Israël et les périls d’une guerre ouverte avec l’Iran
Le conflit au Proche-Orient pourrait prendre une autre dimension si Israël décide à son tour de lancer une at‐ taque massive contre l'Iran. Toutefois, une guerre directe avec Téhéran est un pari risqué pour le gouver‐ nement de Benyamin Néta‐ nyahou. L’Iran est un en‐ nemi bien plus redoutable que le Hamas et a les capa‐ cités militaires de causer beaucoup de dommages. Mais à quel point peut-il faire mal à Israël?
L’attaque aérienne ira‐ nienne menée samedi contre Israël était attendue depuis quelques jours. Toutefois, sa force en a surpris plusieurs. Selon les informations four‐ nies dimanche par les autori‐ tés israéliennes, Téhéran a lancé 170 drones, plus de 30 missiles de croisière et plus de 120 missiles balistiques sur leur territoire.
C’est une frappe extrême‐ ment importante avec une panoplie complète [d’arme‐ ments] tirés de la part de l’Iran, [...] avec l’objectif de sa‐ turer les forces de défense antiaérienne israélienne, a expliqué Jérôme Pellistrandi, général de l’armée française, à l’émission Tout terrain sur ICI Première.
C’est une démonstration de force, mais le taux de réussite a été extrêmement faible, a-t-il ajouté.
En effet, 99 % des missiles et des drones ont été inter‐ ceptés avant de toucher leurs cibles.
La majorité a été intercep‐ tée au-dessus de l’Irak grâce aux forces aériennes améri‐ caines, britanniques et fran‐ çaises, qui orbitaient avec des avions de chasse, a indi‐ qué Pierre Saint-Cyr, colonel à la retraite des Forces ar‐ mées canadiennes, sur les ondes de RDI.
Le bouclier antimissile is‐ raélien, le dôme de fer, lui, s’est chargé des missiles ba‐ listiques qui étaient lancés en altitude pour retomber vers Israël d’une façon quasi verti‐ cale, a-t-il précisé.
Comme mentionné par Thomas Juneau, professeur à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l’Université d'Ottawa, les défenses antiaériennes d’Is‐ raël sont extrêmement so‐ phistiquées et performantes. Elles ont pu compter sur les services de renseignements pour contrer sans grande dif‐ ficulté les attaques de sa‐ medi.
Les gens ont eu 7, 8, 9 heures pour se préparer et se mettre à l'abri après que l’opération a été lancée, a précisé Pierre Saint-Cyr.
Bien que spectaculaire, l’attaque iranienne a causé peu de dégâts et n’a fait au‐ cune victime. Au-delà de l’ef‐ ficacité de la défense israé‐ lienne, la distance entre les deux pays réduit considéra‐ blement les chances de réus‐ site d’opération militaire comme celle lancée hier par Téhéran, soutient Dominique Trinquand, général de bri‐ gade de l’armée française et ex-chef de la mission mili‐ taire française auprès de l’ONU.
L’Iran est à 1000 km d'Is‐ raël. Donc les frappes qui sont lancées à partir de l’Iran sont immédiatement détec‐ tées par tout le dispositif américain au Moyen-Orient, ce qui a permis de détruire un bon nombre de véhicules avant même qu’ils atteignent l’espace aérien israélien.
Dominique Trinquand, gé‐ néral de brigade de l’armée française
Les frappes, en particulier des missiles de croisière et des missiles balistiques, n’ont pas atteint leurs objectifs, a poursuivi le général Trin‐ quand. Ça montre que l’Iran a des capacités relativement limitées pour frapper réelle‐ ment Israël.
Le poids des alliances
Le Proche-Orient retient maintenant son souffle en at‐ tendant la réplique promise par Israël. Plusieurs options sont étudiées par le conseil de guerre israélien, mais la plus redoutée de toutes est une attaque massive contre l’Iran, qui pourrait faire bas‐ culer les deux pays dans une guerre ouverte.
Pour procéder à une telle opération, Israël a besoin du soutien de ses alliés. Mais Dominique Trinquand doute qu’il l'obtienne compte tenu des appels répétés à la rete‐ nue et à la désescalade lan‐ cés dans les dernières heures par la communauté interna‐ tionale.
Israël dit qu’il va former une coalition [...]. Il n’y a au‐ cun doute que les États-Unis vont défendre Israël. On ci‐ tait le Royaume-Uni, la France et la Jordanie, qui sont intervenus hier, mais ils l’ont fait de façon fortuite. Pour les Français, les drones ont survolé leur base. Alors, na‐ turellement, ils les ont dé‐ truits. Mais former une coali‐ tion pour attaquer l’Iran, c’est une autre paire de manches.
Une attaque massive contre des cibles militaires ou nucléaires iraniennes pourrait également provo‐ quer un changement dans les alliances actuelles, ce qui à terme pourrait jouer contre Israël.
Techniquement, Israël est en mesure de le faire. Mais ça ne cadre pas avec ce que veulent les États-Unis, les pays du G7 et des pays arabes comme la Jordanie et l’Arabie saoudite qui ont contribué hier à la défense d'Israël. Des frappes mas‐ sives visant le programme nucléaire pourraient ressou‐ der le monde musulman au‐ tour de Téhéran.
Jérôme Pellistrandi, géné‐ ral de l’armée française
Actuellement, l’Iran est re‐ lativement isolé parmi les États du Moyen-Orient. Il compte pour alliés les membres de l’axe de la résis‐ tance, un réseau que l'Iran dirige et qui inclut une constellation d'acteurs non étatiques un peu partout dans la région, explique Tho‐ mas Juneau.
Ce sont des groupes ar‐ més, des groupes terroristes que l'Iran soutient militaire‐ ment, financièrement, politi‐ quement dans certains cas, poursuit le professeur de l’Université d’Ottawa.
Ses trois principaux alliés sont le Hamas, dans les terri‐ toires palestiniens, le Hezbol‐ lah, au Liban, et les Houthis, au Yémen. Ces trois groupes, mais surtout le Hezbollah, sont fréquemment utilisés par l’Iran dans sa guerre indi‐ recte avec Israël, qui dure de‐ puis plusieurs années.
En plus de ces trois groupes-là, il y a toute une panoplie de milices, certaines plus petites et d'autres plus larges, notamment en Irak et en Syrie. Il y a d’autres petits groupes, par exemple dans les territoires palestiniens, qui vont travailler avec l'Iran pour frapper leurs adver‐ saires communs, principale‐ ment les États-Unis, Israël et l'Arabie saoudite.
D’autres types taques à surveiller d’at‐
Le régime israélien pour‐ rait aussi opter pour l’intensi‐ fication des attaques indi‐ rectes contre l’Iran en guise de représailles.
Israël mène toutes sortes d'opérations, comme des frappes aériennes en Syrie sur des installations mili‐ taires iraniennes, mais sou‐ vent des opérations clandes‐ tines comme des assassinats, des cyberattaques, de l'es‐ pionnage, explique Thomas Juneau.
Jérôme Pellistrandi, géné‐ ral de l’armée française, évoque également d’autres
types d’attaques contre des cibles iraniennes, comme des opérations de sabotage vi‐ sant des bateaux militaires ou des usines liées au pro‐ gramme nucléaire.
Même si l’Iran ne possède pas l’arme nucléaire, des ex‐ perts croient qu’ils pour‐ raient rapidement se la pro‐ curer et la mettre au coeur de son arsenal militaire.
L’Iran est en mesure de se doter d’au moins trois bombes atomiques s’il le souhaite, dans un laps de temps relativement court, es‐ time Ferry de Kerckhove, an‐ cien ambassadeur du Ca‐ nada et professeur à l'École supérieure d'affaires pu‐ bliques et internationales de l'Université d'Ottawa.
Il y a eu tellement de re‐ cherche qui a été accomplie. Surtout, depuis que Trump a éliminé l’accord nucléaire qui a été négocié par son prédé‐ cesseur, les Iraniens ont continué à accumuler des connaissances, a-t-il indiqué en entrevue à RDI. Je suis convaincu que ça leur pren‐ drait entre trois à six mois maximum [pour se la procu‐ rer]. Et là, la donne change‐ rait complètement.