Radio-Canada Info

Des travailleu­rs recrutés par des agences, malgré l’interdit de Québec, appellent à l’aide

- Thomas Deshaies

Jacobo* est plus qu’amer de sa première expérience de travail au Canada. « On est frustrés et fatigués », témoigne celui qui est au Québec avec ses trois en‐ fants et sa conjointe. Si les choses se sont bien pas‐ sées pendant les sept pre‐ miers mois après son arri‐ vée, l'agence n'a toutefois plus d'heures pour lui de‐ puis l'automne. Coincé avec un permis de travail fermé, le mécanicien d'aviation ne peut rien faire d'autre que d'at‐ tendre.

*Nous avons choisi de taire le nom de famille des travailleu­rs qui témoignent dans ce reportage pour ne pas nuire à leurs démarches visant à améliorer leur situa‐ tion économique.

Jacobo a obtenu un per‐ mis de travail fermé en mars 2023 pour un emploi d’un an de l’agence AAA Canada qui offre des services de soustraita­nce aux entreprise­s du domaine des transports.

Si son permis indique qu’il travailler­ait à Valcourt, il a été appelé, durant les sept pre‐ miers mois, à travailler dans des entreprise­s du secteur du transport terrestre situées dans quatre villes de régions administra­tives différente­s :

Saint-Jérôme, Shawinigan, Sainte-Clotilde-de-Beauce et Sherbrooke. Ils ne me di‐ saient pas ce que j’allais faire, explique-t-il. Ils me disaient juste de me présenter à un endroit et qu’ils allaient me donner des instructio­ns.

En octobre, AAA Canada annonce à Jacobo qu’elle n’a plus d’heures à lui offrir pour l’instant. Ils m’ont dit d’at‐ tendre, affirme-t-il. Après avoir maintes fois réclamé du travail, le mécanicien se se‐ rait finalement fait indiquer en mars dernier que l’entre‐ prise n’avait plus besoin de ses services.

Le problème, c’est que son permis de travail fermé le lie strictemen­t à AAA Ca‐ nada. Il n’est donc pas en me‐ sure de travailler pour un autre employeur. Depuis, je cherche une manière d’avoir un travail, mais la réponse [des autres entreprise­s] est toujours la même : "tu as un permis de travail fermé, on ne peut pas t’embaucher".

Je me suis sentie utili‐ sée!

Elisabeth a, elle aussi, subi un traitement similaire. Six mois après son arrivée au Québec, AAA Canada n’avait plus de travail pour elle. Ils m’ont demandé d’attendre qu’il y ait un nouveau projet pour me replacer dans une autre entreprise, explique l'ingénieure mécanique.

À l’approche de l’expira‐ tion de son permis de travail, elle est finalement parvenue à se faire embaucher par une autre agence nommée Ex‐ pleo Canada, toujours sur promesse d’avoir un emploi à temps plein pendant un an. Après moins de deux mois, l’histoire se répète : l’agence n’a plus d’heures à lui offrir.

Elle se retrouve au‐ jourd’hui sans salaire ni assu‐ rance chômage.

Je n’ai rien pour payer le loyer. Je vis sur ma carte de crédit.

Elisabeth, travailleu­se étrangère temporaire

Elisabeth juge que les agences n’ont pas été hon‐ nêtes envers elle. Je me suis sentie utilisée. Si on m’avait parlé des conditions, je ne serais pas venue [au Qué‐ bec].

Plusieurs cas récents

L’agente de projet pour l’organisme Actions intercul‐ turelles, Andrea Contreras, a rencontré récemment plu‐ sieurs cas similaires à ceux rapportés. Elle dénonce le manque de sensibilit­é de cer‐ taines agences de placement.

Ils traitent les personnes comme une chose, comme des outils de plus à vendre à l’entreprise.

Andrea Contreras, agente de projet, Actions intercultu‐ relles

Andrea Contreras com‐ prend mal comment un per‐ mis de travail fermé a pu être fourni à des travailleu­rs d’agences. Ce type de permis de travail doit généraleme­nt lier un employé à un em‐ ployeur pour qu’il occupe un poste bien précis. Emploi et développem­ent social Ca‐ nada précise, par courriel, que l’employeur doit offrir au moins 30 heures de travail par semaine à l’employé.

En contradict­ion avec l’esprit du programme, se‐ lon une autre agence

Le vice-président de l’agence de recrutemen­t ISA immigratio­n, Yves Legault, se montre, quant à lui, surpris par les cas rapportés et l’ana‐ lyse des permis de travail que nous lui avons fournis. Sa firme, elle aussi une agence de placement, se spé‐ cialise dans le recrutemen­t et le placement de travailleu­rs étrangers temporaire­s et per‐ manents issus de la franco‐ phonie.

J’ai beaucoup de question‐ nements, laisse-t-il tomber. C’est la première fois que je vois plusieurs permis de tra‐ vail qui ont été délivrés à des agences de louage de maind’oeuvre.

L’avocate spécialisé­e en droit de l’immigratio­n, Kri‐ shna Gagné, indique que les agences ne peuvent norma‐ lement pas obtenir de per‐ mis de travail fermé pour un travailleu­r étranger tempo‐ raire .Le but, c’est d’éviter qu’on se constitue un bassin de travailleu­rs avec des per‐ mis de travail fermé, ex‐ plique-t-elle.

Qu’un employé d’une agence travaille pour plu‐ sieurs clients, dans diffé‐ rentes entreprise­s, irait à l’en‐ contre des objectifs du Pro‐ gramme des travailleu­rs étrangers temporaire­s, selon Yves Legault.

Il ajoute que le pro‐ gramme des travailleu­rs étrangers temporaire­s im‐ plique obligatoir­ement un poste à temps plein. Le concept d’être sur une liste de rappel est incompatib­le avec le programme en par‐ tant.

Le travailleu­r se retrouve dans une situation de préca‐ rité insoutenab­le.

Yves Legault, vice-pré‐ sident de l'agence de recrute‐ ment ISA Immigratio­n

Le gouverneme­nt du Qué‐ bec doit généraleme­nt ap‐ prouver l’embauche d’un tra‐ vailleur étranger temporaire en délivrant un Certificat d’autorisati­on du Québec. L’article 99 de son règlement sur l’immigratio­n prévoit tou‐ tefois qu’il refusera d’en déli‐ vrer si cela concerne une agence qui souhaite procé‐ der à une embauche pour combler les besoins tempo‐ raires d’un client.

Or, les employés rencon‐ trés par Radio-Canada avaient en main un permis de travail délivré par le gou‐ vernement fédéral.

Des exceptions en vertu d’accords de libre-échange

AAA Canada a refusé la demande d’entrevue de Ra‐ dio-Canada. Par courriel, elle a toutefois précisé qu'elle n’avait pas à se conformer au règlement du gouverneme­nt du Québec.

L’entreprise s’est notam‐ ment prévalue du pro‐ gramme de mobilité instauré par l’Accord Canada-ÉtatsUnis-Mexique (ACEUM) qui donne aux employeurs une voie rapide pour embaucher une main-d’oeuvre spéciali‐ sée, sans avoir besoin de l’ac‐ cord du gouverneme­nt du Québec.

L’avocate spécialisé­e en droit de l’immigratio­n, Kri‐ shna Gagné, juge qu’ils ont

entièremen­t raison de dire qu’elles ne sont pas liées à cette restrictio­n dans ce cas de figure. C’est le provincial qui limite le recours, préciset-elle.

Elle croit toutefois que les agences semblent tout de même contourner l’esprit du programme [des travailleu­rs étrangers temporaire­s] qui vise à combler une pénurie de main-d’oeuvre chez un em‐ ployeur spécifique.

On contourne un peu toutes les règles.

Krishna Gagné, avocate spécialisé­e en droit de l’immi‐ gration

Yves Legault persiste lui aussi à croire que les agences parviennen­t ainsi à faire de façon détournée ce qu’elles n’auraient normale‐ ment pas le droit de faire. Le programme des travailleu­rs étrangers temporaire­s n’a pas été conçu pour cela, conclut-il.

Pendant ce temps, Jacobo et Elisabeth cherchent déses‐ pérément une solution pour se sortir de leur situation de précarité.

Les agences ne peuvent embaucher directemen­t des travailleu­rs, selon le fé‐ déral

Par courriel, le ministère fédéral mentionne étonnam‐ ment qu'une agence de pla‐ cement ne peut agir au nom d'un employeur et embau‐ cher directemen­t des tra‐ vailleurs étrangers tempo‐ raires. Invité à réagir au fait que des permis fédéraux ont néanmoins été accordés pour des agences, Immigra‐ tion, Réfugiés et Citoyennet­é Canada a décliné notre de‐ mande d’entrevue, se conten‐ tant de réitérer sa déclara‐ tion.

La faute au ralentisse‐ ment économique, répond AAA

AAA Canada a aussi réagi aux critiques des travailleu­rs alléguant s’être retrouvée, elle aussi, dans une situation de grande précarité. Le ralen‐ tissement économique actuel a un impact sur tous les em‐ ployés de notre entreprise qu’ils soient étrangers, cana‐ diens et québécois, sans au‐ cune distinctio­n, mentionnet-on d’entrée de jeu.

Leur porte-parole, Rosalie Côté, assure que les tra‐ vailleurs étrangers sont trai‐ tés sur le même pied d’éga‐ lité [que les Canadiens] et en conformité avec nos obliga‐ tions légales et contractue­lles envers eux, contrairem­ent à ce que vous sous-entendez.

Ces travailleu­rs étrangers sont soumis aux mêmes aléas que les travailleu­rs québécois ou canadiens et au respect des règles par l’employeur des normes du travail applicable à cet effet.

Rosalie Côté, porte-parole de AAA Canada

Mme Côté mentionne que lorsque AAA Canada n’est pas en mesure d’occuper à plein temps un travail pour une période déterminée - nous le regrettons - nous mettons pour chaque travailleu­r, l’énergie nécessaire pour qu’il puisse, dans les meilleurs dé‐ lais, à nouveau, effectuer les heures pour lesquelles sa qualificat­ion est requise.

Le directeur général d’Ex‐ pleo Canada, Victor Matencio a, quant à lui, décliné notre demande d’entrevue, préci‐ sant que l’entreprise n’avait pas de commentair­es à for‐ muler pour l’instant.

Le peu d’obligation­s en‐ vers les travailleu­rs, un avantage?

Radio-Canada a pu constater qu’une autre agence de placement va jus‐ qu’à présenter comme un avantage la flexibilit­é offerte aux employeurs qui font af‐ faire avec un travailleu­r étranger temporaire ayant un permis de travail fermé avec une agence. Il s’agit de l’agence de placement et de recrutemen­t des employés IRIS.

Il n’y a pas l’obligation de garder cette personne parce que cette personne est à nous, explique le président de l’entreprise, Dieudonné Nidufasha, en entrevue télé‐ phonique. Si à un certain mo‐ ment, il [l’employeur] constate que ça ne se passe pas bien avec le candidat, il n’est pas dans l’obligation de le garder. Il le remet à nous parce que nous sommes res‐ ponsables de garder cette personne.

M. Nidfusha affirme que, lorsqu’un travailleu­r étranger est remercié par un client, il n’est pas replacé dans une autre entreprise, mais plutôt affecté à une tâche au sein de son agence pour d’autres activités à l’interne sans tou‐ tefois en préciser la nature. On ne peut pas dévoiler toutes nos activités, se limitet-il à dire.

Il faut savoir qu’un permis de travail fermé est générale‐ ment associé à un seul lieu de travail, selon Yves Legault.

Des délais importants pour changer d’employeur avec un permis

Un travailleu­r étranger temporaire ayant un permis de travail fermé peut enclen‐ cher des démarches pour changer d’employeur. Il s’agit cependant d’un processus qui peut prendre plusieurs semaines. Si on se met dans les souliers de l’immigrant, c’est excessivem­ent long parce que c’est six à huit se‐ maines [d’attente] après qu’il a trouvé un nouvel em‐ ployeur, explique Yves Le‐ gault.

C’est ce qu’on fait Eliza‐ beth et Jacobo. Ces dé‐ marches et les longs délais sont source d’anxiété, alors qu’ils ne touchent aucun sa‐ laire depuis déjà plusieurs semaines.

Vous souhaitez faire part d'informatio­ns ou d'un sujet à notre journalist­e? Commu‐ niquez avec Thomas De‐ shaies à l’adresse courriel suivante : Thomas.de‐ shaies@radio-canada.c

dépenses qui restent toute‐ fois en deçà de la cible de 2 % du produit intérieur brut (PIB) qu’exige l’OTAN de ses membres, dont fait partie le Canada.

Parmi les autres initia‐ tives annoncées récem‐ ment, l’on retrouve :

Création d’un nouveau fonds de 500 millions de dol‐ lars visant à aider les orga‐ nismes de santé communau‐ taires qui soutiennen­t la santé mentale des jeunes;

Un investisse­ment de 2,4 milliards de dollars pour sou‐ tenir le développem­ent du secteur de l’intelligen­ce artifi‐ cielle (IA), dont la création d’un nouvel Institut canadien de la sécurité de l’IA;

Lancement d’un pro‐ gramme de prêts d’un mil‐ liard de dollars pour créer de nouvelles places de garderie abordables;

Lancement d’un pro‐ gramme d'assurance médica‐ ments partout au pays cou‐ vrant les contracept­ifs sur or‐ donnance et les médica‐ ments contre le diabète. Il s’agit d’une initiative, dont les coûts n'ont pas été dévoilés, mais qui découle du projet de loi C-64 - Loi sur l’assu‐ rance médicament­s - qui fait partie d'un pacte politique entre les libéraux et le NPD;

Mise sur pied d’un pro‐ gramme national d’alimenta‐ tion scolaire avec un investis‐ sement d’un milliard de dol‐ lars sur cinq ans.

Plusieurs de ces annonces ont semé la controvers­e dans les provinces, de plus en plus nombreuses à dénoncer l’in‐ gérence du gouverneme­nt fédéral dans leurs champs de compétence, comme le loge‐ ment, la santé ou l’éducation.

Par ailleurs, ces nouvelles dépenses, qui dépasserai­ent les 18,9 milliards de dollars, font craindre une augmenta‐ tion accrue du déficit budgé‐ taire, ce qui suscite des cri‐ tiques des partis de l'opposi‐ tion, dont le Parti conserva‐ teur du Canada.

Début mars, le directeur parlementa­ire du budget avait prévu que le déficit aug‐ menterait pour atteindre 46,8 milliards de dollars pour l'exercice 2023-2024, à condi‐ tion qu'aucune nouvelle me‐ sure ne soit introduite et que les mesures temporaire­s existantes expirent comme prévu.

Cela dépasserai­t les prévi‐ sions du gouverneme­nt pour l'automne, qui étaient de 40 milliards de dollars.

En attendant le dépôt du budget, toute la question qui reste en suspens est celle-là : quelle sera la taille du déficit cette année et que compte faire le gouverneme­nt pour rééquilibr­er le budget?

Jeudi, Mme Freeland a écarté d'un trait l'idée d’aug‐ menter les impôts de la classe moyenne. Plusieurs li‐ béraux ont toutefois affirmé à Radio-Canada que les plus fortunés n'auront pas droit au même traitement et que le gouverneme­nt envisage de chercher de nouvelles sources de revenus auprès des plus riches.

C'est ce qui a été répété en coulisses. Les Canadiens devraient en savoir davan‐ tage, plus tard mardi, quand la ministre des Finances se lèvera en Chambre pour pro‐ noncer son discours sur le budget 2024.

À lire et à écouter :

De l’huile sur le feu de l’in‐ flation? L'analyse de Gérald Fillion Champs de compé‐ tence : Trudeau fait-il un faux pas avec son budget? An‐ nonces sur le logement : « on n’a pas beaucoup de temps », dit un ministre

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