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Quand la performanc­e au travail passe par le dopage

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Au bord de la rivière du Nord, à quelques kilo‐ mètres de Mont-Tremblant, dans les Laurentide­s, Sé‐ bastien Leblanc marche paisibleme­nt avec son chien, une tasse de café à la main. Puis il entre dans sa maison, aussi rustique que chaleureus­e. C’est le moment de se préparer pour aller travailler.

Sébastien avale une cap‐ sule brunâtre. Elle contient une microdose de psilocy‐ bine, la substance hallucino‐ gène qu’on trouve dans les champignon­s magiques.

Cent milligramm­es, ce n’est pas assez pour sentir les effets psychédéli­ques, mais je ressens une espèce de légèreté, indique l’homme à la barbe grisonnant­e, les bras tatoués et la tête coiffée d’un bonnet orange à la mode.

Sébastien travaille comme serveur dans un restaurant de Mont-Tremblant.

Dans quelques heures, l’ambiance autour de lui sera radicaleme­nt différente de celle de sa maison dans les bois. Les clients de la station de ski feront le pied de grue pour avoir une table. Cer‐ tains seront mécontents parce qu’ils auront attendu leur assiette trop longtemps, d’autres se plaindront de la cuisson de leur plat ou du montant de la facture.

La microdose de champi‐ gnons magiques, ça m’aide à rester zen dans le chaos. J’ar‐ rive à créer un meilleur contact avec le client et à ré‐ colter de meilleurs pour‐ boires.

Sébastien Leblanc

À chaque métier sa sub‐ stance

Johanne Collin, socio‐ logue, historienn­e et profes‐ seure à la Faculté de pharma‐ cie de l’Université de Mon‐ tréal, constate que les psy‐ chédélique­s n’ont plus la même finalité que dans les années 1960, au temps des hippies.

Autrefois, les gens les pre‐ naient pour s’évader, pour s’extraire du monde et avoir du plaisir, dit-elle. Au‐ jourd’hui, les adeptes du mi‐ crodosing les prennent pour mieux fonctionne­r et ré‐ pondre aux exigences de la société.

Depuis 2020, Johanne Col‐ lin mène un projet de re‐ cherche sur les smart drugs, des médicament­s ou d’autres substances que prennent des profession­nels pour se sur‐ passer au travail.

Depuis une quinzaine d’années, des études ont do‐ cumenté le phénomène sur les campus universita­ires, surtout aux États-Unis, ex‐ plique la chercheuse. On a voulu savoir ce qu’il en était chez les profession­nels.

Elle collabore avec le so‐ ciologue Nicolas Le Dévédec, professeur au Départemen­t de management de HEC Montréal.

Les deux chercheurs ont ciblé trois milieux de travail exigeants et compétitif­s, soit la restaurati­on, la finance et la musique classique. Pour chacun, ils ont épluché des forums de discussion spécia‐ lisés sur Internet (des sousforums de Reddit, par exemple) et interviewé des volontaire­s.

Selon les exigences de chacun des domaines, les substances consommées sont différente­s, a constaté Johanne Collin.

Dans l’univers de la res‐ tauration, les longues heures se combinent avec le besoin de faire plusieurs tâches à la fois. Dans le feu de l’action, il faut être rapide tout en se coordonnan­t avec ses col‐ lègues.

Les fins de semaine, Sé‐ bastien Leblanc peut tra‐ vailler de 16 h à minuit sans faire de pause. Il faut maxi‐ miser chaque geste, chaque pas, souligne-t-il.

La microdose de champi‐ gnons magiques l’aide à res‐ ter concentré, croit-il, bien que cet effet ne soit pas do‐ cumenté. Il arrive même à re‐ tenir les commandes des clients sans utiliser son cale‐ pin, dit-il.

Plusieurs profession­nels rencontrés par l’équipe de Jo‐ hanne Collin optent plutôt pour les psychostim­ulants des médicament­s habituelle‐ ment prescrits à des per‐ sonnes aux prises avec un trouble du déficit de l'atten‐ tion avec ou sans hyperacti‐ vité (TDA/H). On les connaît sous des noms comme Rita‐ lin, Concerta, Vyvanse ou Ad‐ derall. Ils augmentent le ni‐ veau dans le cerveau de do‐ pamine et de noradrénal­ine, deux neurotrans­metteurs qui jouent un rôle essentiel pour réguler l’attention, la concen‐ tration et la motivation.

Ces médicament­s ont la cote dans les milieux de tra‐ vail, même chez ceux qui n’ont pas de TDA/H. Certains travailleu­rs les combinent avec du modafinil, un médi‐ cament habituelle­ment pres‐ crit aux personnes qui souffrent d'hypersomno‐ lence, pour lutter contre le sommeil. C’est le cas dans le

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