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L’inoubliabl­e Jean-Pierre Ferland n’est plus

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L’auteur-compositeu­r-in‐ terprète Jean-Pierre Fer‐ land est décédé à l'âge de 89 ans, laissant derrière lui un vaste héritage musical et des centaines de chan‐ sons à fredonner.

Quand on aime on a tou‐ jours vingt ans, Le petit roi, T'es mon amour, t'es ma maî‐ tresse et Un peu plus haut, un peu plus loin sont autant de vers d'oreille qui resteront à jamais dans la mémoire des mélomanes.

Durant son impression‐ nante carrière, Ferland aura écrit plus de 450 chansons et une trentaine d’albums.

Une grande histoire qui commence dans le bureau des annonceurs de Radio-Ca‐ nada, où il est commis aux horaires à la fin des années 1950.

Le faiseux de schedules, comme l'appellent ses col‐ lègues, écrit des poèmes et chante.

Il amuse les Pierre Pa‐ quette, Pierre Nadeau, Ri‐ chard Garneau, mais aussi le grand Jean-Paul Nolet, qui l’aide à s’acheter une guitare, et Henri Bergeron (Les beaux dimanches), qui lui offre d’en‐ registrer un disque.

On lui suggérera aussi, et fortement, de suivre des cours de chant.

Mais cela ne l'empêchera pas de remporter un premier concours, à l’émission Chan‐ sons sur mesure, avec Les immortelle­s en 1961.

En 1962, sa pièce Feuilles de gui remporte le grand prix du Gala internatio­nal de la chanson de Bruxelles.

À Montréal, les chanson‐ niers ont peine à se faire en‐ tendre.

Ferland, avec ses col‐ lègues Hervé Brousseau, Ray‐ mond Lévesque, Jacques Blanchet, Claude Léveillée et Clémence Desrochers forment Les Bozos.

Ils se font une petite salle rue Crescent qu’ils nomment, à juste titre, Chez Bozo, en hommage à Félix Leclerc.

La boîte à chansons mar‐ quera l'époque. Jean-Pierre se souvient particuliè­rement de ses moments avec Clé‐ mence, qui s'emploie à corri‐ ger ses textes. Elle m'a appris à écrire, disait le chanteur à propos de sa grande amie.

Une enfance sur le pla‐ teau

Jean-Pierre Ferland est né sur un Plateau-Mont-Royal ouvrier, à Montréal, où son père tenait une station-ser‐ vice. La maisonnée, cinq gar‐ çons et deux filles, habite un petit appartemen­t rue Cham‐ bord.

Il y a peu de disques et pas de livres dans les souve‐ nirs d'enfance du chanteur, sauf un petit Adagio de Félix Leclerc, qui laissera son em‐ preinte.

À sept ans, il a hâte d'être adulte pour fréquenter les femmes, la grande affaire de sa vie. Se trouvant laid, il cherche le moyen d'intéres‐ ser les dames. Il aime la mu‐ sique, il aime écrire; ses chansons et son regard de velours feront le reste.

Jean-Pierre Ferland se ma‐ rie tôt et renouvelle l'expé‐ rience. Il aura un garçon et une fille.

S’il fait du soleil à Paris

Au début des années 1960, comme plusieurs de ses collègues, il prend un billet pour Paris.

Il y restera cinq ans, le temps de faire ses classes. Il a déjà plusieurs succès à son actif, dont Feuilles de gui, Les immortelle­s, Les fleurs de macadam.

Et Ton visage, sur l'album Rendez-vous à la Coda, sorti en 1961.

Lorsqu'il entend sa chan‐ son interprété­e par Félix Le‐ clerc, son modèle, Jean-Pierre Ferland se sent adoubé.

En 1968, il écrit Je reviens chez nous, un spleen qui lui vaudra le prix de l’Académie Charles-Cros. L’auteur s'enor‐ gueillit d'ailleurs d'entendre Nana Mouskouri la chanter en plusieurs langues.

Ce qui aura aussi l’avan‐ tage de payer toutes [s]es dettes, dira-t-il en riant.

La chanson comme l'au‐ teur seront intronisés au Panthéon des auteurs et compositeu­rs canadiens en 2007, de même que Ton vi‐ sage, Le petit roi, T'es mon amour, t'es ma maîtresse et Un peu plus haut, un peu plus loin.

Un « Osstid'choc »

Je reviens chez nous ra‐ mènera aussi Jean-Pierre Fer‐ land au Québec. Le paysage a changé, et pas qu'un peu.

En cette année 1968, il re‐ çoit un électrocho­c en voyant l’Osstidcho de Robert Charle‐ bois. J'étais dévasté d’envie.

C’est là qu’il fomente sa révolution : Jaune.

Jean-Pierre Ferland met le paquet.

Il ne compte pas les heures et passe beaucoup de temps en studio avec son complice, le guitariste Michel Robidoux, et des musiciens américains qui ont pour noms Tony Levin, David Spi‐ nozza et Jim Young, en plus des arrangeurs Ant Phillips et Buddy Fasano.

Il fait venir des instru‐ ments de Los Angeles.

Le réalisateu­r André Perry orchestre le tout dans son studio, au sous-sol de son bungalow, à Brossard. Il était le George Martin de l’album, de dire le professeur de mu‐ sicologie Danick Trottier, en référence à l’éminence grise des Beatles, qui avait fait pa‐ raître quelques années plus tôt l’album Sgt. Pepper's Lo‐ nely Hearts Club Band, aux accents psychédéli­ques.

De nouveaux fans

Jaune devient vite un in‐ contournab­le et se vend à des dizaines de milliers d'exemplaire­s. Jean-Pierre Ferland, lui, malgré ses doutes, assume le virage.

L'artiste se fait de nou‐ veaux fans, mais il en perd aussi plusieurs. Ceux-là se sentent trahis. Car Le chat du café des artistes loge bien loin de l'univers musical de Je reviens chez nous.

Le chat sera d’ailleurs re‐ pris en 2009 par Charlotte Gainsbourg sur son album IRM. Le morceau original est génial, vraiment génial [...] c'est pas nous qui avons écrit les paroles, c'est un monsieur qui s'appelle Jean-Pierre Fer‐ land, qui est Canadien. Et le « Monsieur » se plaît à écouter ce que la fille de Serge a fait de sa chanson.

En 2018, Jaune reçoit le prix du Patrimoine Polaris pour son mérite artistique.

Une décennie de succès

À Jaune suivra Soleil et toute une décennie de suc‐ cès comme Le show busi‐ ness, Une peine d’amour, Qu'est-ce que ça peut ben faire et T'es mon amour, t'es ma maîtresse ce duo my‐ thique avec Ginette Reno en 1974.

En 1975, il sera du 1 fois 5 en plein air, à Québec et à Montréal, aux côtés de Claude Léveillée, Gilles Vi‐ gneault, Robert Charlebois et Yvon Deschamps. L’album re‐ cevra le prix de l'Académie Charles-Cros l'année sui‐ vante.

Pendant les années 1980, Jean-Pierre Ferland se consacre davantage à l’ani‐ mation avec Station soleil à Télé-Québec, Tapis rouge et L'autobus du showbusine­ss à Radio-Canada. Félix Leclerc lui enverra un petit mot pour lui dire de revenir à l'écriture.

Un échec

En 1989, Jean-Pierre Fer‐ land essuie un échec avec sa comédie musicale Gala.

Il admet en avoir tiré plu‐ sieurs leçons qu’il tente de mettre à profit avec La femme du roi, une autre his‐ toire d'amour, celle qui fit ab‐ diquer le roi Edouard Vlll pour l'Américaine divorcée, Wallis Simpson.

Les années 1990 sont ja‐ lonnées des classiques T’es belle, Écoute pas ça et En‐ voye à maison.

L'artiste est fait officier de l'Ordre du Canada en 1996 et chevalier de l'Ordre national du Québec en 2003.

La retraite

À partir de 2005, JeanPierre Ferland évoque la re‐ traite. Chaque spectacle est un adieu. En 2006, aux répé‐ titions en vue de la finale au Centre Bell, il subit un petit accident vasculaire cérébral (AVC). Il boucle tout de même sa tournée quelques mois plus tard, le premier de nom‐ breux adieux qu'il fera à son public.

Le chanteur se rend vite compte, malgré ses projets, malgré ses chevaux, malgré son magnifique domaine à Saint-Norbert, qu’il s'ennuie. Beaucoup.

Céline Dion et Ginette Reno lui rendent le sourire en l'invitant sur les plaines d'Abraham.

Il enregistre un album de duos en 2009, Bijoux de fa‐ mille.

À l'été 2011, il se produit à Ottawa dans le cadre du Fes‐ tival franco-ontarien, aux FrancoFoli­es de Montréal ainsi qu'au Festival d'été de Québec.

Il participe à l'émission spéciale Céline Dion… sans attendre fin 2012, il se trans‐ forme en coach pour La Voix en 2013, et sort le disque de sa comédie musicale La femme du roi l’année sui‐ vante.

En 2015, il souffle ses 80 bougies avec l'OSM à la Mai‐ son symphoniqu­e.

En 2020, malgré la pandé‐ mie, il lance Partir au vent et promet un album country.

Décidément, il faut se mé‐ fier d’un homme qui écrit : Avant de m’assagir, avant de jeter l’ancre, de ménager mon coeur, de couver ma santé...

Et il faut remercier l'artiste qui laisse autant de chansons à fredonner.

À lire et à écouter :

Jean-Pierre Ferland se confie sur son métier JeanPierre Ferland, heureux de chanter encore Il y a 50 ans, Jean-Pierre Ferland offrait son album Jaune Jean-Pierre Ferland, séduire pour se re‐ donner confiance Jean-Pierre Ferland : de fleur de maca‐ dam à petit roi

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