Iran-Israël : la désescalade est-elle possible?
La réplique massive, tôt di‐ manche matin, de l’armée iranienne contre le terri‐ toire israélien, en réponse à la frappe meurtrière du 1er avril contre le consulat d’Iran à Damas, ouvre-t-elle la voie à une escalade pire que tout ce qu’on a vu jus‐ qu’à maintenant? À une guerre ouverte et directe entre ces deux ennemis ir‐ réductibles depuis bientôt 50 ans, mais qui s’étaient jusque-là limités à des frappes « de côté » ou à des opérations par agents interposés?
Autrement dit, pour re‐ prendre l’expression catastro‐ phiste désormais banale et consacrée : pourrions-nous assister, demain, à un em‐ brasement général du Moyen-Orient?
C’est aussi effrayant que possible, mais ce n’est pas certain. Tout dépend du choix que feront maintenant les officiels israéliens, entre une réponse maximaliste et une réponse minimaliste. Et aussi, de l’influence qu’auront ou non les autorités améri‐ caines, qui plaident ouverte‐ ment pour la retenue, mais dont les exhortations pas‐ sées, face à la tragédie de Gaza, n’ont eu que peu d’ef‐ fets sur les radicaux et les su‐ prémacistes en poste à Jéru‐ salem.
Le pire a été évité
En l’absence de cette dé‐ fense antiaérienne extraordi‐ nairement efficace - presque 100 % des 300-325 drones, missiles balistiques et mis‐ siles de croisière iraniens ont été interceptés dimanche matin - les dommages maté‐ riels et humains à Israël au‐ raient pu être importants. Et dans un tel cas, l’équation se‐ rait aujourd’hui très diffé‐ rente. Elle serait alors basée, comme pour le 7 octobre, sur une réponse impitoyable et décuplée à une véritable agression sanglante.
Or, agression sanglante il n’y a pas eu, dans cette nuit du 13 au 14 avril. Le bilan hu‐ main de l’attaque est voisin de zéro : une seule personne, une fillette bédouine vivant dans le désert du Néguev (au sud), a été blessée. Et non pas, semble-t-il, par une frappe directe de l’Iran, mais par une retombée de la dé‐ fense antiaérienne d’Israël.
Considérer une réplique strictement en fonction d’un tel bilan pourrait donc signi‐ fier des représailles symbo‐ liques, de faible intensité, et la voie possible vers une désescalade du conflit.
C’est ce que préconise Washington, qui a fait valoir à son allié israélien que la réus‐ site à presque 100 % du bou‐ clier antiaérien est en soi une réponse et une victoire face à l’agression iranienne.
Une possible déclaration de guerre
Si, au contraire, Israël dé‐ cide de répondre à ce qui est tout de même une attaque massive et sans précédent d’un État hostile, qui dans sa rhétorique officielle préco‐ nise toujours l’éradication de l’État juif, alors tout change.
Les raids de samedi soir deviennent une agression in‐ ouïe, symboliquement énorme, à laquelle toute ré‐ ponse adéquate doit être maximale, se rapprochant d’une véritable déclaration de guerre.
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Dans un tel cas de figure, Nétanyahou pourrait com‐ mander des représailles mas‐ sives sur le territoire iranien, y compris contre ses installa‐ tions nucléaires, qui sont la hantise et la bête noire d’Is‐ raël, lui-même un État doté de la bombe atomique, alors que l’Iran est réputé capable de produire une arme nu‐ cléaire, à l’horizon d’un an ou deux.
On entrerait alors dans un univers nouveau, avec une guerre directe et ouverte entre Israël et l’Iran, et des ramifications internationales qui pourraient impliquer les États-Unis, la Russie, la Chine et l’Europe. L’embryon d’une guerre régionale, voire mon‐ diale.
Il est donc capital, pour bien comprendre cet épi‐ sode, de souligner et de prendre en compte le carac‐ tère minimal des dommages infligés dimanche matin à Is‐ raël.
Un coup publicitaire plus que militaire
Il manque encore un dé‐ tail capital sur ce point : à sa‐ voir, que tout cela n’était pas par hasard! Au contraire, telle était l’intention probable des Iraniens : faire un beau coup d’éclat, un coup publicitaire, pouvoir claironner : Nous nous tenons debout face à l’ennemi sioniste. Mais sans tuer personne, pour ne pas s’attirer ensuite le feu du ciel venu d’Israël.
Après l’outrage du 1er avril, Téhéran souhaitait, d’abord et avant tout, y aller d’une démonstration de force à usage intérieur, mais aussi à la face du monde arabo-musulman, dont l’Iran se prétend le porte-flam‐ beau…
De ce point de vue, après cette attaque meurtrière d’Is‐ raël contre un consulat (16 morts, dont deux généraux iraniens, plus une destruc‐ tion totale du bâtiment), il fallait absolument faire quelque chose, répliquer, avec une certaine envergure, pour ne pas sombrer dans la défaite morale et la perte de prestige, voire l’humiliation et l’insignifiance.
Il fallait le faire, tout en ca‐ librant soigneusement la ré‐ ponse. Une réponse qui se devait d’abord et avant tout d’être visible, à grand renfort de tambours : tel était le but premier de toute l’opération. L’attaque a été annoncée, puis elle a été revendiquée et pointilleusement reliée par Téhéran à la frappe du 1er avril. C’était l’essentiel.
C’est tellement vrai que dans la communication offi‐ cielle iranienne, l’épisode est aujourd’hui présenté comme un brillant succès. On a filmé des scènes de réjouissances à Téhéran. Tout cela, malgré l’efficacité de facto nulle, voi‐ sine de 0 %, de toute l’expédi‐ tion.
Autrement dit, l’affaire a été davantage conçue comme une opération de re‐ lations publiques que comme un raid militaire, le‐ quel a été mis totalement en échec par les défenses israé‐ liennes.
Israël a été averti
Un dessin, mis en ligne le 14 avril, d’Ali Ferzat, célèbre caricaturiste syrien (torturé par le régime de Bachar AlAssad au début de la révolte démocratique de 2011, il a ensuite choisi l’exil), fait voir un Ali Khamenei, le guide su‐ prême iranien, qui téléphone à Nétanyahou : l’Iranien in‐ dique à l’avance à l’Israélien le type de missiles, l’heure et les cibles choisies!
Une caricature, mais à peine : on sait que Téhéran a effectivement informé plu‐ sieurs voisins d'Israël l’Égypte, la Jordanie - de ses intentions, afin qu'ils puissent l'avertir.
La prouesse technique de cette défense antiaérienne, épaulée pour l’occasion par des avions américains, bri‐ tanniques et autres, était certes remarquable. Quant à la supériorité militaire d’Is‐ raël sur l’Iran, elle paraît évi‐ dente.
Il n’empêche, sans la soi‐ gneuse mise en scène de Té‐ héran, sans ses avertisse‐ ments savamment distillés, avec une attaque - pourraiton dire - presque program‐ mée pour échouer militaire‐ ment, la situation serait très différente aujourd’hui et au‐ trement dramatique.
Reste la question capitale : Israël va-t-il embarquer, et saisir cette perche de la désescalade lancée par l’en‐ nemi juré? Les Américains fe‐ ront-ils entendre raison à leurs chers alliés, en leur si‐ gnifiant clairement qu’ils ne veulent pas d’un conflit ou‐ vert contre l'Iran?
Réponse dans les pro‐ chains jours, au cabinet de guerre israélien…