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Voyager avec la poésie dans le métro

- Emilie Daveluy

8 h à Toronto et les métros sont bondés. À l’entrée d’un wagon, une vingtaine de passagers ont le visage collé sur leur téléphone, complèteme­nt absorbés. Un peu plus loin, des passa‐ gers observent attentive‐ ment un poème qui retient leur attention parmi les an‐ nonces publicitai­res et par‐ tagent ensemble leurs im‐ pressions.

Britta Badour, mieux connue sous le nom de Britta B., pense que Poems in Pas‐ sage, le programme d'art pu‐ blic qui apporte la poésie dans les transports en com‐ mun de Toronto, rejoint un nouveau public générale‐ ment désintéres­sé par ce genre littéraire. L'artiste pro‐ pose aux passagers d'être présents avec la poésie, plu‐ tôt que de vivre leur vie en mode de pilote automatiqu­e.

Dans un autre wagon sur la ligne Bloor, Maryn Madoff, une passagère, lit un poème de Rumi : Ghazal (Ode).

Beaucoup de gens se sentent vraiment seuls et c’est un moyen de les inspirer afin qu'ils trouvent un sens à leur vie; et d’être connectés à leur entourage, ce qui pour‐ rait avoir un effet très puis‐ sant dans une grande ville, exprime-t-elle.

Cet effet fait son chemin et ses bienfaits se constatent dans plusieurs commentair­es partagés aux artistes dont les poèmes sont affichés dans la

Commission de transport de Toronto (CTT).

J'ai vécu les cinq mois les plus difficiles de ma vie adulte, ayant souffert d'une perte et d'une trahison. Ce matin, sur la ligne Bloor, j'ai trouvé Song of Sheba et j'étais époustoufl­ée, peut-on lire dans la publicatio­n Insta‐ gram de la poète Adebe De‐ Rango-Adem.

L'artiste décrit cette lettre comme la réaction à un de ses poèmes la plus émou‐ vante qu’elle a reçue de sa vie.

Cela fait une différence, ajoute la passagère dans son message.

Une poésie d'impact

Avoir un impact; c’est l’in‐ tention des fondateurs de Poems In Passage, Latif Murji et Addesse Haile, en rame‐ nant la poésie dans le métro en février dernier, 12 ans après la disparitio­n de Poetry on the Way (Poésie en che‐ min), en 2012.

L’initiative vise à apporter une lumière au quotidien en offrant des moments de contemplat­ion dans le métro.

D’une certaine façon, nous ouvrons l'esprit des gens à la poésie, à sa beauté et aux contributi­ons artis‐ tiques de différente­s commu‐ nautés à travers le monde, en faisant en sorte que ce soit normal pour les gens de voir cela dans une ville multi‐ culturelle comme Toronto, partage Latif Murji, co-fonda‐ teur de Poems In Passage.

La Commission de trans‐ port de Toronto (CTT) sou‐ tient la mission de Poems In Passage, qui met en valeur les oeuvres de 12 poètes émergents et établis, en don‐

nant la priorité aux voix de groupes traditionn­ellement sous-représenté­s et en quête d'équité.

Plus de 100 affiches de chaque poème sont publiées dans environ 75 % des auto‐ bus, des tramways, des mé‐ tros et des stations de la CTT depuis le début février. Pu‐ blic cible? Les 1,3 million d'usagers qui circulent chaque jour de la semaine dans les transports publics du Grand Toronto.

La poète officielle de Mis‐ sissauga, Andrea Josic, décrit la publicatio­n de son poème I text my love at Old Mill Sta‐ tion, comme un point tour‐ nant dans sa carrière, lui pro‐ curant un sentiment extraor‐ dinaire en voyant l'effet de sa poésie au quotidien, dans les « douzaines et douzaines de messages » reçus depuis.

Son poème, une lettre d’amour entre deux per‐ sonnes qui vivent à des en‐ droits opposés de la ville, in‐ siste sur l’importance d’être connecté, malgré la distance. Que ce soit sur une petite distance : sur une ligne de métro, dans une ville ou un pays, cela évoque le senti‐ ment de pouvoir relier l’amour à la distance et le désir d’être ensemble, par‐ tage l'artiste.

Un sentiment qui rejoint la réalité de plusieurs passa‐ gers torontois, dont les fa‐ milles sont en dehors du pays.

Favoriser le sentiment d’appartenan­ce avec le pouvoir des mots

Britta B. a participé à la sélection des poèmes. Elle explique avoir cherché à voir ce qu’elle pourrait décoder des oeuvres des poètes; un sentiment, une musique, une mémoire qui auraient un im‐ pact sur les gens, surtout en considéran­t qu'il y a tant de nouveaux arrivants et d'im‐ migrants dans la ville de To‐ ronto.

Il y a tellement de cultures et d'identités à Toronto. Nous voulions voir si nous pou‐ vions toucher des gens qui, même s'ils ne se sentent pas directemen­t interpellé­s par le poète, pourraient trouver dans les mots ou le code un moyen de se connecter, af‐ firme Britta B.

Lillian Allen, la poète offi‐ cielle de Toronto, aime l’idée de ramener la poésie à la po‐ pulation et de ne pas l’enfer‐ mer dans une sorte de tour d’ivoire.

Elle se dit honorée de l’in‐ clusion de son poème intitulé Growing Old(er) et des réac‐ tions qu’elle en reçoit, autant des jeunes que des plus âgés.

Une personne du quartier Jane et Finch m'a dit qu'à chaque fois qu'elle pense à moi, elle voit des possibilit­és. Nous avons tellement besoin de mentors, surtout pour les communauté­s marginalis­ées et les voix sous-représenté­es, déclare-t-elle.

Assurer la viabilité de la poésie dans les transports en commun

Latif Murji et Addesse Haile, les fondateurs de Poems In Passage souhaitent assurer une pérennité au programme, tout comme l'es‐ pèrent plusieurs passagers.

L’initiative en est à sa pre‐ mière année et la CTT s’est engagée à la soutenir pour deux ans. Les fondateurs de Poems in Passage souhaitent aussi faire des bourgeons vers Montréal, Ottawa et d'autres villes canadienne­s.

Les poètes qui veulent participer à la prochaine édi‐ tion de Poems in Passage pourront soumettre leurs textes à l’automne prochain.

À lire et à écouter aussi :

Qu’est-ce que ça fait au juste un poète officiel? D’Bi Young Anitafrika se raconte Une dernière prose pour le parrain de la poésie

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