Bornes de recharge : Hydro-Québec veut laisser sa place au secteur privé
Après avoir développé le Circuit électrique, le réseau de bornes publiques à tra‐ vers la province, HydroQuébec se prépare à prendre du recul et laisser le privé s'emparer du mar‐ ché, à partir de 2030. Le changement ne devrait pas laisser indifférents les dé‐ tenteurs de véhicules élec‐ triques qui les rechargent sur les routes.
On souhaite que le sec‐ teur privé embarque dans l’aréna de la recharge pu‐ blique, explique à Radio-Ca‐ nada France Lampron, la res‐ ponsable du Circuit élec‐ trique depuis 12 ans, à Hy‐ dro-Québec.
Quand le secteur privé va arriver, on va se retirer.
France Lampron, respon‐ sable du Circuit électrique à Hydro-Québec
Le secteur privé frappe déjà à la porte pour prendre la place. C'est ce que révèle un mémoire remis au mi‐ nistre de l'Économie, de l'In‐ novation et de l'Énergie, Pierre Fitzgibbon, dans le cadre de la consultation sur le projet de loi qu'il prépare et déposera ce printemps.
L'Association des distribu‐ teurs d'énergie du Québec (ADEQ), dont sont membres 2 300 stations essence, écrit que les stations-service sont prêtes à prendre la relève.
Le gouvernement doit en‐ visager de retirer Hydro-Qué‐ bec du marché de la revente d'électricité-carburant et lais‐ ser cette activité au secteur privé.
Mémoire de l'Association des distributeurs d'énergie du Québec, remis au ministre Fitzgibbon.
En entrevue avec RadioCanada, la présidente de l'ADEQ, Sonia Marcotte, fait valoir que ses membres ont déjà une expertise en distri‐ bution d'énergie. On connaît les besoins des automobi‐ listes et on a déjà les meilleurs endroits, dit-elle.
Elle évoque la possibilité
que ses membres puissent racheter les bornes qu'Hy‐ dro-Québec a installées sur le terrain de stations-service.
Le Circuit électrique bâti par Hydro-Québec compte 5500 bornes de recharge sur les routes, dont près d'un millier de bornes rapides. D'ici 2030, la société d'État veut ajouter 2500 bornes ra‐ pides et 4500 bornes stan‐ dards. C'est à ce moment-là que le retrait d'Hydro-Qué‐ bec devrait s'amorcer.
En 2035, le gouvernement vise deux millions de véhi‐ cules électriques sur les routes. On n'arrivera pas seuls à répondre à tous les besoins, justifie France Lam‐ pron. Le rôle d'Hydro-Qué‐ bec, c'était de donner l'impul‐ sion.
Pas de monopole d'Hy‐ dro-Québec pour la re‐ charge
Depuis 2018, au Québec, la recharge électrique n'est plus considérée comme de la distribution d'électricité, mais plutôt comme un service. Le monopole d'Hydro-Québec sur la distribution ne s'ap‐ plique donc pas.
Un risque de payer plus cher
Actuellement, avec le ré‐ seau d'Hydro-Québec, on paie le même prix sa re‐ charge sur la route qu'on soit dans une région éloignée ou au centre-ville de Montréal. Avec le privé, ça devrait chan‐ ger.
C'est possible, explique France Lampron, d'HydroQuébec. Il faut que ce soit rentable pour eux. Par ailleurs, aucune réglementa‐ tion ne régule le prix de la re‐ charge.
Il va y avoir une concur‐ rence, donc il pourrait y avoir une variation, on verra à l'usage, ajoute Sonia Mar‐ cotte, de l'ADEQ. Le texte de son mémoire ne laisse pas de doute : les tarifs de re‐ vente d'électricité-carburant ne doivent pas être fixes.
L'exploitant de bornes de recharge doit être libre d'éta‐ blir son tarif de revente qui permet de rentabiliser son exploitation de bornes de re‐ charge [et] de moduler leurs tarifs en fonction de la de‐ mande et de la période de la journée.
Mémoire de l'Association des distributeurs d'énergie du Québec, remis au ministre Fitzgibbon.
Depuis début avril, la re‐ charge est facturée au kilo‐ wattheure, plutôt qu'en fonc‐ tion de la durée de recharge. C'est plus équitable, explique Hydro-Québec, puisque les voitures plus performantes se rechargeaient en moins de temps. C'était aussi une de‐ mande du secteur privé.
Autre coup de pouce au privé, le gouvernement sub‐ ventionne, depuis 2022, les bornes de recharge rapide qui sont installées par des entreprises dans des en‐ droits stratégiques, à proxi‐ mité des commerces, des restaurants, des pharma‐ cies...
Une enveloppe de 50 mil‐ lions de dollars a été prévue jusqu'en 2025. Pour l'installa‐ tion d'une borne de 100 kW, la subvention peut atteindre 80 % des dépenses admis‐ sibles, pour un maximum de 125 000 $.
L'enjeu de la rentabilité
Jusqu'à présent, si le privé n'était pas pressé d'investir le marché, c'est surtout parce que la rentabilité des bornes de recharge n'est pas au ren‐ dez-vous.
Du 1er janvier 2023 au 28 mars 2024, Hydro-Québec a tiré des revenus de 11,3 mil‐ lions de dollars de ses bornes rapides sur les routes du Québec, soit une moyenne de 12 390 $ par borne. Dans le même temps, ses investissements dé‐ passent largement les mon‐ tants récoltés.
Les stations essence pensent qu'elles pourront mettre les bornes aux en‐ droits les plus stratégiques pour assurer leur rentabilité. De son côté, Hydro-Québec avait un mandat très loin de la recherche du profit.
On a une approche de service public, donc on ne va pas seulement dans les en‐ droits où c'est rentable.
France Lampron, respon‐ sable du Circuit électrique, à Hydro-Québec
Certaines bornes du Cir‐ cuit électrique sont utilisées moins d'une fois par jour, ré‐ vélait récemment le Journal de Québec. Jamais le secteur privé n'exploiterait de tels emplacements. Installer une borne de 100 kW coûte 100 000 $, auxquels il faut ajouter 3510 $ par année d'exploita‐ tion et d'entretien.
Que se passerait-il si le secteur privé ne desservait pas les secteurs moins ren‐ tables? C'est très possible qu'à terme, Hydro-Québec soit dans les régions éloi‐ gnées, répond France Lam‐ pron. Si le privé n'est pas au rendez-vous, on va conti‐ nuer.