Vivre en motel à défaut de se trouver un logement
Dans les Laurentides, la pé‐ nurie de logements force des gens à habiter en mo‐ tel. Le phénomène n'est pas nouveau, car les mo‐ tels servent de lieux de transition depuis long‐ temps : entre deux démé‐ nagements, par exemple, ou lors d'une séparation quand un conjoint quitte le domicile familial. Mais le manque de logements abordables incite mainte‐ nant des gens à y vivre pendant des mois, voire des années.
Denis habite un motel à Val-David depuis plusieurs mois. Pour les mois durs de l'hiver, sinon, habituellement, j'habite dans la rue, précise-til.
Il paie 1050 dollars par mois pour une chambre, soit davantage que le chèque d'aide sociale de 850 dollars qu'il reçoit. Pour payer la dif‐ férence et pour se nourrir, Denis fait la quête dans des lieux publics des Laurentides.
À ce prix, Denis pourrait-il se louer un petit logement? Non, dit-il. Et ce n'est pas faute d'avoir essayé.
Pour un trois et demie dans le nord, présentement, il n'y a vraiment rien en bas de 1200 piastres. Quand tu dis au propriétaire que tu étais sans-abri pendant tant d'années ou itinérant, bien tu viens de te mettre des bâ‐ tons dans les roues. Ce n'est pas toi qui l'as [le logement]. Non, il y avait une liste d'at‐ tente, puis il y avait bien du monde devant toi.
Denis, résident des Lau‐ rentides qui vit en motel l'hi‐ ver
On est toujours victimes de préjugés, conclut Denis, qui ne désespère pas de trouver un logement. Il est sur une liste d'attente pour obtenir un HLM ou encore une place dans un OBNL d'habitation.
En attendant qu'une place se libère, pourrait-il vivre dans une maison de chambres? C'est une option qu'il écarte sans détour. Ça ne m'intéresse pas parce que c'est souvent des places où tu trouves du monde qui a des problèmes de consom‐ mation. Moi, j'essaie de me tenir loin de cela parce que ça évite bien des problèmes, explique-t-il.
En plus, le prix d'une chambre dans une maison de chambres privée serait à peine inférieur à ce qu'il paie en ce moment. Il a donc choisi un motel calme, où il dispose d'une grande chambre et d'une salle de bain.
Du soutien
Denis est aidé dans ses démarches par l'organisme L'Écluse des Laurentides, qui dispose de 13 travailleurs de rue pour couvrir la région. Mélanie Bolduc en fait partie. C'est elle qui s'occupe de De‐ nis. Des gens qui se logent en motels, il y en a de plus en plus, constate-t-elle.
Je ne sais plus si cela a doublé ou triplé. Avant, on parlait beaucoup de consom‐ mation, de cas de santé men‐ tale. Ce n'est plus juste ça, c'est monsieur, madame Tout-le-Monde. C'est un grand-père, c'est un oncle, c'est un père de famille, c'est une mère.
Mélanie Bolduc, tra‐ vailleuse de rue
Devant un motel de Sainte-Adèle, Robert confie qu'il préférerait lui aussi se trouver un logement. Il décrit le motel où il habite comme un lieu bruyant où il y a par‐ fois des bagarres. Trop de clients ont une combinaison de problèmes de consomma‐ tion de drogue et de troubles de santé mentale, résume-til.
Pendant que Robert parle, un autre locataire sort fumer une cigarette sur sa galerie tout en tenant son déambu‐ lateur. L'homme âgé préfère ne pas être nommé et dit at‐ tendre le retour du beau temps pour retourner vivre dans sa camionnette aména‐ gée. Lui aussi songe à retour‐ ner vivre en logement depuis que des ennuis de santé l'ont forcé à troquer sa canne contre un déambulateur.
Des gens d'un certain âge qui vivent en motel ou dans leur véhicule, la travailleuse de rue Mélanie Bolduc en voit de plus en plus. Les mai‐ sons de chambres sont pleines, mais de toute façon, pour des personnes âgées, une maison de chambres, ce n'est pas vraiment leur place, dit-elle.
Peu d'options
La directrice de L'Écluse des Laurentides, Émilie Rou‐ leau, constate pour sa part qu'une clientèle se fige dans les motels. Des gens qui avant se trouvaient un loge‐ ment ne sont maintenant plus capables de s'en trouver faute d'options, note-t-elle.
Cette situation engendre des effets pervers, car les motels qui acceptaient une clientèle vulnérable, souvent des établissements vétustes installés en bordure de routes passantes, comme la route 117 dans les Lauren‐ tides, affichent maintenant complets.
De nouvelles personnes peuvent donc difficilement s'y loger puisque le roule‐ ment est faible. Ceux qui y habitent n'arrivent pas à quit‐ ter le motel.
« Cette situation a des ré‐ percussions sur le moral des gens qu'on aide », dit Sté‐ phane Cardi, lui aussi tra‐ vailleur de rue à L'Écluse des Laurentides.
D'entrée de jeu, Stéphane Cardi définit son travail comme la création de liens et d'espoir auprès de gens dé‐ munis et vulnérables. Il rap‐ pelle que le motel est un lieu de transit, un tremplin vers autre chose.
[Le motel] c'est juste pour sortir d'où tu es, que ce soit la rue ou un campement dans le bois. De là, tu vas pouvoir continuer à cher‐ cher. Mais quand on conti‐ nue à chercher et qu'il n'y a rien à trouver, bien ça de‐ vient l'aboutissement.
Stéphane Cardi, tra‐ vailleur de rue à L'Écluse des Laurentides
Si le motel ne peut plus servir de tremplin, cela montre l'ampleur de la crise du logement, souligne-t-il.
Envoyés au motel par le CISSS
Les organismes commu‐ nautaires ne sont pas les seuls à considérer le motel comme une option valable, bien que temporaire, pour se loger. Le CISSS des Lauren‐ tides dirige aussi des gens vers des motels.
Les placements varient normalement d'une nuitée à quelques jours et très rare‐ ment à quelques semaines, écrit Juliette Lacasse, conseillère en communica‐ tions du CISSS.
Le placement en motel ne permet pas un accompagne‐ ment optimal des personnes et les coûts associés sont éle‐ vés. Il s’agit d’une mesure ex‐ ceptionnelle et temporaire en contexte particulier, ajoute-t-elle.
À ce sujet, l'une des plus importantes maisons de chambres des Laurentides est actuellement en proces‐ sus de fermeture, et le CISSS reconnaît que l'option du motel est envisagée pour lo‐ ger temporairement les gens qui se font expulser.
Le CISSS est cependant moins pessimiste que les or‐ ganismes communautaires en ce qui a trait à la possibi‐ lité de sortir des motels pour se trouver un véritable loge‐ ment.
Au cours des dernières années, plusieurs personnes ayant fait le choix de vivre dans des motels ont été en mesure de trouver un loge‐ ment permanent à la suite de l’accompagnement du pro‐ gramme ESPOIR (Équipe de suivi de proximité offrant de l'intervention en réinsertion), et ce, même considérant la faible disponibilité des loge‐ ments dans la région des Laurentides, déclare-t-il.