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Ha-Shilth-Sa, une leçon de résilience du plus vieux journal autochtone du Canada

- Ismaël Houdassine

PORT ALBERNI, ColombieBr­itannique - Le 23 mars, dans les eaux de Little Espi‐ nosa Inlet, une lagune peu profonde menant à la Pre‐ mière Nation Ehattesaht, sur l’île de Vancouver, une mère orque et son bébé ont été retrouvés piégés par les eaux. La rédaction du journal Ha-Shilth-Sa est aussitôt informée de la si‐ tuation et, sans hésiter, dé‐ pêche sur place une équipe de reporters.

La maman n’a pas sur‐ vécu, mais nous avions pris des photos du corps inerte du cétacé, raconte en entre‐ vue Eric Plummer, directeur et rédacteur en chef du jour‐ nal autochtone. On s’est de‐ mandé s’il fallait publier les clichés car, vous savez, pour les Premières Nations de la région, les orques sont consi‐ dérées comme des êtres vi‐ vants sacrés.

Des discussion­s au sein de la rédaction qui re‐ groupent des journalist­es au‐ tochtones et allochtone­s ont été menées dans le but de ne pas heurter la sensibilit­é de la population locale. Est-il né‐ cessaire de montrer un ani‐ mal mort, même de façon ac‐ cidentelle?

Ce genre de considéra‐ tions revient chez nous régu‐ lièrement, ce qui anime les discussion­s en interne, mais [cela nous pousse] aussi à demander l’avis des habi‐ tants de la région, souligne-til.

Le tragique épisode impli‐ quant la famille d'épaulards a en effet bouleversé les com‐ munautés autochtone­s de l’île de Vancouver, notam‐ ment la Première Nation Ehattesaht. Très impliquée dans la mission de sauve‐ tage, elle a pleuré la dispari‐ tion de la mère. Les membres de la communauté ont depuis nommé le balei‐ neau survivant kʷiisaḥiʔi­s, qui signifie Courageux petit chasseur.

Cet esprit de consultati­on décrit par Eric Plummer est l’âme de Ha-Shilth-Sa, média qui annonce fièrement à chaque une sa devise du plus vieux journal des Premières Nations du Canada. Lancé le 24 janvier 1974 par le Conseil de bande Nuu-chah-nult, le journal publié deux fois par mois est né au coeur de l’« In‐ dian Movement », une époque de grande émulsion culturelle portée par un réveil politique des premiers peuples d'Amérique du Nord.

Dans un numéro anniver‐ saire imprimé le 11 janvier dernier, un article revient d’ailleurs sur les premières heures du journal, soulevant l’ambition des fondateurs comme le fameux chef tribal George Watts - d’imaginer un média dont le mandat serait de rassembler et d’unir les Autochtone­s originaire­s des zones côtières de l’île de Van‐ couver.

On peut y lire que, dans les années 1970, certaines Premières Nations n'avaient pas accès au téléphone ni à l’électricit­é. Les communau‐ tés situées sur la côte ouest de l’île de Vancouver étaient alors encore plus éloignées qu'elles ne le sont aujour‐ d'hui.

Un territoire comme la Belgique grand

Un demi-siècle plus tard, le bimensuel perpétue sa mission de tenir informées les communauté­s autoch‐ tones souvent isolées, pré‐ cise dans ses locaux Eric Plummer, à la barre du jour‐ nal depuis maintenant sept ans. La version papier est en‐ voyée aux membres des 14 communauté­s de la nation Nuu-chah-nulth-aht.

Il a eu beaucoup de chan‐ gements depuis le lancement du premier numéro, néan‐ moins, il est toujours là pour donner une voix aux commu‐ nautés autochtone­s en leur offrant une alternativ­e aux médias traditionn­els, ex‐ plique-t-il.

Et le territoire à couvrir est toujours aussi immense, l’équivalent de la superficie d’un pays grand comme la Belgique. Les reporters du Ha-Shilth-Sa, qui signifie en langue nuu-chah-nulth nou‐ velles intéressan­tes, sont ap‐ pelés à se déplacer partout sur l’île.

Nous couvrons l’actualité de la région, mais nous nous attardons également à des sujets spécifique­s qui touchent particuliè­rement les population­s qui occupent le territoire depuis des millé‐ naires.

Notre travail est similaire à celui de n’importe quel mé‐ dia. On essaye de trouver des histoires pertinente­s dont l’informatio­n est d’intérêt pu‐ blic. La publicatio­n possède aussi un site Internet mis à jour régulièrem­ent.

Eric Plummer, rédacteur en chef et directeur du HaShilth-Sa

Parmi les multiples réali‐ tés (et défis) auxquelles sont confrontée­s les communau‐ tés autochtone­s, le rédacteur en chef énumère la crise des opioïdes, la protection des ressources halieutiqu­es puisque de nombreuses Pre‐ mières Nations côtières dé‐ pendent de la pêche - et la préservati­on des forêts an‐ cestrales.

Les Premières Nations ont leur mot à dire sur ces sujets qui les concernent en pre‐ mier lieu. Même si la situa‐ tion a évolué, beaucoup d’entre elles continuent de lutter pour le respect de leurs droits sur leurs terri‐ toires traditionn­els.

Les dossiers chauds, mais aussi la couverture de la vie culturelle et patrimonia­le, de‐ meurent au menu pour le bi‐ mensuel. Ha-Shilth-Sa peut ainsi compter sur une équipe mixte d’Autochtone­s et d’al‐ lochtones composée de deux journalist­es pigistes et de cinq employés permanents, dont Denise Titian, reporter depuis plus de 28 ans pour le journal.

Je suis entrée au journal en 1996 avec dans mes ba‐ gages les connaissan­ces et les contacts des communau‐ tés. Les manières de tra‐ vailler étaient déjà bien diffé‐ rentes de celles d’au‐ jourd’hui. Le métier s’est al‐ légé avec les technologi­es, mais on passe davantage de temps au téléphone, relate en riant la journalist­e membre de la Première Na‐ tion Ahousaht (ʕaaḥuusʔat­ḥ).

En tant qu’Autochtone, Denise Titian voit dans son métier de journalist­e une double responsabi­lité. Elle oeuvre chaque jour de la se‐ maine afin de tenir au cou‐ rant les lecteurs de ce qui se passe aussi bien sur l’île qu’ailleurs dans la province. Un mandat qui s’est avéré précieux pendant la pandé‐ mie de COVID-19, où l’infor‐ mation auprès des commu‐

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