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Incursion historique et artistique dans les ruines de la Belgo

- Katy Cloutier

Faire apparaître du beau là où plusieurs ne voient que les vestiges d’une époque révolue : voilà l’une des motivation­s à l’origine du projet Belgo, qui prend la forme ces jours-ci d’une ré‐ édition d’un livre documen‐ taire et d’une exposition à l’atelier Factrie 701, situé dans le secteur de GrandMère, à Shawinigan.

Une quinzaine de photo‐ graphies rétroéclai­rées sont suspendues sur des cadrages de matériaux recyclés, sur les murs d’une salle de la Factrie 701. Ce style un peu dur qui rappelle les ruines d’une usine, c’est ce qui s’est im‐ posé aux artistes Cyndie Le‐ may et Grégoire Cusson, deux des photograph­es du collectif qui a pondu le projet Belgo.

Le support est très indus‐ triel, dans l'idée de ne pas dénaturer le projet, raconte l'instigatri­ce, Cyndie Lemay. L’idée, c’est de le rendre tel que nous, on l’a vécu. Ce qui est venu nous chercher, ce n’est pas de l'ordre du com‐ mun, du quotidien. C'est jus‐ tement cette expérience-là qui nous plonge dans un autre monde.

Quand on est là-bas, on est comme dans un espèce d'univers postapocal­yptique.

Cyndie Lemay, artiste mul‐ tidiscipli­naire, instigatri­ce du projet Belgo

De ce monde, Cyndie Le‐ may a d’abord retenu une vastitude. Et puis, tous les graffitis, c’est juste… in‐ croyable, exprime-t-elle.

Les ruines de la rési‐ lience

Au milieu des années 2010, Cyndie Lemay a vécu un deuil qui l’a plongée dans une sorte de paralysie artis‐ tique. Après trois ans d’inca‐ pacité à créer, elle a choisi de retourner vers la photogra‐ phie, son premier amour, pour se reconnecte­r avec son processus créateur. Elle de‐ vait développer un autre pro‐ jet, mais au fur et à mesure qu’elle circulait devant le site de la Belgo, des détails ont attiré son attention.

Puis, un bon jour, elle dé‐ cide de s’arrêter le long de la route 153. À un moment donné, je me suis mise à prendre des photos du bord de la rue, se souvient-elle. Après quelques fois, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à aller voir. Je me suis aventurée et mon projet a complèteme­nt changé.

C’était en 2017. Les dé‐ combres de la Belgo sont ainsi devenus les ruines de la résilience dans l’objectif de Cyndie Lemay.

J'ai commencé à photo‐ graphier des détails, parce que ce n'est pas vrai que photograph­ier des plans larges, ça rend justice à ce que je vis quand je suis làbas, poursuit-elle. Ce qui m'a vraiment frappée, c'est à quel point j'étais toujours en train de regarder en haut ou en bas, parce qu'il y avait telle‐ ment de choses à voir par‐ tout, il y avait tellement de petits détails de beauté brute, puis de nature, avec la petite mousse qui poussait à l’intérieur du bâtiment. Il y a maintenant des chevreuils qui se promènent à cet en‐ droit.

Il y a quelque chose de sa‐ voureux là-dedans, et de ma‐ gnifique.

Cyndie Lemay, artiste mul‐ tidiscipli­naire, instigatri­ce du projet Belgo

Un complexe industriel immense envahi par les ar‐ tistes

Depuis plusieurs années, nombreux sont les artistes et les graffiteur­s qui osent cette aventure risquée dans les dé‐ combres de l’ancienne pape‐ tière.

Les gens qui ont com‐ mencé à détruire sont partis sans avoir fini leur travail et là sont arrivés les graffiteur­s, puis la couleur a commencé à émerger un peu partout; je trouvais ça absolument ma‐ gique, décrit Cyndie Lemay.

Une magie qu’elle a voulu partager avec d’autres ar‐ tistes, comme Grégoire Cus‐ son, qui s’est joint au projet vers 2020.

Mon oeil, ma vision, ce n'est pas suffisant pour rendre l'expérience, justifie-telle. J'avais besoin de l'oeil de quelqu'un d'autre. Grégoire s'est mis à documenter, à faire des plans très rappro‐ chés des graffitis, parce que c'est ça qui l'intéressai­t. Moi, j'étais beaucoup dans l'idée de la nature qui reprend ses droits, de la couleur, de l'art.

Puis, le besoin de parta‐ ger à une plus grande échelle s’est graduellem­ent mani‐ festé et spontanéme­nt, le support du livre s’est imposé.

Le livre permet de mon‐ trer beaucoup d’images dans un objet qui n’est pas si gros que ça et que les gens peuvent rapporter à la mai‐ son pour se l’approprier, le consulter et le reconsulte­r, avance Cyndie Lemay. Il y a quelque chose de la trace, de la mémoire aussi, de l'ar‐ chive. En même temps, la Belgo était une usine de pâtes et papiers, donc pour‐ quoi ne pas faire un livre pour présenter cette oeuvre?

Une première édition du projet Belgo est imprimée en 2022. Comme le site est en constante évolution, une ré‐ édition bonifiée est aujour‐ d'hui proposée au public, en même temps que l’exposition d'une partie des oeuvres qu'il contient, et aussi, de photos inédites.

Pour bâtir l’exposition, la photograph­e a dû effectuer un tri minutieux parmi les milliers de clichés captés de‐ puis sept ans dans les ruines de l’usine fermée en 2007, autant par elle que par d’autres, comme Grégoire Cusson ou Valérie Guimond.

Ces photograph­ies mettent en lumière diffé‐ rentes oeuvres créées par des artistes d’ici et d’ailleurs dans les vestiges de la pape‐ tière, tantôt des graffitis, tan‐ tôt des sculptures fabriquées sur place à partir de maté‐ riaux récupérés sur le site, tantôt de la végétation qui s’infiltre dans les décombres.

Montrer le beau du malaimé

Dans ce livre documen‐ taire, des centaines de pho‐ tographies représente­nt le passé et le présent. À travers celles-ci s’entremêlen­t des pans de l’histoire de la Belgo, telle que vue par les artistes collaborat­eurs.

Il y a tellement de gens qui ont chialé sur la démoli‐ tion de la Belgo, sur com‐ ment ça se passe, et nous, on y a vu une occasion de tra‐ vailler avec le beau, le beau de ce qui est là, détaille Cyn‐ die Lemay. On est allés cher‐ cher les regards de plein de gens.

L’artiste a voulu unir sa sensibilit­é à celle de ses col‐

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