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Patrick Norman au Rwanda : la chanson qui a marqué les victimes du génocide

- Charles Rioux

En 1994, en plein génocide au Rwanda, la chanson Quand on est en amour de Patrick Norman a touché le coeur des victimes de ces violences insensées. Trente ans plus tard, le chanteur est allé à la rencontre du peuple rwandais pour com‐ prendre son passé doulou‐ reux et pour témoigner de la reconstruc­tion du pays. Ce voyage est raconté dans le documentai­re Patrick

Norman au Rwanda - Le de‐ voir de mémoire.

Le film du documentar­iste et globe-trotteur Charles Do‐ mingue est présenté samedi en première mondiale au fes‐ tival Vues d’Afrique, à Mon‐ tréal, alors que le Rwanda commémore le 30e anniver‐ saire du génocide des Tutsis. Ce carnage de 100 jours, qui s’est déroulé d’avril à juillet 1994, a coûté la vie à au moins 800 000 personnes.

Ni Patrick Norman ni Charles Domingue ne savent exactement comment la chanson Quand on est en amour, écrite en 1984, s’est retrouvée dans les tympans des Rwandais dix ans plus tard. Cependant, encore au‐ jourd’hui, des gens de toutes les génération­s en connaissen­t les paroles par coeur.

Rencontre détermi‐ nante dans un resto de Montréal

Patrick Norman s’est rendu compte de sa popula‐ rité dans ce petit pays d’Afrique au tournant des an‐ nées 2000, lorsqu’une survi‐ vante du génocide, Marie-Jo‐ sée Gicali, l’a interpellé dans un restaurant montréalai­s. Elle tenait à le remercier pour sa chanson, qui passait sou‐ vent à la radio au moment où l’horreur s’emparait de son pays.

J’étais toute petite, j’étais cachée et je chantais en boucle Quand on est en amour dans ma tête alors que ma famille se faisait tuer. Les paroles significat­ives de votre chanson m’ont permis de traverser les moments les plus terribles de ma vie, ex‐ plique-t-elle au chanteur dans le film.

Il a toutefois fallu près d’un quart de siècle à Patrick Norman pour aller témoigner en personne de son in‐ fluence au pays des mille col‐ lines. Et c’est en grande par‐ tie grâce à Charles Do‐ mingue, un cinéaste pigiste qui a voyagé dans plus de 70 pays afin de réaliser des do‐ cumentaire­s pour des chaînes comme Discovery et TV5.

J’avais le Rwanda déjà dans la peau, affirme celui qui avait déjà signé un docu‐ mentaire sur ce pays, Rwanda, le paradis retrouvé. Mais tu n’entres pas au Rwanda comme dans un moulin : ils ont été brûlés et ils se méfient. En effet, Charles Domingue a dû faire preuve de patience avant de bâtir les liens de confiance nécessaire­s avec le peuple rwandais.

Cependant, après avoir vu son premier documentai­re, les gens du pays lui ont ou‐ vert leurs portes et surtout leurs archives, dont plusieurs images sont utilisées dans Patrick Norman au Rwanda.

Travail de reconstruc‐ tion inouï

Aussi surprenant­e soitelle, l’histoire de la popularité de Patrick Norman au Rwanda est surtout une ex‐ cuse pour entrer dans les souvenirs de son peuple. Grâce à la caméra de Charles Domingue, le chanteur nous prête ses yeux et ses oreilles pour mettre en lumière la ré‐ silience extraordin­aire des Rwandais.

Kigali est immaculée : je sais maintenant pourquoi on l’appelle la Singapour afri‐ caine. Les images d’une Afrique souriante et colorée me ravissent. Quel contraste avec celles de 1994!

Patrick Norman, dans le film Patrick Normand au Rwanda - Le devoir de mé‐ moire

L’histoire du génocide de centaines de milliers de Tut‐ sis, ainsi que de milliers de Hutus modérés, perpétré par une majorité hutue manipu‐ lée par le gouverneme­nt, a été racontée mille fois. Mais le film de Charles Domingue se distingue en mettant l’ac‐ cent sur les 30 ans de recons‐ truction qui ont suivi.

Les grandes qualités hu‐ maines de ce peuple-là, c’est hallucinan­t : la résilience, le pardon, la tolérance, ex‐ plique le cinéaste. Le gouver‐ nement m’impression­ne, tout comme la politique environ‐ nementale. C’est le pays le plus éduqué de tous les pays émergents et le seul pays en Afrique qui offre une couver‐ ture médicale pour tous.

Oser le chemin de la ré‐ conciliati­on

Ce progrès fulgurant est attribuabl­e non seulement au gouverneme­nt de Paul Ka‐ gamé - allergique à la corrup‐ tion - mais aussi à son pro‐ gramme de réhabilita­tion basé sur le pardon. Dès la victoire du Front patriotiqu­e rwandais (FPR), en juillet 1994, qui a mis fin au géno‐ cide, les dirigeants du pays ont ainsi osé l’impossible : le chemin de la réconcilia­tion.

Il faut juger les criminels, mais avec une échelle de peines différente­s, où les pla‐ nificateur­s, ce qu’on appelle les gros poissons [...], ob‐ tiennent des peines lourdes, explique dans le documen‐ taire le Dr Jean Damascene Bizimana, ministre de l’Unité nationale et de l’Engagement civique du Rwanda. Mais après, les citoyens ordinaires qui avaient été manipulés, on a préféré les éduquer par des séances de sensibilis­ation pour qu'ils se rendent compte du mal qu’ils avaient causé. Et on leur a demandé de dire la vérité.

Les victimes et les génoci‐ daires vivent ensemble. Ils ne sont pas en amour, mais même Ghandi n’aurait pas pu accoter ça.

Charles Domingue, réali‐ sateur

Après la projection de sa‐ medi au Méga-Plex Guzzo du Marché central, le film Patrick Norman au Rwanda - Le de‐ voir de mémoire sera diffusé sur Historia le samedi 25 mai à 19 h.

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