Protection du français : le plan de la CAQ en courtepointe
Après avoir fait monter les attentes des Québécois pendant 15 mois, la CAQ a finalement déposé un Plan d’action pour la langue française qui regroupe, pour l'essentiel, soit des mesures déjà annoncées, soit des mesures qui res‐ tent encore à être préci‐ sées.
On comprend que l’exer‐ cice a été difficile à exécuter : le gouvernement voulait an‐ noncer sans tarder des déci‐ sions qu’il avait prises - no‐ tamment en matière d’immi‐ gration et d’enseignement supérieur - et s’est résolu à le faire avant de déposer son plan. À l’inverse, il avait en tête d’autres initiatives, mais n’a pas voulu retarder la pu‐ blication du document, même si cela aurait permis de les détailler davantage.
À l’instar du projet de loi 96, adopté par Simon JolinBarrette en 2022, le plan d’action chapeauté par JeanFrançois Roberge ne propose pas une ou deux mesuresphares, mais un assemblage d’actions d’importance et d’impact potentiel inégaux.
En coulisses, on fait valoir une nouvelle approche : la défense du français ne doit plus être vue comme une question qu’on règle une fois pour toutes grâce à un plan d’action ou à un projet de loi, mais plutôt comme une pré‐ occupation constante qui ap‐ pelle sans cesse à de nou‐ veaux gestes. Déjà, le mi‐ nistre Roberge indique que d’autres actions, d’autres me‐ sures risquent fort de vous être présentées [...] à l’inté‐ rieur du mandat.
Comme on pouvait s’y at‐ tendre, les partis d’opposi‐ tion dénoncent un plan im‐ précis et insuffisant, mais le gouvernement aurait pu s'éviter bien des critiques en orchestrant mieux sa straté‐ gie dès le départ.
Des constats aux tions ac‐
Sur le fond, les constats identifiés dans le document sont en droite ligne avec l’évolution des indicateurs lin‐ guistiques présentés ces der‐ niers mois et ces dernières années. On y aborde notam‐ ment la question de l’immi‐ gration temporaire, dont la forte croissance accentue la pression sur le français.
Début 2024, 560 000 rési‐ dents non permanents se trouvaient sur le territoire québécois, selon Statistique Canada. Cela inclut notam‐ ment les étudiants étrangers, dont le nombre a beaucoup progressé depuis 20 ans, et que le gouvernement espère attirer davantage dans les institutions francophones que dans les établissements anglophones.
On insiste aussi sur l’in‐ fluence qu’exercent les géants du web, particulière‐ ment sur la jeune génération. Selon l’Office québécois de la langue française, le tiers des jeunes francophones de 18 à 34 ans consommeraient uni‐ quement des contenus en ligne en anglais.
Actuellement, quand on ouvre Netflix ici, on se re‐ trouve la plupart du temps aux États-Unis. [...] Tentez l’expérience, si vous avez la chance, d’ouvrir Netflix en France. Quand vous faites ça, vous arrivez en territoire français numériquement par‐ lant, a lancé Mathieu La‐ combe, enthousiaste.
Le ministre de la Culture a paru très motivé par l’an‐ nonce d’un projet de loi qui forcera les géants du web à assurer l’accessibilité et la dé‐ couvrabilité des contenus culturels francophones.
Au-delà des formules em‐ phatiques de circonstance sur l’importance du français, il faudra voir jusqu’où le gou‐ vernement pourra ou voudra aller concrètement. S’il en‐ tend se donner de nouveaux leviers, ces derniers ont aussi leurs limites. En matière d’im‐ migration temporaire, bien des décisions se prendront à Ottawa. Et au chapitre du contrôle des plateformes nu‐ mériques, la tâche s’annonce ardue.
Québec plaide pouvoir agir en vertu de ses compé‐ tences en matière de langue et de culture, mais des joueurs de l’industrie feront sans doute valoir que les té‐ lécommunications relèvent du gouvernement fédéral.
C’est sans compter que certaines entreprises ne montrent pas beaucoup d’empressement à appliquer les lois déjà adoptées par le gouvernement fédéral dans le même domaine. Le refus de Meta de négocier avec les groupes de presse, comme le prévoit la Loi sur les nou‐ velles en ligne, en est proba‐ blement la meilleure illustra‐ tion.
Des mesures incitatives
Pour le reste, les nou‐ velles mesures proposées risquent de laisser sur leur faim ceux qui croient moins en la sensibilisation qu’en la coercition.
Le document utilise des formules comme promouvoir et faire rayonner la recherche en français, mettre en place des comités de travail avec les partenaires dédiés à la maîtrise du français des étu‐ diants québécois ou encore assurer un leadership pour favoriser la diversité des contenus.
Le ministre Roberge a d’ailleurs confirmé que son gouvernement n’entend pas légiférer pour l’instant, hor‐ mis pour le projet de loi que portera son collègue La‐ combe au sujet des plate‐ formes numériques.
Il promet, en contrepartie, de rendre publics, sur une base périodique, une série d’indicateurs documentant la situation linguistique et son évolution. Ces derniers s’ajouteront aux travaux du Commissaire de la langue française, nouveau chien de garde de la langue française. Bref, la pression se maintien‐ dra sur le cabinet.
Ces derniers mois, chaque fois qu’une statistique ou qu’un événement soulevait des inquiétudes sur l’avenir du français, les membres du gouvernement utilisaient le plan à venir comme bouclier pour se protéger des cri‐ tiques. Cette défense ne pourra dorénavant plus être invoquée.