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Le quart des décès chez les jeunes adultes au Canada causés par les opioïdes

- Mélanie MelocheHol­ubowski

Le nombre de décès préma‐ turés liés aux opioïdes a doublé entre 2019 et 2021 au Canada et un décès sur quatre chez les adultes âgés de 20 à 39 ans est at‐ tribuable aux opioïdes, se‐ lon une nouvelle étude pu‐ bliée aujourd’hui dans le

Journal de l'Associatio­n mé‐ dicale canadienne.

En 2016, le nombre de dé‐ cès par surdose accidentel­le d'opioïdes était de 2470. En 2019, 3447 Canadiens sont morts d’une surdose d'opioïdes.

Puis, en 2021, ce chiffre a grimpé à 6222, selon les chercheurs qui ont analysé les données canadienne­s (à l’exception du Nunavut, de l’Île-du-Prince-Édouard et de Terre-Neuve-et-Labrador.)

Chez les adultes de 85 ans et moins, un décès sur 31 était lié à une surdose d'opioïde.

Chez les jeunes de 20 à 39 ans, c’est un décès sur quatre. En Alberta, près de la moitié des décès chez les 20 à 39 ans était causé par une surdose d'opioïdes.

Les chercheurs ont égale‐ ment calculé le nombre d’an‐ nées potentiell­es de vie per‐ dues, qui mesurent la morta‐ lité prématurée. Il s’agit d’une estimation du nombre d'an‐ nées additionne­lles qu'une personne aurait vécues, n'eût été son décès prématuré.

Le nombre d’années de vie perdues a atteint 256 336 en 2021, soit le double de 2019. Le nombre élevé de jeunes morts à cause d'opioïdes est directemen­t responsabl­e de cette hausse fulgurante.

En fait, près de 34 % de ces années perdues sont chez les 30 à 39 ans.

La tragédie de la crise des opioïdes, c’est que la majo‐ rité des décès sont des jeunes dans leurs vingtaine et trentaine, alors qu’ils de‐ vraient vivre au moins jusqu’à 70 ou 80 ans. Ils meurent à cause d’un marché illicite très dangereux. Les gens qui en achètent sur le marché illicite ne savent pas ce qu’ils prennent. Parfois c’est cinq ou dix fois plus puissant que leur dernière dose, dit David Juurlink, un des auteurs de l’étude et chef de la Division de pharmacolo­gie clinique et de toxicologi­e à l'Université de Toronto.

Par ailleurs, la majorité des décès surviennen­t chez des hommes.

Le nombre de décès liés aux opioïdes augmente de‐ puis plusieurs années, mais la situation s’est aggravée de‐ puis la pandémie de COVID19. Le marché illicite des opioïdes est de plus en plus volatil et contribue à cette lourde tendance, soulignent les auteurs de l’étude.

Bien que les opioïdes d’or‐ donnance contribuen­t à cer‐ tains décès, depuis 2020, le fentanyl provenant du mar‐ ché illicite était impliqué dans plus de 80 % des décès liés aux opioïdes.

La crise touche tout le pays, mais la hausse du nombre de décès est particu‐ lièrement importante dans certaines provinces. L’Alberta et la Saskatchew­an ont les taux de décès par million d’habitants les plus élevés au pays (370,2 et 279 respective‐ ment).

Le taux de décès par habi‐ tant a triplé en Saskatchew­an depuis 2019. Au Manitoba, il a presque quintuplé. Le taux en Colombie-Britanniqu­e a légèrement augmenté, mais les auteurs précisent que les données de cette province sont sous-estimées, puisque de nombreux décès poten‐ tiellement liés aux opioïdes font encore l'objet d'une en‐ quête du coroner.

Le Québec, les Territoire­s du Nord-Ouest et le Nou‐ veau-Brunswick ont les taux de décès par habitant les moins élevés au pays.

Pendant la pandémie, la perte de vie s’est accélérée partout au pays, déplore la Dre Tara Gomes, auteure principale de l’étude et scien‐ tifique à Unity Health To‐ ronto. En l'absence d'investis‐ sements adéquats dans des programmes de traitement et de réduction des risques, ainsi que davantage d'aides sociales, comme pour le lo‐ gement, ces décès évitables continuero­nt d’avoir des ef‐ fets dévastateu­rs sur les communauté­s à travers le pays.

Les mesures qui fonc‐ tionnent ne sont pas en‐ core pleinement déployées

C’est pourquoi la spécia‐ liste de la dépendance aux opioïdes, la Dre Marie-Ève Goyer, n’est pas optimiste; elle craint que la situation empire.

Ce que l’on voit circuler là, sur le marché illicite, pour moi, c'est du jamais vu, dit cette chercheuse à l’Institut universita­ire sur les dépen‐ dances et professeur­e agré‐ gée de clinique au Départe‐ ment de médecine de famille et médecine d’urgence de l’Université de Montréal.

Elle croit qu’il faut non seulement mieux contrôler le marché illicite, mais aussi s’attaquer aux causes racines de cette épidémie.

La crise des opioïdes est en train de s’enlacer avec une crise de précarité. Les enjeux de logement, d’éducation, de pauvreté, d’inégalités so‐ ciales et de traumas ne s’améliorent pas au Canada. La drogue est une tentative de soulager la douleur phy‐ sique, mais aussi la douleur psychique.

Elle souligne qu’il existe déjà de nombreux moyens pour prévenir les surdoses d'opioïdes - comme l'accès au traitement pour la dépen‐ dance, à du matériel stérile de consommati­on, à de la na‐ loxone, à des sites d’injection supervisée et à des services d’analyse des substances.

Mais ces mesures ne sont pas adéquateme­nt mises en place, notamment à cause des préjugés entourant les personnes qui font des sur‐ doses d'opioïdes, déplore cette responsabl­e de la for‐ mation sur les traitement­s des troubles liés à l’utilisatio­n des opioïdes de l’Institut na‐ tional de la santé publique du Québec.

Cette population est stig‐ matisée. C’est le branle-bas de combat pour vacciner les gens pour la rougeole, mais on perd 50 personnes par mois au Québec [de sur‐ doses d’opioïdes], souligne-telle.

Ça fait des années que mes patients meurent et on ne fait rien. On laisse mourir une catégorie de la popula‐ tion. Tant qu’on ne parlera pas de ça, on ne réussira pas à déployer ce qui fonctionne.

Dre Marie-Ève Goyer, spé‐ cialiste de la dépendance aux opioïdes

Selon Statistiqu­e Canada, depuis 2016, il y a eu :

plus de 40 000 décès liés aux opioïdes; plus de 39 000 hospitalis­ations liées aux opioïdes; plus de 16 000 hos‐ pitalisati­ons liées aux stimu‐ lants.

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