Fuir Haïti en crise, la périlleuse aventure d’une Ottavienne
Isolée dans le sud d’Haïti et incapable d’attraper un vol de rapatriement officiel, l’Ottavienne Lucille Lemire a récemment fui la perle des Antilles, théâtre d’une flambée de violence, par ses propres moyens. Le parcours a été difficile et périlleux.
Mme Lemire a adopté Haïti. Plus jeune, elle y a fait une partie de ses études, son père étant en mission pour l’Agence canadienne de déve‐ loppement international (ACDI). Là-bas, elle a mis sur pied une fondation qui a pour objectif de reboiser les forêts et qui fait de l'éduca‐ tion et de la sensibilisation environnementale. Elle s’y rend régulièrement et pour de longues périodes.
Mais la situation au pays, aux mains des gangs armés, est devenue difficile à vivre, dit-elle. La violence, le pillage, les meurtres et les viols font partie du quotidien.
Basée à Jacmel, au sud du pays, Mme Lemire sentait la pression monter de jour en jour.
On ne sait pas si du jour au lendemain on va se faire piller la maison, si on va pou‐ voir se rendre au travail, si on va pouvoir trouver de quoi manger.
Les gens, même s’ils ont pour 10 $ de valeur sur eux, ils vont tout se faire prendre. Il n'y a plus de limite pour les bandits et les gangs. Ils at‐ taquent à tous les niveaux.
Lucille Lemire
Elle devait normalement quitter Haïti en juin pour une activité familiale au Canada, mais elle a choisi de devan‐ cer son départ.
Je ne sais pas si je vais pouvoir me rendre jusqu’à juin, s’est-elle dit. Et avec un passeport qui expirait dans quelques mois, elle ne vou‐ lait pas tenter sa chance.
Par la voie maritime
Elle s’est retrouvée isolée au sud du pays. Il lui était im‐ possible de se rendre au point de ramassage des vols de rapatriement officiel.
C’était une mission suicide de me rendre à Port-auPrince [...]. Il y a des bandits qui vous attendent dans tous les petits recoins. C’était une mission impossible de sortir de la province. J’étais vrai‐ ment coincée à Jacmel.
Sa seule porte de sortie était la voie maritime.
À bord d’un petit bateau en fibre de verre, elle a fait plusieurs heures de naviga‐ tion pour se rendre à l'extré‐ mité de la frontière haï‐ tienne. Une fois arrivée près d’un rivage, elle était atten‐ due par un homme qui l'a amenée, sur ses épaules, sur la terre ferme.
Il lui a fallu ensuite se rendre à la frontière terrestre avec la République domini‐ caine en moto, pour conti‐ nuer le trajet en autobus. C’est là qu’elle a pu prendre un vol pour les États-Unis, puis débarquer au Canada.
Pour une mission comme celle-là, ça prend beaucoup d’organisation, beaucoup de coordination et beaucoup d’argent, confie Lucille Le‐ mire.
En plus d’y laisser une partie d'elle-même, l'Otta‐ vienne a laissé derrière elle sa maison, ses animaux de compagnie et des amis, qui souhaitent eux aussi quitter Haïti.
Également coordonnatrice de sécurité bénévole pour l’ambassade canadienne en Haïti, elle espère pouvoir re‐ tourner dans le pays un jour.
Ça fait partie de ma vie, c'est ma mission, dit-elle. J’ai quitté ma maison. J'espère que je pourrai y retourner d’ici quelques mois, mais je n’ai aucune idée de quand. [...] J’ai peur maintenant d'y retourner. Je sais que si j’y vais, c’est vraiment à mes propres risques.
Et d'ajouter, tristement : J’osais croire qu’il y avait un futur pour Haïti, mais je le vois difficilement mainte‐ nant.
Avec les informations de Daniel Bouchard
pond le vendeur de parfums, qui vient déposer des échan‐ tillons dans une boutique du coin.
Ibrahim a lui aussi grandi à Saint-Denis, où plus de 40 % des logements sont des HLM, dans des cités. Ces im‐ menses complexes d’habita‐ tions, souvent délabrés, sont devenus avec le temps syno‐ nyme de criminalité et sym‐ bole des émeutes et de la mi‐ sère sociale dans les ban‐ lieues parisiennes, où des personnes originaires de plus de 130 pays se côtoient.
Je n'arrive pas à com‐ prendre ça, avec toute la ri‐ chesse qu'il y a déjà côté culturel, avant même de par‐ ler argent, etc., je ne com‐ prends pas. Si l'État pouvait aider les gens qui habitent ici, ce serait le meilleur dé‐ partement de France.
Ibrahim Brière de Lisle, vendeur de parfums
S’il concède que les pro‐ jets d’infrastructure et de ré‐ novation qu'amènent les Jeux sont plus que bienvenus, Ibrahim doute que cela chan‐ gera vraiment la vie des jeunes, qui sont dans l'insé‐ curité et sont parmi les moins diplômés de France.
Ils ont des millions pour les Jeux et après, ce sera au revoir, merci, et rien pour nous, comme ils ont fait avec le Stade de France, renchérit Sakinna.
Construit en 1998 pour accueillir la Coupe du monde de soccer, le Stade de France a bel et bien changé la donne à Saint-Denis en matière de transport et d’accessibilité.
Plusieurs multinationales se sont aussi installées dans la région, mais l’activité éco‐ nomique n’a pas su profiter aux résidents de Saint-Denis, où le taux de chômage est trois fois plus élevé qu’ailleurs en France et où le tiers de la population vit sous le seuil de la pauvreté.
Moi, je n'espère même pas pour moi. Ce que j'es‐ père, comme le jeune Ibra‐ him, c’est que ça sera pour les jeunes, que les jeunes vont bénéficier de ces Jeux olympiques, qu’ils auront des emplois, que leur vie chan‐ gera, qu'il y aura la sécurité des cités. Il n’y a pas de sécu‐ rité.
Sakinna Boukhedenna
Les défis sont énormes, aussi grands que les projets olympiques en soi.
Changer Saint-Denis l’image de
Bien qu’il soit difficile de mesurer l’impact qu’auront les Jeux, il est évident que leur organisation représente une occasion en or de chan‐ ger l’image de Saint-Denis aux yeux du monde et, à plus long terme, d'attirer des tou‐ ristes, des emplois et des ré‐ sidents mieux nantis.
C’est du moins l’objectif que s'est fixé le jeune maire socialiste de Saint-Denis, Ma‐ thieu Hanotin.
Évidemment, on compte sur les JO pour nous aider dans ce changement d'image en profondeur. Si cette mau‐ vaise image est basée sur un certain nombre de choses vraies, comme la délin‐ quance, elle n'est basée que sur une partie des choses, et nous, on veut montrer que ce modèle cosmopolite et multiculturel que nous incar‐ nons, eh bien demain, il peut devenir attrayant.
Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis
Surtout quand on y in‐ jecte, d’un coup, des cen‐ taines de millions d’euros. La majorité des investissements privés et publics pour les Jeux de Paris ont été faits dans les trois villes du dépar‐ tement qui accueilleront les Jeux, soit Saint-Denis, SaintOuen-sur-Seine et L’Île-SaintDenis.
Là, vous voyez la rénova‐ tion urbaine, les immeubles qui seront rénovés, dit le maire en regardant le pay‐ sage urbain du haut du toit de l'hôtel de ville.
Mathieu Hanotin montre ensuite la pièce de résis‐ tance, le village olympique, l’une des deux seules constructions flambant neuves des Jeux de Paris.
Le village des athlètes a poussé à une vitesse éclair sur ce qui était autrefois un terrain industriel de 52 hec‐ tares, en bordure de la Seine.
À 100 jours des cérémo‐ nies d’ouverture, on ne peut que l’admirer, derrière les clôtures qui le protègent en‐ core des intrus, mais on y dé‐ couvre une enfilade d'im‐ meubles colorés et mo‐ dernes qui accueilleront plus de 14 000 athlètes.
C'est la première fois, se‐ lon les organisateurs des Jeux, que le village des ath‐ lètes est conçu spécialement pour l'après-Jeux, avec des pistes cyclables, des passe‐ relles piétonnes pour traver‐ ser la Seine, des écoles et des cliniques, pour les quelque 6000 personnes qui, dès 2025, pourront y aménager.
Houria, une femme dans la cinquantaine, est une des premières personnes à qui on a offert de s’installer dans ce nouveau quartier.
Elle vit présentement dans un HLM négligé, situé juste en face, qui sera démoli l’an prochain dans le cadre du grand ménage entrepris dans le secteur il y a des an‐ nées, mais qui s'accélère avec la tenue des Jeux.
C’est bien, l'idée de vivre dans du neuf, why not, comme on dit, et j'espère qu’ils vont nous les remettre en bon état, dit-elle en mon‐ trant du doigt un immeuble vert pâle, son préféré parce qu'il fait face à la Seine.
Les trois quarts des loge‐ ments seront en effet trans‐ formés en logements sociaux ou en logements locatifs à prix abordable. Le reste des unités sera vendu à des parti‐ culiers, mais déjà, le prix du mètre carré s'affiche bien audessus de la moyenne du secteur.
Cela n’est pas sans soule‐ ver chez plusieurs les craintes que l'embourgeoise‐ ment s’empare de la ville, comme c’est arrivé ailleurs où les Jeux olympiques sont passés.
Le maire Hanotin insiste pour dire qu’il faut mettre fin au séparatisme social tel qu’il se vit dans les banlieues de
Paris.
Les dynamiques qui visent à concentrer les difficultés sociales sur une même aire géographique, ça ne marche pas. Ça ne fonctionne nulle part. Nous, on mise sur un équilibre social.
Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis
Des infrastructures sportives en héritage
Il n’y a pas que le village des athlètes qui sera légué à la communauté. Celle-ci pourra aussi compter sur un mégacomplexe aquatique, inauguré au début du mois d'avril par le président Em‐ manuel Macron.
Ce centre représente notre projet, il va changer la vie des gens, a déclaré M. Macron. Plus de la moitié des enfants du département de Seine-Saint-Denis ne savent pas nager, faute d'infrastruc‐ ture dans leur quartier.
Lors de notre visite à l’une des trois nouvelles piscines conçues pour les Olym‐ piques, celle qui servira à l'entrée des athlètes pour les compétitions de water-polo, de jeunes écoliers profitaient déjà du site, 100 jours avant les Jeux, constatait avec joie la conseillère pédagogique Alexandra Aifoun.
Beaucoup d'enfants ne savent pas nager lorsqu'ils arrivent à l'école, et même souvent lorsqu'ils arrivent au collège. Donc, voilà, ça va permettre de développer l'enseignement du savoir-na‐ ger dans le département, ça c'est certain. Je ne veux pas dire que c'était inespéré, mais c’est sûr que, pour nous, les Jeux à Saint-Denis, c'est une aubaine quand on y pense.
Alexandra Aifoun, conseillère pédagogique
Mais il faudra plus que des piscines, malgré tout le bien qu’elles représentent, pour changer la dynamique et le moral dans les cités comme celle du Franc-Moi‐ sin, où plusieurs jeunes traînent dans la rue après l'école.
Les Jeux olympiques? J’en n’ai rien à foutre, madame, nous dit un jeune perché sur sa trottinette.
C’est chez nous ici et on ne nous a rien demandé, ça ne va rien nous amener. On voit des anneaux olympiques partout, mais on ne se fait pas d’illusions, et on va mettre le feu, prévient le même jeune en nous conseillant de faire attention et de quitter les lieux.
Entraîneur de boxe au centre sportif de Franc-Moi‐ sin, Mohammed Hanzaz, ou Momo, comme tout le monde l'appelle, tient un dis‐ cours plus nuancé.
C’est une cité qui était très dure, mais aujourd'hui, tout le monde se connaît. On est une grande famille. Il y a de la colère et les jeunes viennent ici une heure et de‐ mie se défouler, se changer du quotidien, explique-t-il.
Mohammed Hanzaz constate que les Jeux olym‐ piques ont amené à SaintDenis une nouvelle énergie, mais il ne voit sincèrement pas en quoi cela va changer le quotidien des jeunes qu'il essaie de motiver.
Aladin, un père de famille, aimerait bien croire aux pro‐ messes du maire et à la mixité sociale.
Mais comme dit la chan‐ son de Iam, derrière la der‐ nière couche de peinture, c’est toujours la même merde. C'est le manque de moyens, ce n’est pas les mêmes écoles et je pense que c'est un calcul, ce n'est pas aléatoire, ce n'est pas par hasard.
Aladin
Si accueillir les Jeux olym‐ piques est devenu au‐ jourd’hui le symbole de pos‐ sibilités sociales, c’est ici à Saint-Denis, et non à Paris, qu'on en jugera l'héritage, dit un jeune de 18 ans qui s’en‐ traîne au centre de FrancMoisin. Il y aura un regard différent sur nous en ban‐ lieue, c'est sûr, mais après ça, c’est chacun sa chance, enfin, si on peut parler de chance.