Pour certains Autochtones, prendre la parole à l’ONU comporte un lourd prix à payer
Eskender Bariiev a un débit rapide. Pour ses trois mi‐ nutes de parole lors de la 23e session de l’Instance permanente des Nations unies sur les questions au‐ tochtones, qui vient de prendre fin à New York, ce Tatar de Crimée voulait passer le plus de messages possible.
Depuis 240 ans, les peuples autochtones de Cri‐ mée ont été persécutés et leur patrimoine culturel ainsi que leur langue ont été dé‐ truits, a-t-il commencé avant d'enchaîner sur les jeunes mobilisés dans l’armée russe, l’assimilation des enfants, les objets culturels volés, les poursuites pénales contre les représentants des peuples autochtones et l’occupation de la terre.
Je demande à la Russie de quitter le territoire de l’Ukraine et de cesser d’occu‐ per la Crimée, a-t-il conclu sous les applaudissements de la salle.
Eskender Bariiev est membre du Majlis, l’assem‐ blée des Tatars de Crimée dissoute par les autorités russes, et président du conseil d'administration du Centre de ressources des Ta‐ tars de Crimée.
Depuis 2014 et l’annexion de la Crimée par la Russie, les persécutions ont repris contre cette minorité musul‐ mane. Moscou considère le Majilis comme une organisa‐ tion terroriste et limite l'en‐ seignement de la culture ta‐ tare.
Le Conseil de l’Europe, Amnistie internationale, Hu‐ man Rights Watch et d’autres organismes ne cessent de dénoncer des violations graves des droits de la per‐ sonne, la répression de la li‐ berté religieuse, l’éradication de l’identité culturelle et de la langue ou encore les restric‐ tions imposées aux médias.
Actuellement, selon le Centre de ressources des Ta‐ tars de Crimée, 217 Tatars sont poursuivis pour des af‐ faires criminelles et 135 sont des prisonniers politiques. Les interrogatoires, les arres‐ tations, les violations des droits et les arrestations se poursuivent.
Peu de temps après le dé‐ but de l’occupation de la Cri‐ mée, Eskender Bariiev a dû fuir à cause des persécutions et des provocations dont il dit faire l'objet. Depuis 2015, il vit à Kiev et n’est jamais re‐ tourné chez lui.
Bien sûr, il y a toujours un danger lorsqu'on dénonce quelque chose devant une instance internationale, lance-t-il en entrevue. Mais il continue activement de le faire.
Il est nécessaire de prendre constamment la pa‐ role à l’Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones afin d’informer les représentants des peuples autochtones, qui comptent plus de 470 mil‐ lions de personnes dans le monde et qui peuvent tous, à un degré ou à un autre, in‐ fluencer leurs gouverne‐ ments et les organisations in‐ ternationales qui participent également au forum, préciset-il.
Une première fois lourde de conséquences
Pour l’Autochtone d’Aceh Muhammad Krueng, sa pre‐ mière participation à cette instance signifie de facto l'exil : il ne pourra plus retourner sur son île de Sumatra, au nord de l’Indonésie.
Il est venu parler au nom du Front national de libéra‐ tion de Sumatra Aceh pour demander de l’appui dans le combat pour son indépen‐ dance vis-à-vis de l’Indonésie.
À Aceh, il y a beaucoup de persécutions. Nous ne pou‐ vons même pas parler d’au‐ todétermination ni d’indé‐ pendance, raconte-t-il dans un salon calme du bâtiment de l’ONU.
Il y a deux ans, un de mes amis a apposé un autocollant pour revendiquer le besoin d’indépendance. Ils l’ont mis en prison pendant 11 mois. Même si l’Indonésie jouit d’une liberté d’expression, si nous parlons d’indépen‐ dance ou d’autodétermina‐ tion, on nous jette en prison.
Par conséquent, dans cette instance qu’il considère comme un espace sécuritaire pour parler, il en est convaincu d'une chose : Si le gouvernement l’apprend, je ne pourrai plus y retourner. Établi au Texas depuis 25 ans, il retournait dans sa terre natale chaque année.
Maintenant, c'est terminé : je ne peux plus y retourner. Muhammad Krueng
À ses côtés se trouve le Papou John Anari. Depuis près de 60 ans, les Papous se battent pour leur indépen‐ dance contre le pouvoir cen‐ tral indonésien sur la moitié ouest de l’île de NouvelleGuinée occidentale. John Anari est le chef d’une des ailes politiques de l’Armée nationale de libération de la Papouasie occidentale et donc le volet diplomatique. Il a demandé l’asile aux ÉtatsUnis, où il vit aujourd'hui.
Les terres des Papous sont de plus en plus habitées par des Indonésiens et re‐ gorgent de richesses, notam‐ ment une des plus grandes mines d’or et de cuivre au monde. Il y a deux ans, les experts de l'ONU ont tiré la sonnette d'alarme au sujet des graves abus commis en Papouasie, notamment des meurtres d'enfants, des dis‐ paritions, de la torture et des déplacements massifs de po‐ pulation, et ont appelé à une aide d'urgence.
Parler du statut politique de la Papouasie occidentale constitue un danger, assure John Anari, qui insiste : Si nous en parlons, c’est vrai‐ ment dangereux.
Sur le terrain, explique-t-il, les combattants se battent contre l’armée et la police in‐ donésiennes. Depuis un an, les affrontements entre l’ar‐ mée indonésienne et les in‐ dépendantistes ont gagné en violence et touchent des ci‐ vils, dont de nombreux Pa‐ pous.
Il y a un an, un pilote néozélandais a été pris en otage par les indépendantistes qui, ce faisant, veulent attirer l’at‐ tention internationale sur leur combat.
John Anari enchaîne les prises de parole pour attirer l’attention sur les violences dont son peuple est victime et demande à l’ONU de prendre ses responsabilités.
Des représentants au‐ tochtones pris pour cible à l’ONU
Ces dernières années, le nombre de signalements et la gravité de plusieurs cas d’intimidation et de repré‐ sailles contre des personnes coopérant avec l’Organisa‐ tion des Nations unies se sont accrus. Interdiction de voyager, menaces, harcèle‐ ment, campagnes de déni‐ grement, surveillance, agres‐ sions physiques, arrestations arbitraires, voire actes de tor‐ ture et assassinats : cela peut prendre différentes formes.
Le nombre d'actes d’inti‐ midation et de harcèlement commis dans l’enceinte de l’ONU, en particulier contre des représentants des peuples autochtones, a même augmenté depuis le retour à la participation en présentiel, peut-on lire dans le dernier rapport annuel du haut-commissaire des Na‐ tions unies aux droits de l’homme.
Des personnes ont par exemple été photographiées ou enregistrées sans leur consentement et des repré‐ sentants de gouvernements
se sont adressés à des repré‐ sentants de la société civile de manière intimidante avant, pendant ou après que ceux-ci avaient participé à des réunions tenues dans le cadre de l’ONU.
Extrait du rapport du haut-commissaire des Na‐ tions Unies aux droits de l'homme
Être visible et entendu en‐ traîne un risque de repré‐ sailles, confirme le chargé de programme pour le bureau du Haut-Commissariat aux droits de la personne à la section des peuples autoch‐ tones et des minorités, Morses Caoagas Flores, luimême autochtone.
Intimidation, menaces pour avoir pris la parole, pour avoir collaboré avec l’ONU. Et les menaces se ma‐ nifestent de diverses ma‐ nières : avant qu’ils ne se rendent à une réunion de l’ONU, pendant cette réunion et quand ils rentrent chez eux. Certains préfèrent ne pas parler à cause de ça, ex‐ plique-t-il.
Il mentionne le cas récent de participants qui n’ont pas pu rentrer chez eux et les nombreux signalements qu’il reçoit. La plupart des gens nous disent de ne rien faire. Ils pensent que si les choses deviennent visibles, cela peut nuire non seulement à l’indi‐ vidu, mais à l’ensemble de la communauté, poursuit Morses Caoagas Flores.
Mais il faut révéler ces cas, croit-il fermement, parce que si nous n’en parlons pas ouvertement, alors le pro‐ blème sera passé sous si‐ lence et tout ça sera business as usual. Son bureau enre‐ gistre donc les cas et diffuse les informations, notamment dans les rapports officiels et avec le rapporteur spécial.
Le poids des mots
Est-ce possible d’attendre que je sois rentrée au Maroc avant de publier mon his‐ toire? demande l’activiste amazigh Amina Amharech tout en mettant son tasbnit, un foulard, sur sa tête et en enfilant un collier tradition‐ nel.
Témoin depuis son en‐ fance de la négation dont est victime son identité berbère dans son propre pays, elle a toujours continué, grâce à ses parents, à porter son hé‐ ritage et à parler sa langue, le tamazight, même en cachette à l’université.
La situation a quelque peu évolué ces dernières an‐ nées, non seulement avec la reconnaissance, en 2001, de la culture amazighe dans le patrimoine culturel national, mais aussi et surtout avec la consécration du tamazight comme langue officielle du Maroc en 2011. Cependant, il reste encore du chemin à faire, et la membre fonda‐ trice de l’Association ACAL et du Réseau communautaire amazigh AZUL demeure pru‐ dente.
Cette année, le thème de l’Instance permanente est le droit à l’autodétermination, et c’est bien ce qu’elle compte plaider encore une fois. On ne peut pas parler d’autodétermination si on ne parle pas de l’occupation du droit à la terre, au territoire et aux ressources naturelles. Parce que c’est ça, le proces‐ sus d’assimilation. On nous désancre du territoire, de notre univers, et après, on perd tous les repères, la langue, la vie communau‐ taire, etc.
Et, assure-t-elle, si vous parlez d’autodétermination, on va vous taxer de sépara‐ tiste.
Pourtant, elle aussi se pré‐ sente devant l’Instance onu‐ sienne, venue par ses propres moyens, car elle est bénévole dans son associa‐ tion. La majorité des acti‐ vistes ne perçoivent pas de salaire : c'est par conviction qu’on le fait, résume l’ensei‐ gnante. D’ailleurs, elle se pré‐ sente comme activiste avant tout.
En 2018, elle a été bour‐ sière du programme pour re‐ présentants autochtones du HCDH.C'est pour ça que je suis un peu préservée, as‐ sure-t-elle. On ne vient pas à l’ONU pour dire n’importe quoi. Tout ce que vous dites est passible d’être vérifié et contredit par un pays, et c’est pour ça qu’il faut toujours ap‐ porter les preuves de ce que vous dites. Il ne faut pas que ce soit nominatif ni que ça porte préjudice à quelqu’un.
C’est très lourd comme charge. Il faut toujours avoir en tête qu’il faut protéger ceux qui sont derrière et c’est difficile, mais parfois, on a des petites victoires.
Amina Amharech
Se que États faire entendre, ce redoutent certains
Le lendemain, un burnous (habit traditionnel berbère) sur les épaules, le présidentfondateur du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), Ferhat Me‐ henni, s’avance vers le micro devant l’Instance. Il dénonce notamment la détention ar‐ bitraire de plusieurs per‐ sonnes issues de la Kabylie, dont des militants de son mouvement, par les autorités algériennes. Certains déte‐ nus ont entamé une grève de la faim.
À l’ONU, cette parole est facile. En Algérie, c’est beau‐ coup plus difficile.
Ferhat Mehenni, fonda‐ teur du Mouvement pour l’autodétermination de la Ka‐ bylie
Selon Amnistie internatio‐ nale, les autorités algé‐ riennes ont de plus en plus recours à des accusations liées à la lutte contre le terro‐ risme formulées en des termes vagues pour pour‐ suivre des membres de groupes considérés comme étant d’opposition.
L’ONG précise que depuis 2021, le pouvoir algérien considère le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie ainsi que l’organi‐ sation politique Rachad comme des entités terro‐ ristes. La même année, le Code pénal algérien a été modifié pour élargir la défini‐ tion du terrorisme et y in‐ clure le fait d’oeuvrer ou inci‐ ter à accéder au pouvoir ou à changer le système de gou‐ vernance par des moyens non constitutionnels.
Ferhat Mehenni a notam‐ ment été arrêté 12 fois et condamné par contumace à la prison à perpétuité par un tribunal d’Alger en 2021. De‐ puis 2008, il vit en exil en France. Pour continuer le combat, j’avais besoin de ma liberté!
Ce prix, j’ai appris à le payer depuis longtemps. Je le connais et je l’assume!
Ferhat Mehenni, fonda‐ teur du Mouvement pour l’autodétermination de la Ka‐ bylie
À New York, celui qui est à la tête de l’ANAVAD, le gou‐ vernement provisoire kabyle, en a profité passer à une autre étape : déclarer solen‐ nellement l’indépendance de la Kabylie.
Tous les gouvernements, toutes les dictatures, sont sensibles aux dénonciations. Celle que nous venons de faire aura sûrement un im‐ pact sur les autorités algé‐ riennes et j’espère que cela changera quelque chose pour nous.
L’autre effet est aussi, ditil, de rassurer les Kabyles comme quoi nous nous bat‐ tons et nous faisons en‐ tendre au sein des instances internationales, et c’est ce qui est le plus redouté par l’Algé‐ rie : que la Kabylie ait une voix à l’étranger.
rer une forme de paix au sein du pays, et ce, notamment par le principe de réconcilia‐ tion.
Professeur de sciences politiques à l’Université de Montréal et spécialiste des institutions démocratiques de l’Afrique, Mamoudou Ga‐ zibo estime qu’à l’époque, le grand défi du moment était de conserver la paix, le mo‐ dèle démocratique sud-afri‐ cain et l’unité nationale.
Assurer cette transition-là était important et je pense que c'était la figure qui pou‐ vait le faire.
Mamoudou Gazibo, pro‐ fesseur de sciences poli‐ tiques à l’Université de Mon‐ tréal
Aux yeux de Mamoudou Gazibo, cette transition aura été assurée par l’inclusion de l’ancien régime d’apartheid au sein des institutions poli‐ tiques.
[Nelson Mandela] a dit : "J'ai combattu la domination blanche, je combattrai une domination noire. Ce que je veux, c’est le principe d'une personne, une voix."
Le professeur donne ainsi comme exemple la nomina‐ tion de Frederik de Klerk, président de l'État de la Ré‐ publique d'Afrique du Sud de 1989 à 1994, à titre de viceprésident de la République d’Afrique du Sud.
L’ancien militant antiapar‐ theid Dan O’Meara pense aussi que la réconciliation a été au coeur de la présidence Mandela.
Aujourd’hui professeur de sciences politiques à l’Univer‐ sité du Québec à Montréal, l’homme d’origine sud-afri‐ caine est l'un des rares Blancs à avoir milité active‐ ment contre le régime de l'apartheid.
Selon lui, la réconciliation a été un mot d’ordre de la présidence de Mandela.
De faire en sorte que le pays ne retombe pas dans le conflit racial, la guerre civile raciale qui le menaçait pen‐ dant très longtemps, c'est peut-être l'accomplissement le plus important de Nelson Mandela.
Des inégalités qui per‐ sistent
Si Dan O’Meara reconnaît les révolutions qu’a menées Nelson Mandela au sein de son pays, le professeur es‐ time que l’aspect le plus im‐ portant de son gouverne‐ ment, soit le démantèlement des héritages socioécono‐ miques de l’apartheid, a tout simplement été un échec, et que l’Afrique du Sud en subit encore les effets.
Il n'était qu'un homme, donc il a commis des erreurs.
Son héritage est très, très im‐ portant. Le pays vit dans une certaine paix grâce à lui, mais les problèmes demeurent as‐ sez graves dans mon pays.
Dan O’Meara, ancien mili‐ tant antiapartheid et profes‐ seur de sciences politiques à l’Université du Québec à Montréal
C'est la tragédie de l'Afrique du Sud. Oui, on a ga‐ gné la bataille contre la forme politique et sociale de l'apartheid. [Mais] on a tota‐ lement perdu la lutte contre la discrimination écono‐ mique qui persiste. Les cli‐ vages économiques en Afrique du Sud aujourd'hui sont encore largement basés sur la race.
Cela étant dit, Dan O’Meara et Mamoudou Ga‐ zibo soulignent tous deux que de s’attendre à ce que Nelson Mandela puisse à lui seul résoudre tous les pro‐ blèmes de l’Afrique du Sud aurait été irréaliste.
Quand on a eu 100 ans de discrimination, on ne résout pas ça en un mandat, lance ainsi Mamoudou Gazibo.
Un héritage qui s'effrite
Le 29 mai 2024 se tien‐ dront des élections générales en Afrique du Sud. Le pré‐ sident sortant, Cyril Rama‐ phosa, est à nouveau candi‐ dat.
Le pays, où la majorité noire continue à vivre dans la pauvreté, est aux prises avec une aggravation des inégali‐ tés. Le taux de chômage, es‐ timé à plus de 32 %, est le plus élevé au monde.
Pour la première fois de‐ puis l'arrivée au pouvoir de l'ANC en 1994, les sondages indiquent que le parti pour‐ rait obtenir moins de 50 % des voix au niveau national, ce qui lui ferait perdre le pou‐ voir, à moins qu'il ne par‐ vienne à former une coalition avec de plus petites forma‐ tions.
Pour certains jeunes élec‐ teurs, la nostalgie n'a pas d'écho, et l’héritage de Man‐ dela s’effrite au fil de ses suc‐ cesseurs.
J'ai eu l'occasion de voter en 2019 et aux élections lo‐ cales de 2021, mais je ne l'ai pas fait, parce qu'aucun de ces vieux partis ne m'a suffi‐ samment persuadé des rai‐ sons pour lesquelles je de‐ vais voter, a ainsi déclaré Do‐ nald Mkhwanazi, 24 ans.
Je n'ai pas vu la nécessité de voter, en raison de ce qui s'est passé au cours des 30 dernières années. Nous par‐ lons de liberté, mais sommes-nous libérés de la criminalité, de la pauvreté? De quelle liberté parlonsnous?
Dan O’Meara a constaté que l’héritage de Mandela devient contesté, une ten‐ dance qu’il regrette et qu’il note particulièrement chez les jeunes noirs. Le profes‐ seur dénonce ainsi l’utilisa‐ tion de termes très, très durs, comme traître ou vendu, afin de qualifier l’ancien pré‐ sident.
Je crois que c'est totale‐ ment faux. Il a fait ce qu'il fal‐ lait faire, il a fait ce qu'il était possible étant donné les rap‐ ports de force à l'époque, il ne pouvait pas aller plus loin.
Dan O’Meara, ancien mili‐ tant antiapartheid et profes‐ seur de sciences politiques à l’Université du Québec à Montréal
Mais alors, que retiennent les Sud-Africains de la prési‐ dence de Nelson Mandela?
On retient de Nelson Mandela l'humanisme. Je pense que c’est ça, le maître mot : l'humanisme, le sens du pardon, une vision. Quel‐ qu'un qui a toujours milité pour contre les inégalités, pour l'inclusion, pour la jus‐ tice, estime Mamoudou Ga‐ zibo.
Dan O’Meara, pour sa part, a une approche un peu plus nuancée.
C'est quoi, le vrai héri‐ tage? Il n'y a pas d'unanimité là-dessus.
Avec les informations d’Audrey Neveu et de l’Asso‐ ciated Press
veau.
Morses Caoagas Flores Selon lui, il est beaucoup plus facile de traiter avec son gouvernement en dehors de son pays. Aux Philippines, par exemple, il faut suivre un protocole complexe pour rencontrer un ministre. Ici, vous êtes assis dans la même pièce.
L’Instance permet aussi aux peuples autochtones de découvrir que, dans la majo‐ rité des cas, ils partagent les mêmes enjeux, même si des spécificités existent. Elle per‐ met aussi de lever le voile sur des problèmes méconnus.
Morses Caoagas Flores se souvient d’avoir été très cho‐ qué quand il a appris les cas de disparitions et d’assassi‐ nats de femmes autochtones au Canada. Nous avions de tels cas dans d’autres régions du monde, mais d’entendre cela, considérant le Canada comme un pays modèle à bien des égards, notamment en matière de droits de la personne, c’est assez cho‐ quant!
En résumé, le forum est un endroit incroyable pour apprendre et désapprendre!
Morses Caoagas Flores
Toutes les voix enten‐ dues?
Pour pouvoir se faire en‐ tendre, encore faut-il pouvoir se rendre à ce forum. C’est très difficile logistiquement, substantiellement et admi‐ nistrativement, résume-t-il.
D’abord, il faut pouvoir avoir un visa pour entrer aux États-Unis. Près de 90 % des bénéficiaires du Fonds de contributions volontaires des
Nations unies, qui offre un soutien financier sous la forme de subventions pour aider les représentants des communautés et organisa‐ tions autochtones à partici‐ per aux mécanismes onu‐ siens, auraient besoin d’un visa. Leur plus grand défi est même d’avoir un rendez-vous pour l’obtenir, explique-t-il, à cause des arriérés de de‐ mandes découlant de la pan‐ démie.
Dans son programme de bourses autochtones cette année, une seule personne sur les 32 sélectionnées n’a pas pu obtenir de visa. L’an dernier, six n’ont pas pu ve‐ nir, ils venaient tous d’Afrique. Nous n’avions pas un seul boursier d’Afrique l’an dernier, c’est triste!
Ensuite, il faut avoir les ressources financières et New York n’est pas la ville la moins chère du monde, rap‐ pelle-t-il. Certains doivent payer leur logement d’avance, ce qui coûterait entre 2000 et 3000 dollars. Or, c’est le salaire annuel de certaines personnes. C’est impossible!
Une carte de crédit est né‐ cessaire, mais tout le monde n’en détient pas une. Je viens donc au secours de per‐ sonnes presque tous les jours parce qu’elles ne peuvent payer que sur une base journalière et c’est le plus gros mal de tête que j’ai depuis mon arrivée!
De plus, la langue est un défi de taille. L’ONU a six langues officielles et les inter‐ prètes sont disponibles pour les réunions officielles, mais pas pour les nombreux évé‐ nements parallèles qui sont très courus par les partici‐ pants. Sans compter que s’y retrouver dans la bâtisse de l’ONU comme dans New York n’est pas aisé. Un vrai laby‐ rinthe.
Enfin, la technicité du fonctionnement reste un défi. Il faut avoir une certaine compréhension des droits de la personne, du mécanisme de l’ONU, des prises de déci‐ sions.
Apprendre pour parler sur le même pied d’égalité
Parfois je pleure, parce que j’espère que le monde écoute, raconte-t-il. Pour être honnêtes, nous n’avons pas besoin d’aller à Genève, à New York, on devrait pouvoir plaider depuis notre maison. Pourquoi devons-nous venir ici pour en parler? puis il en‐ chaîne : Mais le monde fonc‐ tionne ainsi et nous devons le suivre, sinon il bougera sans nous.
Alors Morses s’est donné pour mission de former la prochaine génération de lea‐ ders, de leur donner les clés de la diplomatie et de la poli‐ tique internationale pour avancer comme tout le monde et s’assurer d’être sur un pied d’égalité.
Afin de favoriser cela, chaque année, une trentaine d’Autochtones du monde en‐ tier sont sélectionnés comme boursiers du programme de formation aux droits de la personne, créé par le HautCommissariat des Nations unies aux droits de l’homme. Depuis son lancement en 1997, plus de 300 Autoch‐ tones y ont participé, dont Morses en 2005.
Clarisse Taulewali Da Silva, présidente de la Jeunesse au‐ tochtone de Guyane, est l’une des bénéficiaires cette année. À l’entrée du bâtiment des Nations unies, non loin de la statue de Nelson Man‐ dela, elle salue une per‐ sonne, interpelle une autre et regarde le défilé de per‐ sonnes qui passent. Si elle a déjà participé au mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones à Ge‐ nève en juillet 2023, c’est sa première fois à ce forum.
C’est un peu une safe place [un espace sécuritaire] parce qu’il y a plein de repré‐ sentants de peuples autoch‐ tones. Du coup, une connexion est déjà faite. C’est très actif, réconfortant! lance celle qui appartient au peuple Kali’na Tileweyu en Guyane française.
Armée de sa formation à Genève, où elle a notamment appris le droit international et le mécanisme onusien, elle est venue défendre les droits de la jeunesse autochtone des six nations de Guyane. Lors de ses trois prises de parole, elle a notamment parlé de l’impact du change‐ ment climatique en Guyane, dénoncé l’inaction du gouver‐ nement français pour l'em‐ poisonnement au mercure à cause de l’orpaillage illégal, mais aussi dans le dossier des pensionnats pour Au‐ tochtones.
Elle a demandé aux membres du forum perma‐ nent de faire pression sur la France pour la création d’une commission Vérité et réconci‐ liation pour les huit homes indiens, ces pensionnats pour Autochtones. Entre 1930 et 2023, plus de 2000 enfants autochtones y ont été envoyés de force.
Ils y ont tous baigné dans le même système d’assimila‐ tion, de francisation, d’évan‐ gélisation, de diabolisation de leurs cultures et de leurs langues, de maltraitance ali‐ mentaire, de violences phy‐ siques et morales, voire sexuelles, souligne la jeune femme.
Morses regarde de loin Clarisse derrière son micro. Il rêve que bientôt cette relève soit à sa place. Si on est ca‐ pables de le faire, nous au‐ rons apporté une contribu‐ tion. Si nous ne sommes pas en mesure de former la re‐ lève, nous les abandonnons.
D'autant qu’il est bien conscient que si dans cer‐ taines régions du monde des progrès ont été constatés pour les peuples autoch‐ tones, avec notamment leur reconnaissance par les gou‐ vernements, dans d’autres, il y a recul, aggravation de la si‐ tuation.
À New York, il a bien l'es‐ poir que la plupart des voix des Autochtones seront en‐ tendues, mais Morses ne se fait pas d’illusion. L’un des as‐ pects les plus difficiles du fait d’être à l’ONU est d’être vi‐ sible, mais il existe un risque de représailles.
L’enjeu de la sécurité en prenant la parole au forum permanent des Nations unies sur les questions autoch‐ tones sera l’objet d’un second article.
Plus de 476 millions de personnes autochtones vivent dans 90 pays du monde, ce qui représente 6,2 % de la population mondiale.