Belles pelouses : « le pissenlit ne fait du mal à personne »
La floraison printanière des plantes ravive le désir de nombreux propriétaires d’avoir des pelouses par‐ faites. Cependant, l’appari‐ tion des pissenlits dérange certains jardiniers qui ouvrent une chasse « in‐ utile » à ces plantes aux fleurs jaunes.
Acteur de l’industrie horti‐ cole depuis plus de deux dé‐ cennies à Calgary, Jean-Ma‐ thieu Daoust reçoit des de‐ mandes de faire disparaître les pissenlits autour des pro‐ priétés chaque printemps. Les gens n'aiment pas les pis‐ senlits parce qu'ils croient que ça enlève la beauté de leurs pelouses, affirme-t-il.
En raison de sa fécondité, de sa croissance rapide et de sa résistance à la sécheresse, le pissenlit envahit rapide‐ ment le pâturin des prés, la principale espèce qui com‐ pose la pelouse.
Pour renverser ce rapport de force, l’horticulteur re‐ commande à ses clients d'uti‐ liser des produits chimiques pour détruire la plante à par‐ tir de la racine.
Ce combat, le spécialiste des plantes exotiques enva‐ hissantes et professeur à l'École d'aménagement du territoire de l'Université La‐ val, Claude Lavoie, le qualifie d’inutile. Selon lui, le pissenlit trouve toujours un moyen de pousser : Est-ce que ça vaut la peine de lutter contre cette espèce-là alors que d'une part elle est inoffensive?
On combat le pissenlit de‐ puis 125 ans, mais il y a tou‐ jours autant de pissenlits qu'avant. Donc ce n'est pas très utile de faire ce genre de lutte là, sinon pour les ven‐ deurs de pesticides.
Claude Lavoie, spécialiste des plantes exotiques enva‐ hissantes
Selon l’expert, une pe‐ louse qui est constituée d'une seule et unique espèce de gazon n'est pas très résis‐ tante. Avoir un peu plus de diversité, y compris le pissen‐ lit, va faire en sorte que l'éco‐ système soit un peu plus sain, et un peu plus résilient à la sécheresse par exemple.
Une taire… plante alimen‐
Depuis quelques années, des mouvements encou‐ ragent à ne pas tondre les gazons pour préserver la bio‐ diversité et la nourriture prin‐ tanière des insectes. D'après le spécialiste, les pissenlits peuvent servir de source de nectar intéressante en milieu urbain en particulier, mais aussi en milieu rural pour les insectes pollinisateurs en gé‐ néral.
Les pissenlits ont aussi des qualités alimentaires dé‐ montrées pour l’humain, pré‐ cise Claude Savoie. C'est l'équivalent d'un épinard en salade, mais surtout au dé‐ but du printemps, après un peu plus tard dans l'été, c'est très amer, donc moins inté‐ ressant à consommer, dit-il.
Le pissenlit était cultivé dans la région de Paris. De 1850 jusqu'à 1920 à peu près, il y avait des champs de pissenlits et l’on faisait de la salade que l'on vendait dans les marchés avant que les vraies laitues n'arrivent sur les étalages.
On prête aussi des valeurs médicinales à ces plantes, mais Claude Lavoie affirme qu'elles sont encore hypothé‐ tiques, car très peu de tests cliniques démontrent ces vertus.
De la l’amour… haine vers
Dans son ouvrage intitulé Pissenlit contre pelouse : une histoire d'amour, de haine et de tondeuse, publié le mois dernier, Claude Lavoie re‐ trace les relations historiques entre les pissenlits et les pe‐ louses.
C’est au début du 17e siècle que l’une des espèces venues d’Asie s'est propagée sur le continent américain, notamment dans l'est de l'Amérique du Nord au fur et à mesure du défrichage des terres.
Le pissenlit est cependant devenu problématique à par‐ tir des années 1950, lorsque la pelouse qui est son habitat par excellence s'est dévelop‐ pée, précise l’auteur. Le pis‐ senlit pour des raisons socio‐ culturelles n'a jamais été le bienvenu dans cette pelouselà, évidemment à cause de son caractère très envahis‐ sant.
C'est une construction so‐ ciale, déclare l’expert.
Le pissenlit ne fait de mal à personne, ne rend pas les gens malades par des aller‐ gies. Bref, il n’y a rien de nui‐ sible dans le pissenlit sinon cette conception de la pe‐ louse impeccable qui doit être verte, uniforme et sans aucun intrus de toutes sortes.
Claude Lavoie, spécialiste des plantes exotiques enva‐ hissantes
Toutefois, la perception du pissenlit commence à un peu changer avec l'émer‐ gence du mouvement No Mow May ou Défi Pissenlits, au Québec. Selon Claude Sa‐ voie, dans l’est du pays, on laisse désormais fleurir les pissenlits au bénéfice des in‐ sectes pollinisateurs. On ne change pas du jour au lende‐ main une norme sociale fer‐ mement établie depuis plus de 75 ans, précise-t-il.