Écouter la voix du peuple pour créer une vraie protection de la jeunesse crie
Les commissaires Lorraine Spencer et Bella Moses Pe‐ tawabano ont écouté pen‐ dant un an les travailleurs de la santé et des services sociaux de même que la population d'Eeyou Istchee, mais le plus difficile reste encore à faire. Elles doivent désormais formuler des re‐ commandations qui jette‐ ront les bases d'une nou‐ velle protection de la jeu‐ nesse crie qui devra prendre en compte à la fois la culture de ce peuple, mais aussi les difficultés de travailler dans des contextes de grande proxi‐ mité.
Le travail que nous allons faire reflétera vraiment ce que les gens avaient à dire, ce sera la voix du peuple. C’est ce que je souhaite vrai‐ ment pour cette commission, lance Bella M. Petawabano, l’une des deux commissaires.
Un service pas adapté
Si le Conseil cri de la santé est responsable des services de protection de la jeunesse et de certains services de jus‐ tice pénale pour les adoles‐ cents, le système ne fonc‐ tionne pas et n’est pas adapté pour plusieurs rai‐ sons, déplorent les deux commissaires.
Lorsque la Loi sur la pro‐ tection de la jeunesse a été mise en oeuvre au Québec en 1979, les Cris n’avaient au‐ cune information sur la loi ni sur ce qu’elle impliquait, se remémore Bella M. Betawa‐ bano. Elle était alors l’une des premières travailleuses de première ligne dans sa communauté, Mistissini.
On nous a juste dit : "voilà la loi, vous l’appliquez et puis c’est comme ça". Il était donc très difficile d’expliquer ça aux gens, indique-t-elle.
De plus, le Conseil cri de la santé et des services so‐ ciaux de la Baie James venait tout juste d’être fondé un an plus tôt. Les valeurs et les traditions cries ont été consi‐ dérées comme essentielles au développement des sys‐ tèmes de prestation de santé et de services sociaux dans l’article 14 de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois de 1975 qui a servi de base à la création du Conseil cri de la santé.
Cependant, la population et les dirigeants n’ont pas eu le temps de réfléchir à cette loi ni à ce qu’elle signifiait en termes de réalité crie. On nous a dit : "c’est la loi, vous l’appliquez", mais au fil des années, nous avons pu constater que cela ne fonc‐ tionnait pas, assure Bella M. Petawabano.
C’est un système qui vient de l’extérieur, qui n’est essen‐ tiellement pas cri. Depuis plus de 40 ans, on essayait de s’adapter au système. Là, on veut faire l’inverse, on veut implanter notre sys‐ tème.
Lorraine Spencer, com‐ missaire
Les consultations sont là pour pouvoir demander au peuple et aux employés du Conseil cri de la santé com‐ ment on peut faire, à quoi ça peut ressembler, poursuitelle en renchérissant : Un système cri pour protéger les enfants, aider les parents, les familles et les communautés.
Retraitée, Bella M. Peta‐ wabano a réfléchi avant d’ac‐ cepter le poste de commis‐ saire. Longtemps représen‐ tante communautaire de Mistissini puis cadre supé‐ rieure et présidente du Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie James, elle a cumulé plus de 40 ans d’expérience et connaissait les enjeux et les défis. Et c’est pour cela qu’elle a décidé de plonger. Aussi pour contribuer à l’édification de sa nation.
La psychologue crie Lor‐ raine Spencer a eu la même réflexion, surtout à cause de l’énormité de la chose. Elle aussi s’est lancée pour faire une différence, un change‐ ment plus large pour les communautés cries d’Eeyou Istchee.
Décoloniser la loi
Cette commission repré‐ sente une étape importante vers la décolonisation des services de protection de la jeunesse au sein de la Nation crie. Les consultations ont d’abord débuté avec les em‐ ployés du CCSSSBJ, puis ont continué à l’automne dans les communautés. Pendant une semaine, les commis‐ saires ont écouté les chefs, les conseillers, la police, diffé‐ rents comités d'aînés, de jus‐ tice. Elles sont allées aussi dans les écoles et ont fait des rencontres communautaires.
Les discussions ont été di‐ verses. Il a été question des raisons ayant mené à une loi de protection de la jeunesse et de son utilité. C’est d’aller vers les racines. Qu’est-ce qui a fait qu’il y avait ce besoin-là de plus en plus aigu? Le pro‐ blème était les parents, les grands-parents, donc les ef‐ fets multigénérationnels des traumatismes que les Cris ont vécus, comme beaucoup d’autres nations, à cause des pensionnats, relate Lorraine Spencer.
Les commissaires ont en effet entendu les questionne‐ ments sur la ressemblance entre la protection de la jeu‐ nesse et les pensionnats pour Autochtones. De 1831 à 1996, au moins 150 000 en‐ fants des Premières Nations,