L’Afrique sur la ligne de front pour exiger la réduction de la production de plastique
Alors que s'entame la der‐ nière ligne droite d'une ronde de négociations sur la pollution plastique à Ot‐ tawa, les États n'en dé‐ mordent pas sur la ques‐ tion de la production. Face à un regroupement d'États - dont les pays du Golfe, fa‐ rouchement contre l'ins‐ tauration d'un plafond sur la production de plastique -, plusieurs pays d'Afrique militent pour l'adoption d'un traité ambitieux.
Depuis près d'une se‐ maine, les délégués de 176 pays ont repris là ou ils s'étaient laissés, fin no‐ vembre, à Nairobi, lors du troisième tour de négocia‐ tions en vue de l'adoption d'un accord international juri‐ diquement contraignant sur le plastique.
Si les appels à une réduc‐ tion de la production de plas‐ tique ont été nombreux de‐ puis le tout début des pour‐ parlers, plusieurs pays sont réticents, voire opposés, à toute discussion sur cette question.
Face aux représentants de l'Arabie saoudite, l'Irak, l'Iran, la Chine et la Russie, qui jugent prioritaire de se concentrer sur la conception des produits et l'amélioration du recyclage, une coalition de près de 65 pays exigent plu‐ tôt un haut niveau d'ambi‐ tion.
Ces États s'entendent pour dire que la production et la consommation de plas‐ tiques, qui ont atteint des ni‐ veaux insoutenables, doivent être limitées.
Parmi ceux-ci, on retrouve près d'une quinzaine de pays africains. Le Rwanda, l'un des premiers pays du globe à avoir banni les bouteilles et les sacs de plastique à usage unique, copréside cette coali‐ tion aux côtés de la Norvège.
Au cours des derniers jours, le Rwanda, jugé comme un leader en matière de lutte à la pollution plas‐ tique, a déposé une proposi‐ tion avec le Pérou afin que le texte final du traité com‐ prenne une cible phare, à l'instar des grands accords sur les changements clima‐ tiques et sur la biodiversité.
Nous n'avons pas de temps à perdre. [...] La grande majorité des États membres africains appuient une réduction de la produc‐ tion de plastique à des ni‐ veaux durables.
Jeanne d'Arc Mujawama‐ riy, ministre de l’Environne‐ ment du Rwanda, en plénière à l'INC-4, le 25 avril
Pour s'aligner avec la cible de l'Accord de Paris de limiter le réchauffement à 1,5° C, in‐ dique la proposition, l'objectif devrait être de réduire, à compter de 2025, 40 % des polymères plastiques pri‐ maires d'ici 2040.
Ces polymères entrent dans la composition de l'es‐ sentiel des articles de plas‐ tique que l'on emploie au quotidien - et ils repré‐ sentent la majeure partie de la production de plastique sur la planète.
Petite production; grands impacts
L'Afrique n'est pas un grand producteur de plas‐ tique. Pourtant, nous sommes fortement affectés par toute cette pollution, fait remarquer Hellen Kahaso Dena, responsable du PanAfrican Plastics Project chez Greenpeace Africa.
Les 54 nations africaines ne produisent que 5 % du plastique sur la planète et n'en consomment que 4 %. Mais la forte croissance dé‐ mographique et le dévelop‐ pement urbain ont entraîné une hausse des plastiques à usage unique sur le conti‐ nent.
Nous composons aussi avec le fardeau du colonia‐ lisme; des pays occidentaux ont eu tendance à décharger leurs déchets dans diffé‐ rentes parties de l'Afrique, souligne Hellen Kahaso Dena. Et ce, en dépit du fait que la majeure partie des pays du continent n'ont ni les moyens ni les réseaux adé‐ quats pour gérer les déchets.
Déjà, le taux de recyclage dans le monde est très bas, moins de 10 %. En Afrique, nous n'avons même pas les infrastructures pour faire ça.
Hellen Kahaso Dena, res‐ ponsable du Pan-African Plastics Project
Jetés dans l'environne‐ ment ou incinérés à l'air libre, les déchets représentent une menace pour la santé des communautés africaines, soit en contribuant à la reproduc‐ tion de moustiques porteurs de maladie ou en libérant des polluants nocifs suscep‐ tibles de causer des pro‐ blèmes respiratoires.
L'élimination inconsidérée du plastique risque de ré‐ duire la porosité du sol au point de rompre le cycle de régénération des ressources en eau et de réduire la qua‐ lité des terres agricoles, note de son côté l'Organisation mondiale de la santé.
L'abandon de déchets plastiques dans l'environne‐ ment peut en outre mettre en danger les habitants à proximité de cours d'eau. En ce moment, chez moi au Ke‐ nya, nous avons eu de fortes pluies et d'importantes inon‐ dations, explique Mme Dena. Et ce que nous constatons, c'est que le plastique s'accu‐ mule dans les rivières et em‐ pêche l'eau de s'écouler.
Dans les localités moins nanties et les régions densé‐ ment peuplées, qui sont plus à risque de subir des inonda‐ tions aggravées par la pro‐ blématique du plastique, poursuit-elle, l'obstruction des systèmes de drainage peut être dévastatrice.
Des restrictions partout sur le continent
Pour contrer les effets né‐ fastes de la pollution plas‐ tique, de nombreux pays d'Afrique ont adopté des lois afin d'en bannir ou d'en res‐ treindre l'usage.
Après avoir interdit la fa‐ brication, l'utilisation, la vente et l'importation de sacs en plastique en 2008, le Rwanda est devenu en 2019 le premier pays du continent africain à imposer une inter‐ diction totale des plastiques à usage unique.
Tandis que des États inter‐ disent les plastiques non bio‐ dégradables, d'autres s'at‐ taquent aux plastiques minces, qui entrent notam‐ ment dans la composition des sacs d'épicerie. C'est le cas du Madagascar, où les sacs en plastique de moins de 0,05 millimètre d'épais‐ seur sont interdits depuis 2015.
D'autres pays, comme l'Afrique du Sud et Eswatini, imposent plutôt une taxe à l'achat.
Selon les ressortissants africains rencontrés par Ra‐ dio-Canada à Ottawa, le plus grand défi demeure toutefois de veiller au respect de ces réglementations. La diffé‐ rence des lois en vigueur d'un pays à l'autre et l'ab‐ sence de mécanismes effi‐ caces de surveillance ont compromis leur mise en oeuvre.
Bien que ce ne sont pas la totalité des pays africains qui plaident pour une réduction de la production, la majorité des États ont réussi à faire front commun, au cours des négociations, pour qu'une mention en ce sens se taille une place dans le texte final, selon Hellen Kahaso Dena.
Pour les États insulaires, les lois adoptées par les gou‐ vernements pour stopper la pollution plastique n'ont qu'une portée limitée - d'où la nécessité d'un traité inter‐ national contraignant.
Nous importons 90 % de nos produits, et ils arrivent au pays dans des emballages