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« Une impuissanc­e épouvantab­le » : quand la COVID longue conduit à la détresse

- Mélanie MelocheHol­ubowski

Palpitatio­ns, tachycardi­e, étourdisse­ments, brouillard cérébral, pertes de mémoire : les symp‐ tômes de la COVID longue ressemblen­t parfois à ceux associés à des problèmes de santé mentale. Ces symptômes existent-ils parce que le virus a un ef‐ fet physiologi­que? Ou estce la chronicité des symp‐ tômes qui pousse les gens à développer des symp‐ tômes psychologi­ques?

Selon le psychiatre newyorkais Yochai Re’em, la ré‐ ponse se situe un peu à michemin. Pour certains, leurs problèmes de santé mentale sont exacerbés par le virus; pour d’autres, ils développen­t ces symptômes pour la pre‐ mière fois, explique-t-il.

Lorsque les premiers cas de COVID longue ont com‐ mencé à apparaître, le Dr Re’em, qui, lui aussi, a eu pendant des mois des symp‐ tômes de COVID-19, a cher‐ ché à mieux comprendre pourquoi certaines per‐ sonnes développai­ent des symptômes dépressifs ou d’anxiété. J’ai été malade pen‐ dant des mois. Et après quelques semaines, j’étais confus, témoigne-t-il. Je me demandais ce qui se passait.

Pourquoi je ne guérissais pas?

Il savait déjà que des études sur la dépression sug‐ géraient que l'inflammati­on dans le corps peut, dans cer‐ tains cas, affecter le cerveau et modifier l'humeur.

Aujourd'hui, de plus en plus d’études montrent que l’inflammati­on soutenue cau‐ sée par la présence de frag‐ ments de SRAS-CoV-2 semble avoir des effets sur le cer‐ veau et, donc, sur la concen‐ tration, l'humeur et la fa‐ tigue.

Nous n'en sommes pas sûrs à 100 %, mais cela semble aller dans ce sens. Je n’ai aucun doute que cela joue un rôle dans certains des symptômes psycholo‐ giques vécus par les patients de COVID longue, affirme le Dr Re’em.

Mais parce qu’il n’existe pas encore de tests pour diagnostiq­uer la COVID longue, de nombreuses per‐ sonnes continuent de se faire diagnostiq­uer, à tort, des troubles psychologi­ques, dé‐ plore Carrie Anna McGinn, qui souffre de COVID longue et qui a co-signé, avec le Dr Re’em, un article scientifiq­ue sur la santé mentale et la CO‐ VID longue.

Il y a beaucoup de gens qui sont stigmatisé­s. Il y a un manque d’éducation et de compréhens­ion pour toutes les maladies chroniques as‐ sociées à des infections, dit Mme McGinn.

Il n’y a rien de pire pour un patient que de se faire dire à répétition que ses symptômes sont inexpli‐ cables, ajoute la psychologu­e Sonia Ginchereau, qui a sa propre pratique privée et tra‐ vaille pour le CIUSSS de la Ca‐ pitale-Nationale.

Quand ton médecin ne peut même pas t’aider, c’est une impuissanc­e épouvan‐ table.

Sonia Ginchereau, psycho‐ logue

Par ailleurs, souligne-telle, les patients souffrant de COVID longue, comme ceux qui souffrent de la maladie de Lyme ou de la fibromyal‐ gie, ont énormément de diffi‐ culté à convaincre leurs mé‐ decins que leur mal n’est pas dans leur tête.

Il y a beaucoup [de méde‐ cins] qui disent que ça n'existe pas [la COVID longue], déplore Carrie Anna McGinn. La COVID longue suscite le même niveau de scepticism­e que pour d'autres maladies post-infec‐ tieuses. Mais la qualité de vie, et même le pronostic à long terme, dépend d'être cru par le profession­nel de la santé.

La psychologu­e Sonia Gin‐ chereau est l’une des profes‐ sionnelles de la santé qui, dès les premiers mois de la pandémie, a aidé les pre‐ miers patients atteints de COVID longue à obtenir des services de réadaptati­on.

Si Mme Ginchereau ne traite pas les effets phy‐ siques de la maladie, elle s’ef‐ force de diriger les patients vers les bonnes ressources et vers les profession­nels de la santé qui comprennen­t la COVID longue, ou du moins les maladies post-infec‐ tieuses.

Il faut travailler d'abord avec le médecin et essayer d’établir un diagnostic clair qui va par la suite aider la personne à aller chercher des ressources au niveau de l'employeur ou des compa‐ gnies d'assurance, dit Mme Ginchereau.

Obtenir le bon diagnostic est d’autant plus nécessaire, puisque les traitement­s sug‐ gérés pour la dépression ou l’anxiété sont généraleme­nt bien différents.

Marie* en sait quelque chose. Infectée en novembre 2020, elle souffre encore de divers symptômes post-CO‐ VID. On lui a parfois conseillé de s’activer ou de reprendre son rythme habituel, ce qui a plutôt mené à des crash d’énergie qui peuvent durer des jours, voire des se‐ maines.

*Marie a souhaité garder l'anonymat, pour ne pas nuire à ses traitement­s avec ces profession­nels de la santé.

Un sentiment d’impuis‐ sance qui mène à la dé‐ pression et à l’anxiété

S’il y a de plus en plus de preuves que la COVID-19 est l’une des causes de ces symptômes psychologi­ques, l’incertitud­e et le manque de reconnaiss­ance de la maladie ont également des répercus‐ sions sur le bien-être des personnes souffrant de CO‐ VID longue.

D’ailleurs, une récente méta-analyse a montré que certains patients post-COVID étaient 46 % plus suscep‐ tibles d'avoir des idées suici‐ daires pendant la phase post-aiguë de la maladie.

Une étude, publiée dans le journal BMC Psychiatry, montre que les personnes souffrant de COVID longue sont environ deux fois plus susceptibl­es de développer des problèmes de santé mentale, tels que la dépres‐ sion, l'anxiété ou le syn‐ drome de stress post-trau‐ matique, que les personnes qui n'en souffrent pas.

Les gens autour d’eux n’y croient pas. Eux-mêmes ont de la difficulté à y croire. Ils vivent de l'anxiété, des re‐ mises en question, un senti‐ ment de perte de contrôle. Puis ça mène à un état dé‐ pressif. Et oui, ça peut ame‐ ner à des crises suicidaire­s, dit Sonia Ginchereau.

La majorité de ces per‐ sonnes ne sont pas suici‐ daires, croit Mme Ginche‐ reau. Elles veulent s'en sortir, elles veulent trouver des fa‐ çons de contrôler leurs symptômes. Le désespoir est probableme­nt l’une des choses les plus difficiles à gé‐ rer. Il faut les aider à trouver de l'espoir dans cette incerti‐ tude.

Carrie Anna McGinn abonde dans le même sens. Elle voit souvent ce type de détresse au sein du groupe de soutien de COVID longue qu’elle gère sur les réseaux sociaux.

Souvent c'est la peine qui est exprimée. Ce n’est pas une volonté de mourir, c'est une volonté d'avoir du sou‐ tien adéquat.

Carrie Anna McGinn

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Partout au Canada : 988 Au Québec : 1 866 APPELLE (277-3553) (ou par texto : 535353) Sur le web : www.suicide.ca

Pour le Dr Re’em, beau‐ coup de personnes souffrant - ou qui pensent souffrir - de COVID longue se sentent iso‐ lées, incomprise­s et seules. Peu à peu, elles perdent confiance en elles et res‐ sentent d’énormes frustra‐ tions de n’avoir ni réponse ni aide.

Marie* fait d’ailleurs par‐ tie de groupes de soutien en ligne, même si un profession‐ nel de la santé le lui a décon‐ seillé. Il m’a dit que d’être dans un groupe pouvait en‐ tretenir nos symptômes. Mais, au contraire, ça m’aide beaucoup. Le groupe me confirme que je ne suis pas seule.

De nombreuses per‐ sonnes ont dû mettre leur vie sur pause, raconte Mme Gin‐ chereau. Ils sont en mode at‐ tente, mais entre-temps, leur vie passe. Il faut des inter‐ ventions pour les aider à re‐ prendre une vie qui va sûre‐ ment être différente de celle d’avant, mais plus intéres‐ sante que d’être simplement sur pause.

Et c’est sans compter les répercussi­ons sur la vie conjugale, la vie familiale, la vie sociale et la vie profes‐ sionnelle, soulignent Mme Ginchereau et Mme McGinn.

Il n'y a pas vraiment un fi‐ let de soutien social et finan‐ cier adéquat pour les per‐ sonnes qui sont malades, dit Carrie Anna McGinn, qui ajoute que les familles vivent elles aussi de grands boule‐ versements quand un de leurs membres ne peut plus contribuer aux tâches quoti‐ diennes.

Malgré les nombreuses embûches vécues par les personnes souffrant de CO‐ VID longue, Sonia Ginchereau tient à leur rappeler qu’il y a de l’espoir. C'est difficile à faire parce que ça confronte la personne à faire des deuils et à s'adapter. Mais il y a des moyens de mieux vivre mal‐ gré la maladie.

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