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Trump a fomenté « un plan criminel pour corrompre l’élection de 2016 », dit un procureur

- Sophie-Hélène Lebeuf

Les procureurs au procès criminel de Donald Trump à New York ont placé, lundi, l'ex-président améri‐ cain au centre d'un com‐ plot visant à dissimuler d'autres crimes afin de fa‐ voriser son élection en 2016.

Sans surprise, les jurés ont eu droit à deux versions aux antipodes : l'une tour‐ nant autour d'une conspira‐ tion criminelle, l'autre procla‐ mant son innocence dans un procès inutile.

Dans son premier de quatre procès criminels, Do‐ nald Trump fait face à 34 chefs d'accusation pour falsi‐ fication de documents, mais les procureurs ont insisté lourdement : il est question d'ingérence électorale.

Premier à s'adresser au jury, le procureur Matthew Colangelo a mis de l'avant la thèse que l'équipe de l'accu‐ sation étaiera au cours des prochaines semaines.

Cette cause concerne une conspirati­on criminelle et une dissimulat­ion [de crimes], a-t-il lancé au début d'une déclaratio­n d'ouverture d'une quarantain­e de mi‐ nutes.

L'accusé Donald Trump a orchestré un plan criminel pour corrompre l'élection présidenti­elle de 2016. En‐ suite, il a dissimulé cette conspirati­on criminelle et a menti dans ses registres commerciau­x new-yorkais, encore et encore et encore.

Matthew Colangelo, pro‐ cureur de l'équipe des procu‐ reurs du district de Manhat‐ tan

Le complot a, selon lui, débuté en août 2015, lors d'une rencontre qui a notam‐ ment réuni à la Trump Tower Donald Trump, son ami de longue date David Pecker, alors PDG du groupe de presse American Media Inc. (AMI), ainsi que son ancien avocat Michael Cohen.

Le trio a élaboré un stra‐ tagème visant à acheter et à supprimer de l’informatio­n négative (une stratégie connue en anglais sous l'ex‐ pression catch and kill). Ils ont également envisagé de publier des histoires néga‐ tives sur les rivaux de M. Trump, afin de maximiser ses chances d’être élu, a-t-il pour‐ suivi.

C'était de la fraude électo‐ rale, purement et simple‐ ment.

Matthew Colangelo, pro‐ cureur de l'équipe des procu‐ reurs du district de Manhat‐ tan

Michael Cohen a versé 130 000 $ US à Stormy Da‐ niels, de son vrai nom Ste‐ phanie Clifford, sur les ins‐ tructions de l'accusé, et il l'a fait pour influencer l'élection présidenti­elle, a soutenu Me Colangelo. L'actrice allègue avoir eu une relation sexuelle avec Donald Trump en 2006.

Le tabloïd sensationn­a‐ liste National Enquirer, qui appartenai­t au groupe mé‐ diatique AMI, a pour sa part versé 150 000 $ US à une autre maîtresse alléguée, Ka‐ ren McDougal, une ancienne mannequin de Playboy qui soutient pour sa part avoir été la maîtresse de Donald Trump entre 2006 et 2007.

Me Colangelo a dit aux ju‐ rés qu'il leur présentera­it un extrait audio dans lequel Mi‐ chael Cohen et David Pecker discutent du paiement versé à Karen McDougal. David Pe‐ cker se dit frustré parce qu'il craignait de ne pas être rem‐ boursé par Donald Trump.

Il a aussi mentionné un enregistre­ment désormais célèbre sur lequel on enten‐ dait Donald Trump se vanter de pouvoir « attraper » les femmes par leur sexe en toute impunité, rendu public un mois avant la présiden‐ tielle de novembre 2016. L'enregistre­ment a complète‐ ment bouleversé le reste de la campagne présidenti­elle de Donald Trump, qui ne pouvait pas se permettre un autre scandale sexuel, a-t-il dit.

Il a également expliqué comment avait été calculée la somme remboursée à Mi‐ chael Cohen, soit 420 000 $ US, un montant qui tenait compte des impôts qu'il paie‐ rait sur un montant destiné à être déclaré comme des ho‐ noraires.

Les allégation­s seront soutenues par plusieurs té‐ moignages accablants ainsi que par une vaste série de documents, tels que des rele‐ vés bancaires et télépho‐ niques, des courriels, des tex‐ tos de même que des dos‐ siers d'entreprise, a affirmé Me Colangelo.

Nous sommes convaincus que vous n'aurez aucun doute raisonnabl­e sur la culpabilit­é de Donald Trump, a-t-il conclu.

Ironiqueme­nt, les thèses des procureurs reprennent des accusation­s que Donald Trump formule lui-même à l'endroit des démocrates, qu'il accuse depuis 2016 de trafiquer le processus électo‐ ral.

À sa sortie du tribunal, l'ex-président a d'ailleurs re‐ nouvelé dans une longue ti‐ rade ses récriminat­ions à l'endroit du procès, dénon‐ çant une chasse aux sor‐ cières de Joe Biden pour [l]’empêcher de faire cam‐ pagne.

« Le président Trump » n'a commis « aucun crime »

Le président Trump est in‐ nocent. Le président Trump n'a commis aucun crime, a lancé d’emblée le principal avocat de l’accusé dans cette affaire, Todd Blanche. Lui et ses collègues se référeront à leur client en utilisant ce titre en raison du respect qu’il a mérité pour avoir servi le pays, a-t-il indiqué au cours de son exposé d'une ving‐ taine de minutes.

C'est un homme. C'est un mari. C'est un père. C'est une personne comme vous et comme moi.

Le président Trump n'a commis aucun crime. Le bu‐ reau du procureur de Man‐ hattan n'aurait jamais dû lan‐ cer cette poursuite, a pour‐ suivi Me Blanche, ajoutant qu'il y avait amplement ma‐ tière pour susciter un doute raisonnabl­e.

Les 34 chefs d'accusation, Mesdames et Messieurs, ne sont que des bouts de pa‐ pier. Rien de tout cela n'était un crime, a-t-il argué.

Donald Trump s'est dé‐ fendu pour protéger sa fa‐ mille, sa réputation et sa marque. Ce n'est pas un crime.

Todd Blanche, avocat de Donald Trump

Todd Blanche a de plus at‐ taqué la crédibilit­é des té‐ moins, notamment celle de Michael Cohen, un criminel qui est obsédé par le pré‐ sident Trump. Un homme, at-il ajouté, qui a échoué à ob‐ tenir un poste dans l'admi‐ nistration Trump, et qui est animé par un désir de ven‐ geance. On ne peut pas lui faire confiance, a-t-il martelé, l'accusant de s'être parjuré lors d'un procès civil intenté contre Donald Trump l'an dernier.

Todd Blanche a en outre présenté les allégation­s de Stormy Daniels, démenties par l'ancien président, comme une tentative sinistre d'embarrasse­r Donald Trump et sa famille. Les ententes de non-divulgatio­n comme celle qui a été signée dans cette affaire ne sont pas pas illé‐ gales, a-t-il souligné.

Il a par ailleurs balayé du revers de la main le strata‐ gème brandi par les procu‐ reurs.

Il n'y a rien de mal à es‐ sayer d'influencer une élec‐ tion. Cela s'appelle la démo‐ cratie.

Todd Blanche, avocat de Donald Trump

Rappelant aux jurés leur serment d'impartiali­té et les exhortant à faire preuve de bon sens, il leur a demandé d'aller là où les mènerait la preuve.

Si vous faites cela, il y aura un verdict de non-culpabilit­é très rapide, a-t-il affirmé.

Un premier témoin

Au cours de cette pre‐ mière audience à la durée ré‐ duite, les procureurs ont ap‐ pelé leur premier témoin, Da‐ vid Pecker, qui devra revenir mardi matin.

L'ancien PDG d'AMI, un groupe médiatique qui pu‐ bliait entre autres le tabloïd sensationn­aliste The National Enquirer, n'a témoigné que pendant une trentaine de mi‐ nutes.

MM. Trump et Pecker, dont l'amitié a persisté pen‐ dant des décennies, ne se parlent plus, selon CNN. Le réseau a toutefois rapporté que le témoin avait salué Do‐ nald Trump en passant près du banc de l'accusé.

En 2018, l'entreprise de presse qu'il dirigeait a conclu une entente à l'amiable avec les procureurs fédéraux dans laquelle elle reconnaiss­ait avoir violé les lois sur le fi‐ nancement électoral, en lien avec l'enquête sur cette af‐ faire, ce qui lui a évité des poursuites.

Interrogé par les procu‐ reurs, M. Pecker a décrit les pratiques du National Enqui‐ rer, qui payait certaines sources pour leurs histoires, une pratique des tabloïds qui est critiquée dans le milieu.

Tous les paiements supé‐ rieurs à 10 000 $ devaient obtenir son approbatio­n, a-til précisé.

Il a aussi indiqué qu'il avait, en plus de son compte courriel profession­nel, une adresse courriel personnell­e, utilisée pour les choses qu'il voulait soustraire aux yeux de son assistant. Les procu‐ reurs l'ont aussi interrogé sur ses numéros de téléphone. Ces questions des procu‐ reurs semblent ouvrir la voie au dépôt de preuves ratta‐ chées à des documents.

Une première journée écourtée

L'audience a été écourtée, se terminant exceptionn­elle‐ ment à 12 h 30, pour per‐ mettre à un des jurés sup‐ pléants de se rendre à un rendez-vous médical. L'au‐ dience devait se terminer à 14 h en raison d'accommode‐ ments faits aux avocats de la défense et jurés de confes‐ sion juive.

Avant le procès, le juge Juan Merchan avait décrété que l'identité des jurés serait gardée secrète pour leur pro‐ tection. La semaine dernière, après le désistemen­t d'une jurée qui avait été retenue, le juge avait exhorté les médias à la prudence, leur deman‐ dant de ne pas identifier les employeurs passés et actuels des jurés ou leur descriptio­n physique.

Après une rencontre en privé avec le juge Merchan et les avocats, l'une des jurés, qui a exprimé à son arrivée au tribunal des préoccupa‐ tions quant à l'attention mé‐ diatique qui leur est accor‐ dée, a décidé de rester au sein du jury.

Le verdict devra être rendu à l'unanimité, qu'il s'agisse d'un verdict de culpa‐ bilité ou d'un acquitteme­nt. Mais le candidat à l'investi‐ ture républicai­ne peut aussi espérer un autre scénario qui lui éviterait d'être condamné : un jury incapable de s'en‐ tendre.

Il suffirait ainsi qu'un seul juré estime Donald Trump in‐ nocent pour que le juge soit contraint à décréter un pro‐ cès nul (mistrial en anglais).

Le procès devrait durer six semaines, selon les estima‐ tions préliminai­res. Ce sera potentiell­ement le seul des quatre procès criminels in‐ tentés contre Donald Trump à connaître un dénouement avant l'élection présidenti­elle de novembre prochain.

Cette nouvelle peut être consultée en chinois sur le site de RCI.

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