie, donc la demande.

D’ailleurs, la Banque du Canada le souligne dans son rapport sur la politique mo‐ nétaire : La croissance des dépenses publiques devrait s’accélérer, passant de 2,5 % dans la deuxième moitié de 2023 à environ 3,5 % dans la première moitié de 2024. Cette croissance est alimen‐ tée par le retour au travail des employés du secteur pu‐ blic québécois [...]. Les me‐ sures annoncées récemment dans les budgets provinciau­x devraient également affermir la demande à compter du deuxième trimestre de 2024.

Cela dit, la banque cen‐ trale révise sa prévision d’in‐ flation à la fin de l’année, la faisant passer de 2,4 à 2,2 %. Donc, malgré une croissance économique un peu plus forte qu’attendu, et malgré une croissance des dépenses publiques, la Banque du Ca‐ nada arrive à la conclusion que l’inflation va baisser de façon un peu plus rapide qu’attendu.

La croissance de l’écono‐ mie viendra surtout de la croissance démographi­que, d’une reprise de la consom‐ mation et d’une hausse des exportatio­ns, avec la mise en exploitati­on du réseau d’oléo‐ ducs Trans Mountain, dans l’ouest du Canada, qui devrait ajouter 0,25 point au PIB.

Tout de même, il faut sou‐ ligner que le gouverneur Macklem a indiqué, à au moins deux reprises dans les derniers mois, que les dé‐ penses gouverneme­ntales pouvaient être inflation‐ nistes. Fin octobre, il disait que si les projection­s de croissance des dépenses gouverneme­ntales se réali‐ saient, il y avait un risque que les dépenses budgé‐ taires croissent plus que l’offre et que cela n’aide en rien à réduire l’inflation.

Puis, en février dernier, il déclarait que si les dépenses publiques réelles à tous les ordres de gouverneme­nt augmentent sensibleme­nt au-dessus de 2 %, il sera alors difficile de ramener l’in‐ flation à 2 %.

Baisse de taux en juin?

Alors, la question à 100 $ : à quel moment la Banque du Canada commencera-t-elle à baisser son taux directeur? À la suite de la décision rendue mercredi matin, les écono‐ mistes croient qu’il y a envi‐ ron 50 % de possibilit­é qu’une baisse de taux se pro‐ duise en juin. Selon la Banque Nationale et Desjar‐ dins, la porte est clairement ouverte pour juin, mais cela pourrait se produire aussi en juillet.

On sent que la banque est plus à l’aise avec l’idée de baisser les taux. Son mes‐ sage n’est pas d’une grande limpidité, mais l’ouverture y est : Bien que l’inflation reste trop élevée et que des risques demeurent, l’inflation mesurée par l’IPC et l’infla‐ tion fondamenta­le ont en‐ core diminué ces derniers mois. Le Conseil sera à l’affût de signes que ce mouvement à la baisse est durable.

Pendant ce temps, aux États-Unis, le taux d’inflation remonte : il est passé de 3,2 % en février à 3,5 % en mars, ce qui laisse croire que la banque centrale va reporter sa première baisse du taux

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