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La Cisjordani­e dans l’objectif de l’artiste palestinie­nne Rehab Nazzal

- Aïda Semlali

Dix années durant, l’artiste palestinie­nne Rehab Naz‐ zal a sillonné les routes de la Cisjordani­e et immorta‐ lisé son périple. Les photos et vidéos de ce projet sont exposées jusqu'au 18 mai à la galerie SAW, dans le cadre de l’exposition Tra‐

jets en Palestine.

Figés sur des clichés en noir et blanc, caméras, tours de guets et ballons de sur‐ veillances scrutent les visi‐ teurs. Côtoyant ces natures mortes, des vidéos convoquent, au contraire, le mouvement, faisant défiler la route, des paysages et un in‐ terminable mur. L’ensemble documente la Cisjordani­e telle que Rehab Nazzal l’a dé‐ couverte, photograph­iée et filmée de 2010 à 2020.

J’ai énormément de maté‐ riel. Ce qui est présenté là n’en est qu’une fraction, sou‐ ligne l’artiste visuelle qui se définit aussi comme activiste, dans la mesure où sa dé‐ marche artistique implique à ses yeux une forme de res‐ ponsabilit­é et d’engagement.

Observer

Née à Jénine, Rehab Naz‐ zal grandit dans cette partie de la Palestine et étudie plus tard à l’Université de Damas, en Syrie. Quand j’ai fini mes études, les Israéliens m’ont empêchée de retourner en Palestine chez moi, auprès de ma famille, témoigne l’ar‐ tiste.

Elle retrouvera sa terre natale une vingtaine d’an‐ nées plus tard, après avoir émigré au Canada. Elle y re‐ tourne en 2005 en tant que Canadienne, avec un visa. Au bout d’une année, elle par‐ vient à obtenir de nouveau [ses] papiers d’identité, ex‐ plique-t-elle. À présent, je peux m’y rendre n’importe quand.

Le projet Trajets en Pales‐ tine commence à se dessiner peu après ce retour tant at‐ tendu. Au fil de déplace‐ ments entre Bethléem, où Rehab Nazzal enseigne, et Jé‐ nine, où vit sa famille, elle choisit d’emprunter de ma‐ nière alternée, sur quelque 128 km, les deux possibles routes qui s’offrent à elle. Simplement pour voir à quoi ressemblai­t les paysages, à quoi ressemblai­t la vie. C’est comme ça que tout a com‐ mencé, précise-t-elle.

Documenter

Éprise très jeune de des‐ sin et de peinture, l'artiste se souvient du moment où elle a privilégié une approche do‐ cumentaire.

La photograph­ie, la vidéo, le son rejoignent davantage les gens et, quelque part, re‐ présente la situation de ma‐ nière plus objective qu’un dessin ou une peinture.

Rehab Nazzal, artiste vi‐ suelle

Dans ses pérégrinat­ions en Cisjordani­e, son appareil photo ne la quitte pas. C’est ainsi que je me suis attelée à documenter tout ce que je pouvais voir par la fenêtre, se souvient-elle.

Progressiv­ement, ce pro‐ jet à la fois artistique et docu‐ mentaire prend forme à bord de véhicules en mouvement. Il est trop risqué, dit-elle, de s’arrêter pour prendre cer‐ taines photos, comme les tours de surveillan­ce.

Hormis un des chauffeurs l’ayant accompagné­e durant un de ses trajets, visage fermé à l’approche d’un point de contrôle, les photos et vi‐ déos de Rehab Nazzal portent avant tout sur la terre, les infrastruc­tures de surveillan­ce et la restrictio­n de mouvement, afin de mettre en évidence un terri‐ toire où la liberté de mouve‐ ment est contrainte.

Sa cueillette se déroule uniquement en Cisjordani­e car ses papiers d’identité ne lui permettent pas de se rendre à Jérusalem-Est, ni dans les territoire­s de 1948, ni à Gaza, explique-t-elle.

Suggérer d'oppression le sentiment

Initialeme­nt programmée en 2025, l’exposition a été de‐ vancée par le commissair­e

Stefan St-Laurent, afin de montrer la Palestine qu’on voit rarement à la télé ou dans les médias. Surtout au‐ jourd'hui où il y a tellement de tensions et de violences dans la région, poursuit-il.

C'était un bon moment de présenter le travail de Rehab et d’avoir une discussion un peu plus large avec la com‐ munauté d’Ottawa-Gatineau autour de la question palesti‐ nienne.

Stefan St-Laurent, com‐ missaire de l'exposition Tra‐ jets en Palestine

Vingt-sept photos ont été ajoutées à l'exposition pré‐ sentée l’automne dernier à Montréal, portant à 87 le nombre de tours de guet présentées les unes à côté des autres.

On voulait faire en sorte que cette oeuvre soit assez opprimante [...] que ce soit une une installati­on qui peut susciter des émotions fortes face à tant d'oppression, poursuit Stefan St-Laurent.

Rehab recueille plusieurs images, elle n’a pas encore documenté les centaines de tours qu’on peut retrouver partout en Palestine, en‐ chaîne M. St-Laurent.

Il y a des différence­s entre elles, mais des caractéris‐ tiques communes, relève pour sa part Rehab Nazzal. Elles sont toutes faites de cet horrible ciment gris, similaire au mur israelien. Toutes ont des caméras, mais toutes n’ont pas de soldats.

Nous vivons une ère de surveillan­ce électroniq­ue, alors vous pourriez vous de‐ mander dans quel but ces tours sont partout, à l'entrée des villages et dans les villes, soulève l’artiste, avant de ré‐ pondre à sa propre question. Pour elle, ces miradors sont d’abord et avant tout une arme psychologi­que, un moyen de faire sentir les Pa‐ lestiniens dominés, contrôlés et surveillés.

L’exposition s’achève par une installati­on vidéo qui convoque la nature pour of‐ frir un moment d’apaisement et de guérison.

S’accompagna­nt de la pu‐ blication d’un livre et offrant gratuiteme­nt à chaque visi‐ teur un des 2000 tirages sur papier de quatre photos de l’exposition, Trajets en Pales‐ tine se poursuit jusqu’au 18 mai à la galerie SAW.

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