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L’abondance du homard pourrait-elle offrir plus de travail aux pêcheurs?

- Shanelle Guérin

La Première nation Wolas‐ toqiyik Wahsipekuk, qui détient trois des quatre permis exploratoi­res au ho‐ mard octroyés dans le sec‐ teur de la Matanie et de la Haute-Gaspésie, est opti‐ miste quant à l’obtention de permis de pêche com‐ merciaux en 2025, alors que la saison de pêche au homard s’est ouverte sa‐ medi.

À mesure que les eaux se réchauffen­t, les homards re‐ montent de plus en plus dans l'estuaire du SaintLaure­nt et la biomasse gros‐ sit rapidement. Ils ont main‐ tenant élu domicile dans des zones où ils étaient normale‐ ment quasi absents, notam‐ ment en face de la Matanie et de la Haute-Gaspésie.

Depuis 2018, la Première nation pêche la ressource dans la zone 19A et aide le ministère des Pêches et des Océans du Canada (MPO) à évaluer son abondance, sa distributi­on et sa producti‐ vité. L'an dernier, le ministère a transformé les permis de pêche expériment­aux en per‐ mis de pêche exploratoi­res.

Dans une fiche technique qui fait état du prix du ho‐ mard depuis 2000, l’Institut de recherche en économie contempora­ine (IRÉC), in‐ dique qu’il faut s’attendre à ce que les débarqueme­nts de homard continuent d’aug‐ menter. L’Institut juge que de nouvelles pêcheries commer‐ ciales pourraient bientôt voir le jour au Bas-Saint-Laurent, dans le nord de la Gaspésie ainsi que sur la Côte-Nord.

La zone 19A s’étend envi‐ ron de Montmagny à L’Anseà-Mercier, selon le site du MPO.

Un des auteurs de la note, le chercheur Gabriel Bour‐ gault-Faucher, est d’avis que l’abondance de homard est un levier dont on devrait se servir pour l’avenir des pê‐ cheries, notamment au BasSaint-Laurent ou en HauteGaspé­sie, où c’est particuliè‐ rement difficile avec le déclin de la crevette et du turbot.

C’est une bonne nouvelle au travers d’autres nouvelles qui sont moins réjouissan­tes.

Gabriel Bourgault-Fau‐ cher, chercheur à l'IRÉC

Le directeur des pêches commercial­es pour la Pre‐ mière Nation Wolastoqiy­ik Wahsipekuk, Guy Pascal Wei‐ ner, en fait la même lecture.

Je pense que la filière ho‐ mard va se développer au Québec. L’émission de per‐ mis [commerciau­x] pour cer‐ tains secteurs est imminente, précise-t-il.

M. Weiner souhaite par ailleurs que le MPO trans‐ forme les trois permis explo‐ ratoires que détient la Pre‐ mière Nation en permis com‐ merciaux pour la saison de pêche 2025.

Je crois que tous les ef‐ forts auront été déployés et les chiffres analysés justifiant ainsi la passation de nos trois permis au stade commercial, ajoute-t-il. De ne pas l’obtenir l’an prochain, ça ne fait que retarder certains investisse‐ ments, mais il ne faudrait pas trop que ça traîne.

Tant qu’on n’aura pas un permis commercial entre les mains, on n’a rien.

Guy Pascal Weiner, direc‐ teur des pêches commer‐ ciales pour la Première Na‐ tion Wolastoqiy­ik Wahsipe‐ kuk

Par ailleurs, le MPO tente de récolter plus de connais‐ sances sur la pêche au ho‐ mard dans la zone de pêche 18, qui s’étend de Tadoussac à Natashquan, sur la CôteNord. Le ministère compte distribuer des permis de pêche exploratoi­res pour la saison 2024, qui permettron­t de documenter la capacité du stock à soutenir éventuel‐ lement une pêche commer‐ ciale.

Hausse des débarque‐ ments à travers les années

Selon l’analyse de l’IRÉC, les quantités de homard dé‐ barquées sont passées de 3711 à 13 777 tonnes de 2009 à 2023. En parallèle, la valeur de cette pêche est passée de 45,2 à 224,7 mil‐ lions de dollars, donnant ainsi raison à la Première Na‐ tion du Bas-Saint-Laurent d’avoir ce crustacé dans sa mire.

Il n’est aucunement sur‐ prenant de constater que le homard d’Amérique est dé‐ sormais la pêcherie la plus lucrative au Québec mari‐ time, ayant détrôné depuis peu le crabe des neiges, re‐ lève Gabriel Bourgault-Fau‐ cher.

C’est une ressource sur la‐ quelle on peut dorénavant tabler et se fier, renchérit Guy Pascal Weiner. En 2018, les débarqueme­nts étaient plutôt maigres et les opéra‐ tions déficitair­es, rappelle le directeur des pêches com‐ merciales de la Première Na‐ tion.

La ressource ne subit pas les soubresaut­s du marché comme d’autres poissons, se‐ lon lui. Ça justifie l’élabora‐ tion de projets de développe‐ ments économique­s autour de cette ressource-là.

M. Weiner fait valoir que le MPO pourrait distribuer davantage de permis de pêche au homard dans la zone 19A.Il y a de la place pour d’autres personnes, mais il faut y aller de façon prudente dans l’émission de permis commerciau­x. Alors que le ministère évalue tou‐ jours la productivi­té de l’es‐ pèce, il faut être conséquent de ce côté-là, avertit-il.

Le chercheur à l’Institut croit d’ailleurs que l’industrie ne devrait pas se surspécial­i‐ ser autour de la pêche au ho‐ mard. Elle devrait plutôt, pré‐ cise-t-il, se servir de ce levier financier pour ouvrir d’autres pêcheries d’espèces sous-ex‐ ploitées ou méconnues afin d’éviter les mauvaises sur‐ prises.

On ne doit pas se jeter les yeux fermés uniquement sur le homard et ne plus voir le potentiel d’autres espèces, ce qui ne se fait pas historique‐ ment dans l’industrie des pêches et qui pourtant peut être une avenue pour amé‐ liorer la résilience de cette in‐ dustrie dans le futur, men‐ tionne Gabriel BourgaultF­aucher.

Des prix toutefois vola‐ tils

Toujours selon la fiche de l’Institut de recherche en éco‐ nomie contempora­ine, le prix moyen au débarqueme­nt du homard en 2023 s’est établi à 16,31 $ le kilogramme. Il était légèrement inférieur à la moyenne observée au cours des deux dernières décen‐ nies.

De 2000 à 2022, notent les chercheurs, la moyenne des prix au débarqueme­nt, ajusté à l’inflation, était de 16,39 $ le kilogramme.

Selon l’IRÉC, le prix à tra‐ vers les années révèle tout de même sa volatilité. Les prix annuels moyens varient de plus ou moins 3,15 $ d’une année à l’autre. La va‐ riation, croit M. BourgaultF­aucher, pose un risque pour la rentabilit­é de la pêche commercial­e si l’on considère la minceur de ses marges de profit.

D’une année à l’autre, c’est parfois drastique, dit-il. Ça peut carrément compro‐ mettre la rentabilit­é d’une saison de pêche, et de ma‐ nière consécutiv­e. Les pê‐ cheurs ne sont parfois plus capables de faire leurs frais en vendant leur homard à ces prix-là.

Par exemple, en pleine pandémie, le prix moyen au débarqueme­nt avait plongé à 12,38 $ le kilogramme. Pour les homardiers, il s’agissait d’un prix qui rencontrai­t à

peine le seuil de la rentabi‐ lité. L’année d’après avait été toutefois lucrative puisque le prix offert avait atteint 19,98 $ le kilogramme, un record dans l’histoire récente de cette pêcherie.

Le chercheur explique que la conjonctur­e de l’éco‐ nomie mondiale et les quan‐ tités globales de homard pê‐ chées dans les régions de l’atlantique nord sont der‐ rière les chutes ou les flam‐ bées de prix.

Dans son ensemble, les prix proposés aux pêcheurs étaient plus intéressan­ts au début des années 2000, mais les pêcheurs arrivaient à quai avec de plus petites quanti‐ tés de homards, baissant ainsi la valeur relative.

Dorénavant, la valeur des débarqueme­nts a beaucoup augmenté, souligne M. Bour‐ gault-Faucher. Cette activité génère maintenant plus de valeur économique, même si le prix accordé aux pêcheurs décroît. La hausse des quan‐ tités de homard au débar‐ quement est depuis quelques années salutaire pour ceux qui prennent la mer.

Les premiers débarque‐ ments ont par ailleurs eu lieu dimanche en Gaspésie. Le homard se vend en poisson‐ nerie à 8,50 $ la livre pour du homard vivant et 11 $ la livre pour du homard cuit.

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