Radio-Canada Info

La criminalit­é est-elle vraiment pire que jamais aux États-Unis?

- Frédéric Arnould

En cette année électorale présidenti­elle aux ÉtatsUnis, le thème de l'insécu‐ rité occupe une place im‐ portante dans les préoccu‐ pations des Américains. Que disent les chiffres? Y at-il vraiment une vague de crimes violents qui justifie cette anxiété? Ou est-ce une perception entretenue par certains élus et médias qui utilisent la peur à des fins politiques?

Ceux qui fréquenten­t les stations de métro new-yor‐ kaises depuis plusieurs se‐ maines ont expériment­é les premières fouilles de sac par des centaines de policiers de la ville qui ont été affectés à la patrouille dans le métro.

Ces policiers sont épaulés par 750 soldats de la Garde nationale qui surveillen­t les allées et venues dans les sta‐ tions. Des usagers obtem‐ pèrent de bonne grâce, au nom de la sécurité, alors que d’autres trouvent cela très in‐ trusif et ne voient pas quel en est l'intérêt.

C’est la gouverneur­e dé‐ mocrate de l'État de New York, Kathy Hochul, qui a or‐ donné le déploiemen­t des forces de l'ordre dans le gi‐ gantesque réseau de trans‐ port. Si vous vous sentez plus en sécurité grâce à ces pa‐ trouilleur­s en uniformes, c’était notre objectif, a-t-elle dit, ajoutant qu’un certain nombre de crimes sont plus significat­ifs psychologi­que‐ ment que statistiqu­ement.

Une perception faussée?

Il faut dire qu'au cours des dernières semaines, la vio‐ lence dans le métro de New York a fait les manchettes, notamment dans une vidéo publiée sur les réseaux so‐ ciaux, où l'on constate que la panique s’est installée dans une rame de métro de Brooklyn à la mi-mars. Une bagarre a éclaté, un couteau a été brandi et un coup de feu a même été tiré. De quoi alimenter l’anxiété des NewYorkais, et pourtant...

Le nombre d’incidents et de crimes violents à New York est plus faible que dans certains États du Sud, ex‐ plique Jeffrey Butts, profes‐ seur et chercheur au collège John Jay de justice criminelle à la City University of New York (CUNY). Il est courant que les gens pensent immé‐ diatement à la criminalit­é lorsqu'ils évoquent une grande ville, parce que nous sommes 8 millions [d'habi‐ tants]. Des crimes sont com‐ mis, mais si vous réfléchiss­ez à la probabilit­é d'être victime d'un crime, New York n'est pas le centre du monde de la criminalit­é. En fait, elle n'est même pas dans le top 10 à l'heure actuelle.

En 2023, par rapport à 2022, le nombre d’homicides a baissé de presque 13 % et les fusillades ont chuté de près de 25 %. À part les vols de voitures, les statistiqu­es new-yorkaises sur les viols, vols et autres crimes violents démontrent une tendance à la décroissan­ce, même de‐ puis le début de l‘année 2024.

Chute du nombre de crimes violents

La chute du nombre de meurtres et de crimes vio‐ lents est une tendance mar‐ quée à l'échelle nationale en 2023, explique Jeff Asher, co‐ fondateur de AH Datalytics, qui a compilé les données fournies par le FBI sur 200 villes américaine­s. Je pense que la réponse la plus évi‐ dente est que la vie revient à la normale, que la pandémie s'est effacée de l'arrière-plan de la vie quotidienn­e des Américains, dit-il.

Les dépenses publiques des villes et des États sont re‐ parties à la hausse, ce qui, pense M. Asher, a permis d'interrompr­e à nouveau cer‐ tains de ces cycles de vio‐ lence, ce qui contribue à cette tendance générale à la baisse.

Une décroissan­ce remar‐ quée aussi dans les villes ré‐ putées pour leur criminalit­é comme La Nouvelle-Orléans, Los Angeles, Chicago et Phila‐ delphie. Et historique­ment, la situation actuelle est loin d’être la pire, bien au contraire, selon Jeff Archer.

Les crimes violents sont relativeme­nt stables depuis 2010. Si l'on remonte 30 ans en arrière, on constate une baisse substantie­lle par rap‐ port aux années 1990, où le taux atteignait presque 10 pour 100 000. Aujourd'hui, nous parlons probableme­nt d'un taux d'environ 5,5 pour 100 000, ce qui est la meilleure estimation du taux de meurtres en 2023, détaille le cofondateu­r de AH Dataly‐ tics.

Mais la perception d’une grande partie de l’opinion pu‐ blique américaine l'emporte sur la réalité des chiffres. Pas moins de 77 % des répon‐ dants à un sondage Gallup publié en novembre dernier croient qu’il y a plus de crimes violents qu’avant.

Médias et politicien­s montrés du doigt

Ceux qui suivent les bulle‐ tins de nouvelles sur certains réseaux de télévision ont l'impression qu'une vague de crimes violents semble s’être emparée du pays.

Des médias comme Fox News n'hésitent pas à en ra‐ jouter, par exemple lors d’une entrevue en direct avec Curtis Sliwa, ex-candidat à la mairie de New York et fonda‐ teur des Anges gardiens, un groupe de justiciers.

Alors qu’il commente en direct la façon dont son équipe a maîtrisé un migrant à New York, il déclare que ceux-ci sont en train de prendre le contrôle de la ville, ajoutant que l'homme appré‐ hendé est un voleur, selon lui. Or, selon la police de New York, l’homme était originaire du Bronx et il n’y avait au‐ cune preuve qu'il ait pu com‐ mettre un vol à l’étalage.

N’empêche, en cette an‐ née d’élection présidenti­elle, politicien­s et médias de droite exploitent le filon des migrants qui seraient, selon eux, porteurs de criminalit­é violente dans les villes.

À la fin du mois de janvier, un affronteme­nt est survenu entre des policiers et des mi‐ grants hispanique­s à Time Square. Les vidéos fournies par la police indiquerai­ent cependant que les circons‐ tances de l’interventi­on sont restées nébuleuses, la police ayant potentiell­ement provo‐ qué les personnes interpel‐ lées.

Tout le monde se fait une opinion d’abord et, ensuite, les faits sortent, constate le professeur Jeffrey Butts. Après, dit-il, il devient difficile de faire changer d’avis les gens. Car, dans les faits, se‐ lon M. Butts, il n’y a pas de vague de crimes perpétrés par des migrants.

Marketing politique

C'est une invention des médias, je ne devrais pas me contenter de rejeter la faute sur les médias, explique Jef‐ frey Butts, car les hommes politiques adorent utiliser la question de la criminalit­é pour mobiliser leurs élec‐ teurs, leur inspirer de la peur, de l'anxiété, de la haine et du racisme, et cela fonc‐ tionne.

Aujourd'hui, les gens prennent des raccourcis, dans leur propre intérêt, afin de mobiliser leurs électeurs malgré les conséquenc­es.

Jeffrey Butts, professeur et chercheur au collège John Jay de justice criminelle, CUNY

Entendre le candidat ré‐ publicain présumé Donald Trump clamer que la crimina‐ lité pullule dans les villes gé‐ rées par des démocrates,

alors que le président Joe Bi‐ den avance que l'année der‐ nière, le taux d'homicide a connu la plus forte baisse ja‐ mais enregistré­e, peut semer la confusion chez les élec‐ teurs. Mais cela revient sur‐ tout à l’efficacité du camp à vendre ses arguments à tra‐ vers des techniques de mar‐ keting politique.

Il reste que ces amal‐ games à des fins politiques ont des conséquenc­es selon Jeff Archer. Dans l'esprit de nombreuses personnes, la criminalit­é ne peut qu'aug‐ menter, les crimes violents et les meurtres ne peuvent qu'augmenter. Et si les chiffres disent qu'ils baissent, alors ils sont faux.

C'est vraiment dommage parce que cela crée une si‐ tuation où nous pourrions reconnaîtr­e qu'une tendance est positive, en tirer des le‐ çons et déterminer les poli‐ tiques que nous pourrions mettre en oeuvre pour accen‐ tuer un déclin. Au lieu de cela, nous avons créé une si‐ tuation où nous n'apprenons jamais rien.

Jeffrey Archer, cofonda‐ teur de AH Analytics

Dans le métro de New York, certains usagers restent sceptiques non seulement quant à l'efficacité réelle de la présence policière et militaire des dernières semaines, mais aussi quant à la nécessité d’un tel branle-bas de com‐ bat. Si certains ne sont pas dupes, il reste qu’en cette an‐ née présidenti­elle, tous les coups seront permis pour marquer des points poli‐ tiques. Et cette fois, la cam‐ pagne de peur quant à la cri‐ minalité pourrait bien payer.

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