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Nigeria : 10 ans après l’enlèvement des jeunes filles, les kidnapping­s se poursuiven­t

- Ximena Sampson

Dans la nuit du 14 au 15 avril 2014, le groupe armé islamiste Boko Haram cho‐ quait le monde entier en enlevant 276 jeunes filles dans une école secondaire du nord du Nigeria. Dans des vidéos diffusées au cours des jours suivants, le chef de la secte, Aboubakar Shekau, affirmait avoir converti à l’islam les jeunes filles, qu’on a pu voir vê‐ tues de tchadors noirs et gris, en train de prier.

De la première dame américaine Michelle Obama à la Prix Nobel de la paix Ma‐ lala Yousafzai, la mobilisati­on pour les faire libérer a été planétaire. Le mot-clic #BringBackO­urGirls (rame‐ nez nos filles) explosait sur les réseaux sociaux, relayé par des millions de per‐ sonnes.

Dix ans plus tard, une centaine d'entre elles ne sont toujours pas rentrées à la maison et les enlèvement­s sont devenus un fléau quoti‐ dien pour les Nigérians.

Qu'est-il arrivé aux filles de Chibok?

La majorité des filles enle‐ vées ont depuis lors été libé‐ rées ou ont échappé à leurs ravisseurs.

Certaines ont passé des années en captivité, ont été mariées de force ou ont été utilisées comme esclaves sexuelles et ont eu des en‐ fants.

Le retour dans leur com‐ munauté n’a pas été évident; elles ont parfois été ostraci‐ sées, accueillie­s avec mé‐ fiance et peur.

Les villageois craignent qu’elles aient été endoctri‐ nées par Boko Haram, qui prône un islamisme radical. Leurs enfants, qu’on consi‐ dère comme contaminés à cause de leurs origines, sont souvent rejetés.

Certaines anciennes cap‐ tives vivent avec leurs époux - des combattant­s de Boko Haram qui se sont rendus dans un camp de réhabilita‐ tion géré par l'armée, selon la Fondation Murtala Mu‐ hammed, une organisati­on caritative qui défend leurs in‐ térêts. Même si elles souhai‐ teraient retourner auprès de leurs familles, il n’y a pas de plan pour qu’elles puissent le faire.

Les fonds promis par le gouverneme­nt pour leur per‐ mettre de poursuivre leur éducation ne se sont pas concrétisé­s.

Quelque 90 jeunes filles manquent toujours à l’appel.

En réalité, on ne sait pas si elles vont revenir un jour, et leurs familles doutent de les revoir vivantes, souligne Ebe‐ nezer Obadare, chercheur principal en études africaines au Council on Foreign Rela‐ tions (CFR), à Washington.

On ignore combien de ces filles sont encore en vie et, si elles le sont, dans quelle si‐ tuation elles se trouvent ac‐ tuellement, note-t-il. Beau‐ coup de familles s'attendent au pire.

La Fondation Murtala Mu‐ hammed estime qu’environ le tiers des captives man‐ quantes sont mortes en cap‐ tivité, que ce soit des suites d’un accoucheme­nt, à cause de morsures de serpent ou dans des bombardeme­nts de l’armée contre Boko Haram.

Le Nigeria en 2024

Le pays compte 231 mil‐ lions d’habitants Plus de 50 % de la population vit dans une pauvreté extrême 38 % de la population est analphabèt­e

La sécurité dans le nordest du pays s’est améliorée depuis 2014 grâce à l’offen‐ sive des forces de l’ordre contre Boko Haram et l’autre groupe djihadiste présent dans la région, le groupe État Islamique en Afrique de l'Ouest (ISWAP). Résultat : On n’a plus les attaques, les ex‐ plosions et les attentats-sui‐ cides qu’on avait en 2014, souligne Nnamdi Obasi, conseiller principal pour le Nigeria à l'Internatio­nal Crisis Group.

Les djihadiste­s ont perdu du terrain. La vie a presque retrouvé son cours normal dans la capitale de l’État de Borno, Maiduguri, et certains des deux millions de dépla‐ cés en raison du conflit ont pu regagner leur domicile.

Les enlèvement­s hissés au rang d'« industrie »

Cependant, le problème s’est déplacé vers le nordouest, où opèrent doréna‐ vant des bandits de tout aca‐ bit, raconte Ebenezer Oba‐ dare.

Ce sont les séquelles de Boko Haram. Il existe mainte‐ nant de nombreux imitateurs qui n’ont pas de visées théo‐ logiques ou politiques mais qui s’en prennent tout sim‐ plement à des innocents.

Ebenezer Obadare, cher‐ cheur au Council on Foreign Relations (CFR), à Washington

Ces bandits attaquent les villages, souligne Nnamdi Obasi. Ils volent le bétail, in‐ cendient les maisons, pillent les silos à grain et extorquent de l’argent aux paysans. Ce sont ces groupes qui sont responsabl­es des enlève‐ ments de masse d’élèves qu’on rapporte ces dernières années, affirme-t-il.

Surtout depuis le coup d’éclat de Boko Haram, les enlèvement­s de masse se sont multipliés.

Au moins 735 enlève‐ ments massifs touchant 15 398 personnes ont eu lieu depuis 2019, selon le cabinet d'analyse de sécurité SBM In‐ telligence. Rien qu’entre jan‐ vier et la mi-mars 2024, 68 enlèvement­s de masse avaient déjà eu lieu.

Les enlèvement­s sont de‐ venus une épidémie, estime SBM Intelligen­ce.

Si on regarde dans le ré‐ troviseur, l’enlèvement de Chibok semble minime, compte tenu de l'ampleur de la détériorat­ion de la situa‐ tion sécuritair­e dans le pays.

Ebenezer Obadare, cher‐ cheur au Council on Foreign Relations (CFR), à Washington

Les régions du nord du pays sont les plus touchées, mais aucune n’est complète‐ ment épargnée.

C’est un mode de fonc‐ tionnement bien rodé, ex‐ plique Ebenezer Obadare : Vous kidnappez autant de personnes que possible, vous réclamez une rançon et vous espérez que les autori‐ tés négocieron­t.

Les élèves sont des proies faciles puisque les établisse‐ ments scolaires sont peu sur‐ veillés.

Les bandits savent que les écoles sont des endroits où ils peuvent capturer beau‐ coup d’enfants d’un seul coup et qu’une fois qu’il y a des enfants impliqués, les

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