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Les mots, au coeur des créations de Jean-Pierre Ferland

- Philippe Granger

On se souvient de son al‐ bum Jaune. On se souvient d’Une s’a, d’Un

chance qu’on peu plus haut, un peu plus loin, de Le petit roi. On

se souvient de Jean-Pierre Ferland l’amoureux, l’inter‐ prète ou même l’animateur et le coach à La Voix. Mais, 450 chansons et plus de 60 ans de carrière plus tard, que retenons-nous de JeanPierre Ferland, le créateur, l’artiste, le parolier?

En entrevue à Radio-Ca‐ nada, de nombreux composi‐ teurs, artistes et - souvent amis de longue date de JeanPierre Ferland ont voulu sou‐ ligner l'apport artistique du « petit roi », de ses paroles à son intensité créative.

Suivez notre couverture en direct sur le décès de Jean-Pierre Ferland

Des mots simples

Le compositeu­r Alain Le‐ blanc a collaboré avec JeanPierre Ferland. Ensemble, ils ont travaillé sur l’album Écoute pas ça, qui comprend la chanson Une chance qu’on s’a, une des plus célèbres du répertoire du chanteur, qui avait été inspirée par la mort de son chien.

Pour Alain Leblanc, cette collaborat­ion a été la chance d’une vie.

C’est le genre de projet que t’essaies pas de refaire une deuxième fois, parce que c’est impossible. Tout a convergé dans un succès qu’on ne soupçonnai­t pas à l’époque.

Alain Leblanc, composi‐ teur

En entrevue avec AnneMarie Dussault, le composi‐ teur assure qu’au coeur du succès de cette oeuvre se trouve la plume de JeanPierre Ferland.

En général, Jean-Pierre avait ce talent-là d'utiliser des mots simples, mais en même temps, les images qui se créaient avec tout ça, les gens se reconnaiss­aient làdedans.

Alain Leblanc est loin d’être le seul à partager cet avis. Les compositeu­rs sont nombreux à saluer le legs poétique du chanteur.

Aux yeux de Paul Baillar‐ geon, Jean-Pierre Ferland est ni plus ni moins le plus grand parolier avec qui il a travaillé. Celui qui a travaillé avec lui sur le double album Soleil croit qu’un des talents de Jean-Pierre Ferland est de pouvoir cristallis­er l’esprit d’une chanson en une seule phrase.

"Méchant amour, c’est pas la mort, c’est encore pire" : une fois qu’il a dit ça, la chan‐ son est faite!

Paul Baillargeo­n, composi‐ teur

Des propos que corrobore Paul Huet, membre du groupe Beau Dommage et admirateur de longue date de Jean-Pierre Ferland.

Jean-Pierre Ferland, c’est des "one-liners". Quand t’en‐ tends la phrase "Le petit roi" ou "Je sors de Sing sing", tu as une phrase et tu as la chanson. Et ça, c’est le métier de chansonnie­r.

Paul Huet, membre du groupe Beau Dommage

Il a rendu la chanson qué‐ bécoise populaire au sens le plus pur, au sens le plus complet, au sens le plus glo‐ bal. Et ça se voit dans son vo‐ cabulaire. Ce n’est pas un vo‐ cabulaire qui cherche à être poétique ou littéraire. C’est un vocabulair­e qui est tou‐ jours simple, mais qui ré‐ sonne, qui a une valeur acoustique, estime pour sa part l’auteur-compositeu­r Stéphane Venne.

Il ne faut jamais oublier la portée poétique de son tra‐ vail. Au début, il voulait vrai‐ ment s’inscrire dans une forme de poésie vocale, et c’est pour ça aussi que c’est un grand parolier, synthétise Danick Trottier, professeur de musicologi­e à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

L'auteur-compositeu­r-in‐ terprète d'exception JeanPierre Ferland, décédé sa‐ medi à l'âge de 89 ans, est à l’honneur sur toutes les pla‐ teformes de Radio-Canada. Voici un aperçu de la pro‐ grammation consacrée à la mémoire du petit roi de la musique québécoise.

Des collaborat­ions fruc‐ tueuses

Au-delà des textes de Jean-Pierre Ferland, Danick Trottier juge que le milieu d’ébullition intellectu­el et ar‐ tistique dans lequel il se trou‐ vait à l’époque a certaine‐ ment contribué à la création de chansons originales.

Ferland [apprenait] aux côtés des autres, et les autres [apprenaien­t] auprès de Fer‐ land, résume-t-il, en réfé‐ rence au regroupeme­nt mu‐ sical Les Bozos, dont il faisait partie.

Parce que si Jean-Pierre Ferland a su écrire des textes originaux et marquants, il a aussi su bien s’entourer au niveau musical.

Il a toujours eu de bons pianistes avec lui, et il a su s’entourer de ce qu’il fallait pour la musique, juge ainsi le pianiste François Cousineau, qui a composé de nom‐ breuses pièces pour JeanPierre Ferland.

[Il avait] le talent de colla‐ borer avec des musiciens qui ne lui ressemblai­ent pas né‐ cessaireme­nt toujours.

Pierre Létourneau, com‐ positeur qui a côtoyé JeanPierre Ferland

En entrevue à Radio-Ca‐ nada, plusieurs compositeu­rs se sont remémoré des séances de travail - parfois improvisée­s et parfois très in‐ tenses - avec le chanteur.

Ce dernier avait souvent des couplets, des idées, mais il n’arrivait pas toujours à les traduire en mélodie.

Quand il avait un flash, il partait de Saint-Norbert. Il m’appelait : "Es-tu là? Oui?" et il s’en venait. Il venait me dire : "En femme ou en enfant / Les cheveux longs ou courts / T'es belle pour longtemps / T'es belle pour toujours… Aimes-tu ça? Merci." et il re‐ partait à Saint-Norbert, relate ainsi François Cousineau.

Selon Alain Leblanc, la flexibilit­é donnée aux com‐ positeurs explique aussi le succès des collaborat­ions de Jean-Pierre Ferland.

Comme compositeu­r, quand tu te fais dire : "Je veux pas tourner à la radio, je veux pas vendre. On va faire des chansons de 7-8 mi‐ nutes", ça ouvre la porte à une créativité qui est débor‐ dante.

À cela s’ajoutait une cer‐ taine confiance, voire une ad‐ miration, accordée par Fer‐ land aux compositeu­rs avec qui il travaillai­t.

Il me disait : "T’es extraor‐ dinaire, tu t’assois au piano et tu fais vivre mes textes." Je disais : "C’est tes textes qui font vivre mes mélodies. Pas de texte, pas de mélodie", ra‐ conte Paul Baillargeo­n.

Le grand chansonnie­r québécois a marqué la mu‐ sique bien au-delà de son créneau et de son territoire. La preuve : cette liste d'écoute, avec ses inou‐ bliables morceaux ainsi que l'étonnante gamme de re‐ prises qu'ils ont inspiré aux quatre coins du monde.

L'héritage de Félix Le‐ clerc

Le professeur en musico‐ logie Danick Trottier estime que Jean-Pierre Ferland a été inspiré par le travail des chansonnie­rs français, mais aussi par Félix Leclerc.

Selon lui, ce sont ces ins‐ pirations qui l'auraient mené vers ce mariage parfait entre texte et musique.

L’influence de Félix Leclerc sur Jean-Pierre Ferland est in‐ contestabl­e. L’admiration de

Ferland à l’égard de Leclerc était indubitabl­e.

Par exemple, Les Bozos, le nom de ce groupe musical dont faisait partie Jean-Pierre Ferland, était directemen­t tiré de la chanson Bozo, de Félix Leclerc.

Aussi, ciblé un jour à son insu par l’émission Surprise sur prise, Jean-Pierre Ferland avait, à bord d’un bateau, consenti à ce qu’on laisse tomber sa voiture dans l’eau, mais ce, à une seule condi‐ tion : qu’on lui permette d’al‐ ler chercher le nouveau disque de Félix Leclerc, laissé à l’intérieur.

Mais, au-delà des anec‐ dotes, l’admiration entre les deux hommes semblait tou‐ tefois bien réelle et réci‐ proque, selon le réalisateu­r et metteur en scène Pierre Séguin.

Quand Félix Leclerc a dé‐ cidé d’arrêter de chanter, il est allé porter un disque [...] à Jean-Pierre sous sa porte et lui a écrit : "J’ai bâti une belle maison, la clef est sous le paillasson", en voulant dire qu’il lui léguait l’espèce de de‐ voir de continuer son oeuvre.

Pierre Séguin, réalisateu­r

et metteur en scène

Le legs de Ferland

Si Félix Leclerc a su laisser sa marque auprès de JeanPierre Ferland, ce dernier a, lui aussi, laissé la sienne au‐ près d’autres artistes québé‐ cois.

Je ne serais pas le musi‐ cien que je suis aujourd’hui sans Jean-Pierre Ferland, ré‐ sume tout simplement Da‐ niel Mercure, proche collabo‐ rateur du chanteur pendant près d’une dizaine d’années.

Pour Pierre Huet, membre de Beau Dommage, l’in‐ fluence de Ferland sur son groupe est sous-estimée.

On parle souvent des in‐ fluences que Beau Dommage a pu avoir des Beatles. Mais nos disques de chevet, quand on grandissai­t, c’était [du Ferland...] Ce sont nos disques de formation.

Paul Huet, admirateur de longue date de Jean-Pierre Ferland et membre du groupe Beau Dommage

Celui qui a déjà travaillé avec Offenbach voue une ad‐ miration pour la multidisci­pli‐ narité du chanteur, sa mise en scène et sa production.

C’est un artiste de varié‐ tés. Avant Ferland et Charle‐ bois, au Québec, tu étais soit yéyé, soit chansonnie­r. Ces deux-là ont mêlé les deux.

Le meilleur et pire compli‐ ment que je peux lui faire, c’est que, dans les sondages, [l’album Jaune] bat toujours le disque de Beau Dommage, lance-t-il aussi à la blague.

Avec les informatio­ns d'Anne-Marie Dussault, de D'abord l'info et de Dessinemoi un matin

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