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Inégalités sociales : « Je trouve qu’on recule », déplore Françoise David

- Nicolas Bourcier

L’ex-députée et cofonda‐ trice de Québec solidaire Françoise David déplore que le filet social québécois se fragilise. « Honnête‐ ment, on n'a jamais été to‐ talement égalitaire­s, évi‐ demment, mais on avait quand même progressé, et là, je trouve qu'on recule. Ça m'inquiète énormément », confie-t-elle en entrevue avec Radio-Canada en marge du Sommet des États généraux du travail social.

Je pense que le Québec de la Révolution tranquille rê‐ vait plus et rêvait mieux.

Françoise David, cofonda‐ trice de Québec solidaire et ex-députée

Ça fait au moins 40 ans que les gouverneme­nts qui se succèdent ont une vision très, très centrée sur la santé des gens et beaucoup moins sur les services sociaux, af‐ firme-t-elle, ajoutant qu’il est tout à fait normal que la santé occupe une place im‐ portante, surtout dans une société vieillissa­nte.

Et si on commençait par les services sociaux? Si on commençait par s'attaquer aux inégalités sociales? On aurait moins de gens dans les urgences des hôpitaux, poursuit-elle.

Le problème, c'est qu’un gouverneme­nt gouverne pour quatre ans. Il veut des résultats immédiats.

Françoise David, cofonda‐ trice de Québec solidaire

Pour elle, il est absurde d’avoir l’impression que le gouverneme­nt a rempli son contrat parce que la durée de l’attente moyenne dans les urgences a diminué.

Il y aurait moins de gens aux urgences s'il y avait plus de services à domicile, s'il y avait des cliniques ouvertes [24 heures sur 24, sept jours sur sept] partout, dans toutes les régions du Qué‐ bec, si on s'attaquait aux pro‐ blèmes du logement, puis que les gens étaient bien lo‐ gés dans des logements suf‐ fisamment chauffés, si on augmentait le salaire mini‐ mum, les prestation­s, la sé‐ curité du revenu, énumère la cofondatri­ce de Québec soli‐ daire.

Bref, en misant sur les services sociaux en amont, il y aurait moins de gens ma‐ lades, conclut-elle.

Ça fait très longtemps que les chercheurs en politiques sociales l'écrivent et le disent, mais les gouverneme­nts qui se succèdent ne réfléchiss­ent qu'à court terme, de façon électorali­ste. Ça, c'est ce que je déplore le plus.

Des travailleu­rs sociaux qui quittent le navire

Cette opinion est parta‐ gée par le président de l’Ordre des travailleu­rs so‐ ciaux et des thérapeute­s conjugaux et familiaux du Québec, Pierre-Paul Malen‐ fant, qui ajoute que les gens qui sont sur la première ligne du travail social sont aux prises avec une crise sociale sans précédent.

Le filet social au Québec est percé.

Pierre-Paul Malenfant, président de l'Ordre des tra‐ vailleurs sociaux et des thé‐ rapeutes conjugaux et fami‐ liaux du Québec

C’est très confrontan­t de ne pas avoir les outils, de ne pas avoir un environnem­ent et des politiques sociales qui font en sorte qu'on puisse ai‐ der convenable­ment les per‐ sonnes dans le besoin.

La situation est telle que 19 % des membres de l’Ordre qui ont participé à un son‐ dage ont confié qu’ils envisa‐ geaient de quitter le réseau de la santé et des services sociaux au cours des deux prochaines années parce que les conditions de pratique sont très difficiles, notam‐ ment à cause de la bureau‐ cratisatio­n de la profession, indique M. Malenfant.

Ce que je remarque de‐ puis les 30 dernières années, c'est que les services sociaux au Québec ont dégringolé progressiv­ement, ajoute M. Malenfant, qui se considère comme un vieux routier, tout en soulignant que la santé occupe de plus en plus de place.

C'est important qu'il y ait des soins de santé, que les gens aient accès à des ser‐ vices de santé : c'est correct. Mais quand vous avez des problèmes sociaux majeurs et qu'on voit que les déci‐ deurs mettent en veilleuse ou ont tendance à négliger la place des services sociaux, on ne peut que déplorer cette situation-là, ajoute M. Malenfant.

Il appuie son propos avec l'exemple de l’agence Santé Québec, créée tout récem‐ ment, en décembre 2023, et qui exclut les services sociaux dans son intitulé.

Je pense que c'est assez révélateur de la place que ça prend, affirme M. Malenfant en entrevue.

L'interventi­on sociale per‐ met de changer les choses et on déplore que ce ne soit pas la priorité numéro un du gouverneme­nt actuelleme­nt.

Pierre-Paul Malenfant, président de l’Ordre des tra‐ vailleurs sociaux et des thé‐ rapeutes conjugaux et fami‐ liaux du Québec

Des conditions de pra‐ tique loin de leur ADN

Dans leur rapport sur la consultati­on publique, les commissair­es des États géné‐ raux du travail social plaident pour une débureaucr­atisa‐ tion de la profession.

Ce mode de gestion prend d’ailleurs plus de place dans le quotidien des interve‐ nants, ce que déplore le pré‐ sident de l’Ordre, qui milite pour des conditions de pra‐ tique en phase avec l’ADN des acteurs du milieu : la re‐ lation d’aide.

Les étudiants qui com‐ plètent une technique ou un baccalauré­at en travail social sont bien outillés, estime Ka‐ rine Joly, du Regroupeme­nt des enseignant­es et des en‐ seignants des collèges en tra‐ vail social du Québec, mais ils se rendent vite compte que les conditions dans les‐ quelles ils exercent leur tra‐ vail sont beaucoup plus diffi‐ ciles dans la réalité.

Les États généraux ont donné une voix à une foule d’intervenan­ts différents : uti‐ lisateurs, étudiantes, ensei‐

gnantes, chercheuse­s, techni‐ ciennes en travail social, tra‐ vailleuses sociales, entre autres.

Samedi, ils ont été 400 à échanger sur les recomman‐ dations formulées par les commissair­es à la suite d’une année complète de consulta‐ tions publiques chapeautée­s par l’Institut du Nouveau Monde.

Les participan­ts ont pré‐ paré la déclaratio­n commune publiée au terme de la jour‐ née avec l'objectif de créer plus de justice, d'équité et de solidarité tout en élargissan­t les alliances.

Les signataire­s de la dé‐ claration s'engagent à :

unir leurs forces pour re‐ lever les défis sociaux; pro‐ mouvoir la reconnaiss­ance des droits économique­s et sociaux en exigeant des gou‐ vernements les ressources nécessaire­s et des conditions d’exercice adéquates; agir avec déterminat­ion en met‐ tant en oeuvre rapidement les recommanda­tions des États généraux; travailler en partenaria­t avec les commu‐ nautés vulnérable­s.

Ce sommet avait deux buts bien précis, Pierre-Paul Malenfant : dire que la situa‐ tion actuelle n’est pas accep‐ table et créer un mouvement de coalition pour faire en‐ tendre l’importance des ser‐ vices sociaux dans la société québécoise.

Il n’est pas trop tard pour changer de direction

Le message de Françoise David aux acteurs du travail social réunis pour le Sommet au Collège de Maisonneuv­e se veut encouragea­nt.

Vous n’êtes pas seuls […] et il n'est surtout pas trop tard pour se mettre en‐ semble, pour se mobiliser, créer des liens, des coalitions entre divers mouvements so‐ ciaux.

Extrait du discours de Françoise David

Il y a du mouvement au Québec, ajoute la cofonda‐ trice de Québec solidaire. On ne le voit pas tous les jours, on ne le sent pas du matin au soir, mais ça existe.

Il va falloir, à un moment donné, que toutes ces per‐ sonnes-là, tous ces orga‐ nismes-là, se mettent en rap‐ port les uns avec les autres et se disent : "Qu'est-ce qu'on change? Par où on com‐ mence? Qu'est-ce qui est le plus urgent?"

Françoise David, cofonda‐ trice de Québec solidaire

Karine Joly sent effective‐ ment un vent de mobilisati­on et un désir de faire front commun qu’elle a rarement vus de la part d’intervenan­ts de milieux différents qui ont une vision commune de ce que devrait être le travail so‐ cial.

C'est possible quand on est ensemble de faire plier, changer des gouverneme­nts.

Françoise David, cofonda‐ trice de Québec solidaire

Le soutien de l’opinion pu‐ blique aux travailleu­ses et travailleu­rs de la fonction pu‐ blique lors des grèves, durant les négociatio­ns sur le renou‐ vellement des convention­s collective­s, est porteur d’es‐ poir, selon Mme David.

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de services scolaire des Chênes assure que tous les athlètes ont été rapidement pris en charge et amenés à un hôtel à proximité du lieu de l’accident.

Avec des informatio­ns de Raphaëlle Drouin, d'Angie Landry et de Marie-Hélène

Rousseau

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