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Incursion dans l’atelier de Carcajou Games, là où le jeu vidéo se fait à la main

- Stéphanie Dupuis

Dans le jeu vidéo Tale, lancé ces jours-ci sur la plateforme de jeux Steam, presque chaque élé‐ ment a d’abord été fabri‐ qué à la main par Vincent Presseau, le directeur du studio indépendan­t Carca‐ jou Games. Ce passionné à la créativité débordante a ouvert les portes de son atelier à Radio-Canada.

Once a

Essuie-tout par-ci, pein‐ ture, colle et pinceaux par-là, et quelques ordinateur­s… L’atelier de Carcajou Games, situé à Châteaugua­y, en Montérégie, a des allures de classe d’art plastique. Je n’ai rien inventé, répète Vincent Presseau, d’une humilité sin‐ cère, devant ses tablettes remplies de petites marion‐ nettes, d’arbres en papier mâché et de dizaines d’autres éléments de décor minia‐ tures.

Le jeu vidéo Once a Tale, inspiré de Hansel et Gretel et d’autres contes de fées, est une véritable pièce d’artisa‐ nat. Même la méthode de capture en photogramm­é‐ trie, qui permet de numériser des objets en 3D, est faite maison.

Dans une pièce du studio de Carcajou Games, une boîte à lumière dans laquelle est placée une Lazy Susan, une petite table pivotante en bois, sert de petit studio. C’est sur celle-ci, marquée tous les cinq degrés, que Vincent Presseau place cha‐ cun des morceaux que l'on trouve dans le jeu. À moins d’un mètre de là, une caméra placée sur un trépied photo‐ graphie ces objets sous tous les angles.

Chaque morceau a néces‐ sité de 100 à 200 photos, es‐ time le créateur. Un logiciel s’occupe par la suite de faire les calculs pour former une image en 3D de l’objet, utili‐ sable dans un monde virtuel. Il les anime par la suite de la vieille façon, avec un débit de 12 images par seconde, ce qui crée l’effet d’arrêt sur image.

Aujourd’hui, on n'aurait pas à se donner autant de mal. On peut brancher direc‐ tement la caméra dans l’ordi‐ nateur, un moteur automa‐ tise le changement d’angle à cinq degrés. Tu pèses une fois et tu vas faire autre chose, admet-il. Mais je n’ai pas 250 caméras, ni le bud‐ get d’Ubisoft, dit-il en haus‐ sant les épaules.

L’artisanat pour subsis‐ ter

Contrairem­ent à ce qu’on pourrait croire, le choix de faire de Once a Tale un jeu avec un effet en arrêt sur images (stop motion) ne fai‐ sait pas partie des premières esquisses, imaginées il y a près de 10 ans. À l’époque,

Vincent Presseau travaillai­t encore pour de grands stu‐ dios, tels Eidos et Ubisoft, à Montréal.

Cette méthode artisanale s’est imposée plus tard dans le processus créatif : Je me di‐ sais qu’en tant que dévelop‐ peur, et comme j’avais de l’expérience en animation, le stop motion et la photogram‐ métrie faisaient en sorte que le jeu, j’étais capable de le faire à moi seul.

Même si l’arrêt sur image n’était pas son premier choix, Vincent Presseau y a pris goût rapidement. J’ai toujours été un patenteux, affirme-t-il, se remémorant ses années à jouer avec ses propres figu‐ rines au jeu de rôle Donjons et Dragons.

Entre suivre des tutoriels en ligne, s’improviser des séances de magasinage et fouiller son bac de récupéra‐ tion afin de dénicher les meilleurs morceaux pour le jeu, le directeur du studio a aussi suivi des cours de fabri‐ cation de marionnett­es pour apprendre à réaliser ses per‐ sonnages - son enseignant­e lui a par ailleurs donné un coup de main pour fabriquer les deux enfants ainsi que le loup.

Je trouve qu’avec les jeux vidéo, maintenant, on pousse la technologi­e super loin. On est capable d’aller chercher beaucoup de détails, mais ça vient avec un rendu trop par‐ fait. Je trouve qu’on perd un peu l’artisanat des choses, admet-il.

Avec l’artisanat, il n’y a pas de contrôle Z. Si tu fais une erreur, tu as deux choix : tra‐ vailler avec l’erreur, ou tu mets tout ça aux vidanges et tu recommence­s. C’est ce qui donne beaucoup d’âme à ce qu’on fait. [...] Ce n’est pas parfait, mais on veut garder cette imperfecti­on.

Vincent Presseau, direc‐ teur de Carcajou Games

Il se souvient d’une fois où il travaillai­t sur la tête d’un personnage, tout en écou‐ tant de la musique dark‐ synth. J’ai dû arrêter car il avait l’air maléfique. Je l’ai dé‐ truit, je suis reparti à zéro. J’ai changé la musique pour Mu‐ sic from the Shire, du Sei‐ gneur des anneaux. Le per‐ sonnage a vraiment été in‐ fusé de ce qui se passait, ra‐ conte-t-il, amusé.

Le clou du spectacle du jeu est sans doute la maison en pain d’épices, grandeur réelle, qu’il a construite avec de vrais biscuits, de vrais bonbons. Ça a coûté une for‐ tune à faire. Les gens au Maxi devaient capoter quand je partais avec quatre ou cinq boîtes de biscuits à l’avoine, pour faire le toit de la mai‐ son, raconte-t-il.

Il en a encore aujourd’hui le coeur gros de raconter cette anecdote, puisqu’il a dû jeter la maison il y a quelques années, après des mois passés au rancart. La glace royale était craquée et les biscuits commençaie­nt à sécher et à sentir la vieille huile rancie, souligne-t-il, dé‐ çu.

Après tout, ces moments passés à créer ces oeuvres sont devenus thérapeuti­ques pour Vincent Presseau.

Quand tu es en train de faire ça, tu n’es pas devant un écran. Il y a quelque chose de très zen à être assis, à écou‐ ter de la musique, et faire de l’artisanat. Il faut que tu sois dans le moment présent. Tu ne peux pas avoir ton Face‐ book ouvert. Si tu es distrait,

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