En parlant d’« épidémie » de violence conjugale, on déresponsabilise les agresseurs
Il y a-t-il une épidémie de violence conjugale au Ca‐ nada?
Certains politiciens, dont l’opposition officielle en On‐ tario, veulent que la violence entre partenaires intimes soit désignée comme épidémie. Le ministre de la Justice en Nouvelle-Écosse a démis‐ sionné après avoir remis en question ce concept. Un re‐ groupement pour la protec‐ tion des femmes fait pres‐ sion sur les municipalités pour qu’elles déclarent une épidémie de violence conju‐ gale.
La criminologue Madeline Lamboley est titulaire de la Chaire de recherche du Ca‐ nada en violence sexuelle, prévention, intervention et professeure à l’Université de Moncton.
Elle croit que le mot est mal choisi.
Ne pas médicaliser un problème social
Dans le domaine médical, une épidémie signifie quelque chose qui se pro‐ page rapidement. Il y a plus de cas qui sont signalés, mais ça ne veut pas dire que c'est un phénomène qui est nou‐ veau, prévient Mme Lambo‐ ley.
Le terme épidémie aussi viendrait simplifier à son ex‐ trême une problématique complexe qui a des facettes multiples, a-t-elle déclaré en entrevue dimanche au Télé‐ journal Acadie.
On viendrait médicaliser un problème social, ajoute-telle. Ça viendrait déresponsa‐ biliser l'agresseur, alors que dans 100 % des cas, c'est l'agresseur qui est respon‐ sable. Dans 100 % des cas, la violence est un moyen qui est choisi par l'agresseur.
Madeline Lamboley dit souhaiter que les partis poli‐ tiques passent plus de temps à s’informer sur les stratégies de lutte contre la violence entre partenaires qui fonc‐ tionnent, et moins sur des questions de vocabulaire. On devrait être davantage consultés, certainement.
Des coûts à la hausse et pas assez de financement
Au Nouveau-Brunswick, il n’y a pas que les politiques qui sont importantes pour les maisons d’hébergement pour victimes de violence conjugale, mais aussi le fi‐ nancement. Elles ont de la difficulté à offrir leurs ser‐ vices.
Ces organismes attendent toujours les résultats d’une révision commencée il y a deux ans par le ministère du Développement social du Nouveau-Brunswick.
Le plus gros défi, je dois avouer, c’est le financement, dit Nadia Losier, la directrice générale de l'Accueil SainteFamille de Tracadie, dans la Péninsule acadienne.
Le gouvernement subven‐ tionne à 60 % les 15 maisons d’hébergement de la pro‐ vince, comme l'Accueil Sainte-Famille.
Le reste vient d’octrois du fédéral et de nombreuses campagnes de financement locales.
Pour survivre, il nous manque 40 %, déclare Nadia Losier.
Le 40 % qu’on exige, ditelle, c’est juste pour nous amener à ne pas être en défi‐ cit.
16,3 M$ pour lutter contre la violence faite aux femmes
L’étude que fait le minis‐ tère du Développement so‐ cial doit notamment détermi‐ ner les budgets à allouer aux maisons d’hébergement. Bien que ce dossier traîne en longueur, la directrice de l’Ac‐ cueil Sainte-Famille garde es‐ poir que le gouvernement fi‐ nisse par comprendre les be‐ soins réels des maisons d’hé‐ bergement.
Il n’y avait rien dans le dernier budget provincial pour améliorer le sort des 15 maisons d’hébergement du Nouveau-Brunswick.
J’ai beaucoup d’espoir, et j’ai tendance à en avoir un peu trop, avance prudem‐ ment Nadia Losier. J’ai espoir qu’ils vont évaluer notre sec‐ teur pour voir les lacunes, le manque de financement, et tout [...] le travail qu’on pour‐ rait faire de plus si on était fi‐ nancé adéquatement.
La criminologue Madeline Lamboley souligne que la hausse des coûts affecte les organismes communau‐ taires, tout comme les indivi‐ dus. Le financement leur per‐ mettrait d'améliorer les ser‐ vices et de pouvoir offrir la totalité des services.
D’après le reportage de Réal Fradette et les rensei‐ gnements de Janic Godin