Affaire Stormy Daniels : gros plan sur le premier procès criminel de Trump
En pleine campagne pour reconquérir la MaisonBlanche, l’ex-président ré‐ publicain Donald Trump verra s'ouvrir ce lundi le premier des quatre procès criminels engagés contre lui, malgré les très nom‐ breuses tentatives de ses avocats, jusque dans la dernière ligne droite, pour faire avorter ou retarder le procès.
Dans cette procédure qui relève de la justice de l’État de New York, il est accusé d’avoir falsifié des documents financiers pour dissimuler le remboursement d’un paie‐ ment versé à une maîtresse alléguée afin de favoriser sa victoire à la présidentielle de 2016.
Celui qui pendant son mandat a multiplié les précé‐ dents historiques, notam‐ ment avec deux procès en destitution devant le Sénat, est le premier ancien pré‐ sident américain confronté à des accusations criminelles.
Présidé par le juge Juan Merchan, le procès, qui ne sera pas télévisé, devrait s’échelonner sur environ six semaines. Première étape de ce marathon juridique qui s'annonce hautement média‐ tisé, la sélection des jurés de‐ vrait durer une à deux se‐ maines.
En raison des multiples requêtes de la défense qui retardent les trois autres pro‐ cès criminels intentés contre le chef de file républicain, la procédure engagée à New York pourrait bien être la seule à connaître un dénoue‐ ment avant l'élection prési‐ dentielle de novembre pro‐ chain.
Le contexte derrière les accusations
Les circonstances liées à l'inculpation de Donald Trump remontent à sa cam‐ pagne présidentielle de 2016 et se poursuivent jusqu'à la première année de son man‐ dat présidentiel, en 2017.
Une actrice de films por‐ nographiques, Stephanie Clif‐ ford, mieux connue sous son nom professionnel de Stormy Daniels, comptait ré‐ véler la relation « intime » qu’elle affirme avoir eue avec Donald Trump. Leur unique relation sexuelle aurait eu lieu 10 ans plus tôt, en 2006, peu après la naissance du fils cadet de l'homme d'affaires.
Deux semaines avant le scrutin du 8 novembre 2016, l'ex-avocat personnel de Do‐ nald Trump, Michael Cohen, lui a versé 130 000 $ par le biais d'une société-écran dans le cadre d’un accord de non-divulgation.
Celui qui avait à l'époque la réputation de régler les problèmes de l'homme d'af‐ faires new-yorkais affirme aujourd’hui avoir acheté le si‐ lence de Stephanie Clifford sur les instructions de son ancien client et avoir été remboursé et récompensé par lui par la suite, entre fé‐ vrier et décembre 2017.
Condamné par la justice fédérale, Michael Cohen a déjà purgé une peine d’em‐ prisonnement, après avoir reconnu, notamment, avoir dépassé le plafond fédéral des dons par son paiement à Stephanie Clifford et avoir enfreint d'autres règles de fi‐ nancement électoral en lien avec le versement fait à une autre maîtresse alléguée de Donald Trump.
Le procureur du district de Manhattan, Alvin Bragg, affirme que la diffusion, un mois avant la présidentielle de novembre 2016, d'un en‐ registrement désormais cé‐ lèbre sur lequel on entendait Donald Trump se vanter de pouvoir « attraper » les femmes par leur sexe en toute impunité a servi de ca‐ talyseur au paiement secret versé à Stephanie Clifford.
La prémisse mise de l'avant par les procureurs : la vidéo a semé la panique au sein de l'équipe de cam‐ pagne du candidat républi‐ cain, qui ne pouvait pas se permettre un autre scandale sexuel.
L'équipe d'Alvin Bragg pourra y faire référence, mais
le juge ne lui a pas permis de présenter l'extrait devant le jury.
Un stratagème pour supprimer de l'information dommageable
Le procureur du district de Manhattan affirme en outre que le paiement fait à Stephanie Clifford et rem‐ boursé à Michael Cohen se rattache à un stratagème plus vaste visant à acheter et supprimer de l’information négative (une stratégie connue en anglais sous l'ex‐ pression catch and kill) afin de maximiser les chances de M. Trump d’être élu.
Selon des documents dé‐ posés devant la justice newyorkaise, ce stratagème était au coeur d'une rencontre qui a notamment réuni à la Trump Tower, en août 2015, Donald Trump, son ami de longue date David Pecker, alors PDG du groupe de presse American Media Inc. (AMI), ainsi que Michael Co‐ hen.
Dans une entente à l'amiable conclue avec les procureurs fédéraux et lui ayant évité des poursuites, AMI a précisé que l'objectif était de neutraliser plus spé‐ cifiquement les informations sur les relations du candidat à la présidence avec les femmes.
Le groupe AMI, qui pu‐ bliait le tabloïd sensationna‐ liste The National Enquirer, a rémunéré, avec la collabora‐ tion de Michael Cohen, deux personnes en échange de droits exclusifs sur leurs his‐ toires dans le but de ne pas les publier.
L'une d'elles est Karen Mc‐ Dougal, une ancienne man‐ nequin de Playboy qui sou‐ tient pour sa part avoir été la maîtresse de Donald Trump entre 2006 et 2007. Elle a re‐ çu 150 000 $ en échange de son témoignage.
Falsification de docu‐ ments au premier degré
Fait à noter, l'ex-président républicain n’est pas pour‐ suivi pour avoir versé de l’ar‐ gent à Stephanie Clifford en échange de son silence, puis‐ qu'une telle pratique n'est pas illégale.
Inculpé par un grand jury pour falsification de docu‐ ments au premier degré, Do‐ nald Trump est plutôt accusé d'avoir maquillé une série de documents d'affaires liés au remboursement qu'il aurait fait à son ancien homme de confiance.
Il fait face à 34 chefs d’ac‐ cusation pour autant de do‐ cuments falsifiés (factures, entrées de registres comp‐ tables et chèques fausse‐ ment associés à des hono‐ raires).
Si les actes qui lui sont re‐ prochés se limitaient à cela, Donald Trump serait pour‐ suivi pour un simple délit.
Pourquoi Donald Trump a-t-il fait ces fausses déclara‐ tions? Les preuves montre‐ ront qu'il a agi ainsi pour dis‐ simuler des crimes liés à l'élection de 2016.
Alvin Bragg, procureur du district de Manhattan, en conférence de presse le 4 avril 2023
Mais en vertu de la loi new-yorkaise, lorsque les do‐ cuments sont falsifiés dans le but de couvrir d’autres crimes, comme ce que sou‐ tient le procureur Bragg dans ce dossier, l'infraction à la loi est considérée plus grave et est passible d'une peine plus sévère.
Les procureurs arguent que la combine a contrevenu à la loi électorale new-yor‐ kaise, qui interdit de conspi‐ rer pour promouvoir une candidature par des moyens illégaux, et à la loi fédérale sur le financement électoral, qu’a violée Michael Cohen.
De fausses déclarations comptables et fiscales d’AMI et de Michael Cohen ont en outre enfreint les lois fiscales new-yorkaises, ajoutent-ils.
Le coeur du dossier [...] touche une conspiration pour corrompre une élection présidentielle et puis le fait de mentir dans des registres d'affaires de New York pour la dissimuler.
Alvin Bragg, procureur du district de Manhattan, en en‐ trevue à la station de radio WNYC
Trump se pose en vic‐ time d'un système cor‐ rompu
Donald Trump a plaidé non coupable à l'ensemble des chefs d'accusation portés contre lui et a également nié les aventures extraconju‐ gales. Il s'érige en victime d’une chasse aux sorcières motivée par des considéra‐ tions partisanes.
C'est de la Persécution Po‐ litique et de l'Ingérence Élec‐ torale à des niveaux jamais vus dans l'histoire.
Donald Trump, ex-pré‐ sident des États-Unis
Avant le procès, le juge Merchan a interdit à l'ancien président de s'en prendre pu‐ bliquement aux témoins, aux jurés et au personnel du tri‐ bunal, une restriction qu'il a ensuite étendue aux membres de sa propre fa‐ mille et à celle du procureur du district de Manhattan.
Donald Trump, qui dé‐ nonce ce qu'il décrit comme une atteinte à sa liberté d'ex‐ pression, conserve néan‐ moins le droit de critiquer le juge Merchan, qu'il a qualifié de corrompu, et le procureur Bragg, un démocrate, qu'il a déjà traité d'animal et de psy‐ chopathe dégénéré.
Le candidat républicain a jusqu'ici tenté en vain d'obte‐ nir du juge qu'il se retire du dossier.
Le politicien de 77 ans, qui doit assister aux procédures, n'a pas écarté l'idée de té‐ moigner, mais plusieurs ex‐ perts doutent que ses avo‐ cats décident d'adopter cette stratégie.
Quelques-uns moins potentiels des té‐
Les procureurs n'ont pas rendu publique la liste des témoins qu'ils comptent ap‐ peler à la barre.
On s'attend à ce que le té‐ moin vedette soit
Cohen, qui s'est retourné
Michael
contre son ancien client et dont la crédibilité sera mise à rude épreuve.
Les médias américains mentionnent aussi les noms de Stormy Daniels, qui a ex‐ primé publiquement son désir de témoigner, de Karen McDougal et d'ex-cadres du groupe AMI, dont David Pe‐
cker.
Des sources d'ABC News affirment que les procureurs convoqueront d'anciens membres du cercle rappro‐ ché de Donald Trump, dont Hope Hicks, qui a notam‐ ment été la directrice des communications de sa cam‐ pagne en 2016 avant d'occu‐ per ce poste à la MaisonBlanche, de même que d'exemployés du département de comptabilité de la Trump Organization.
Les avocats de Donald Trump avaient déposé une quinzaine de requêtes pour empêcher les procureurs de convoquer certains témoins ou de montrer en cour divers éléments de preuves, mais ils ont largement été déboutés.
La cause la moins so‐ lide?
C'est le seul des quatre procès criminels dont le contexte remonte à la pé‐ riode précédant la prési‐ dence de Donald Trump et aux premiers mois de son mandat. Les accusations dans les trois autres pour‐ suites concernent des actes commis à la fin de sa prési‐ dence ou après son départ de la Maison-Blanche.
Même si ce premier pro‐ cès tourne autour de l'ingé‐ rence électorale, il est aux yeux de certains experts celui dont les accusations - falsifi‐ cation de documents - sont les moins graves.
Dans les autres dossiers, Donald Trump est notam‐ ment accusé d'avoir tenté d'invalider les résultats de la présidentielle de 2020 et d’avoir mis la sécurité natio‐ nale en danger en conser‐ vant des documents confi‐ dentiels dans sa résidence de Mar-a-Lago.
De l'avis de plusieurs ju‐ ristes, c'est par ailleurs l'in‐ culpation dont les bases juri‐ diques semblent, du moins avant la démonstration des procureurs, les plus fragiles.
Ces experts demeurent sceptiques devant la straté‐ gie du procureur du district de Manhattan de lier la falsi‐ fication de documents à d'autres crimes, une thèse qui sera plus difficile à prou‐ ver. C'est d'autant plus vrai que l'homme d'affaires n'est pas poursuivi pour ces autres crimes.
Plusieurs estiment de plus que cette cause aurait davan‐ tage dû être avancée par les procureurs fédéraux, qui à l'issue de leur enquête ont décidé de ne pas porter d'ac‐ cusations.
Un emprisonnement peu probable
Le verdict devrait être rendu d'ici l'été.
Donald Trump encourt une peine maximale d’empri‐ sonnement de 136 ans, soit quatre ans par chef d’accusa‐ tion, s’il est reconnu cou‐ pable, mais les personnes sans antécédents criminels sont généralement condam‐ nées à des peines plus courtes ou même à une mise en probation.
Les experts estiment d’ailleurs très peu probable qu’il soit condamné à la pri‐ son s'il est reconnu coupable.
Avec ce qu’on connaît de Donald Trump, tout porte à croire qu’un éventuel verdict de culpabilité ne freinerait pas ses ambitions politiques, puisque la Constitution n’in‐ terdit pas à une personne re‐ connue coupable de briguer la présidence.
S’il était élu, il ne pourrait toutefois pas s’accorder un pardon présidentiel en lien avec ce procès, car un pré‐ sident ne peut accorder son pardon que pour des crimes fédéraux.
D'éventuelles procédures d'appel risquent cependant de s'étirer jusque dans le mandat du prochain pré‐ sident, quel qu'il soit.