Le pipeline Trans Mountain ouvrira-til les portes de l’Asie?
L’agrandissement du pipe‐ line Trans Mountain devait permettre au Canada de di‐ minuer sa dépendance en‐ vers les États-Unis et de di‐ versifier la clientèle pour son pétrole. Pourtant, se‐ lon certains analystes, une majorité du bitume dilué nouvellement acheminé dans l’oléoduc se retrou‐ vera encore au sud de la frontière.
La firme de données éner‐ gétiques Wood Mackenzie es‐ time même que 85 % du pé‐ trole acheminé par le nou‐ veau pipeline sera destiné aux raffineries de la côte ouest des États-Unis.
Ces raffineries sont tout simplement proches, ce qui signifie des coûts de trans‐ port moins élevés, explique Dylan White, analyste princi‐ pal du marché pétrolier nordaméricain à Wood Macken‐ zie.
Les installations de la Cali‐ fornie importent déjà du pé‐ trole brut similaire au produit canadien depuis l’Amérique du Sud et le Moyen-Orient. Elles pourront donc facile‐ ment remplacer ces importa‐ tions coûteuses par du pé‐ trole canadien. La côte ouest a du sens, résume Dylan White.
La concurrence russe
Les États-Unis étaient pourtant loin de faire partie de l’argumentaire de vente pour justifier la construction du pipeline. Au début du pro‐ jet, la Chine et les autres marchés en croissance de l’Asie étaient les clients de choix des dirigeants et des gouvernements.
« Où est le marché, où est le marché, où est le marché? C’est en Asie », affirmait en 2012 Ian Anderson, alors diri‐ geant de l'entreprise proprié‐ taire du pipeline Kinder Mor‐ gan Canada. Il y a un senti‐ ment d’urgence partout au Canada d’accéder et d’exploi‐ ter ces marchés.
Depuis, la géopolitique a changé dans la région, sou‐ ligne Dylan White. À cause de sanctions économiques, la Russie ne peut plus exporter son pétrole aux marchés eu‐ ropéens, mais a trouvé de nouveaux clients en Chine et en Inde, notamment. Ces ba‐ rils russes à prix réduits sont dominants dans les marchés asiatiques, constate l’ana‐ lyste.
Pour Wood Mackenzie, ces sanctions pourraient res‐ ter en place jusqu’en 2030, ce qui rendra difficile la compé‐ titivité du brut canadien au cours de la décennie.
La valeur de la sécurité énergétique
La vice-présidente du sec‐ teur aval à Rystad Energy, Su‐ san Bell, est d’accord que les raffineries californiennes sont un client naturel pour le pétrole acheminé dans l'oléo‐ duc Trans Mountain, mais elle n’écarte pas aussi vite l’Asie.
L’Asie accroît énormément sa capacité de raffinage de pétrole lourd, note-t-elle. Si le pétrole est compétitif, [les raffineurs] trouveront un moyen de l’utiliser.
Le transport du pétrole de
Vancouver à la Corée du Sud prend environ 18 jours, selon la société d'État Trans Moun‐ tain. Le trajet depuis le golfe du Mexique nécessite le double de temps.
Deux entreprises chi‐ noises, Sinochem et Petro‐ China, auraient d’ailleurs déjà acheté les cargaisons de na‐ vires pétroliers au départ de la Colombie-Britannique, se‐ lon les informations de Bloomberg. Reuters rapporte également que le raffineur indien Reliance Industries a acheté du pétrole brut cana‐ dien qui sera transporté dans l'oléoduc Trans Mountain.
Le directeur de l’Institut de la Chine de l’Université de l’Alberta, Philippe Rheault, ne doute ainsi pas que le pé‐ trole canadien intéresse l’Asie, les marchés du sud-est en particulier. L’ancien diplo‐ mate a passé un quart de siècle dans la région.
Il reconnaît que l’offre russe est attrayante pour ces marchés, mais d’autres fac‐ teurs entrent aussi en jeu.
Je pense que ce n’est pas juste une question de rap‐ port qualité-prix… C’est aussi une question de sécurité, de pouvoir avoir un autre four‐ nisseur avec la réputation du Canada, un fournisseur qui est prévisible, fiable…, sou‐ ligne-t-il.
Philippe Rheault estime qu’en la matière, l’exportation du pétrole canadien pourrait bénéficier d’un appui poli‐ tique qui encourage notre approvisionnement directe‐ ment à ces pays-là afin de re‐ hausser notre posture et la pertinence dans la région.
Tout bénéfice pour les producteurs
Que ce soit l’Asie ou un autre client américain, la des‐ tination ne fait pas tellement de différence pour les pro‐ ducteurs canadiens. La simple augmentation de la capacité d’exportation suffit à accroître la valeur du pétrole canadien selon Mark Que‐ sada, analyste à Rystad Energy.
La minute où vous avez une autre option pour vendre votre production, ça donne un sentiment de contrôle et une manière d’agir pour maximiser nos ressources, explique-t-il.
Le rabais qui est imposé au pétrole canadien faute de place dans les pipelines s’est d’ailleurs déjà réduit en prévi‐ sion du début commercial du pipeline agrandi le 1er mai.