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IA au Bureau de la traduction : le commissair­e aux langues officielle­s met en garde Ottawa

- Estelle Côté-Sroka

Le Bureau de la traduction du gouverneme­nt fédéral souhaite miser sur l’intelli‐ gence artificiel­le pour ac‐ croître sa productivi­té. Le commissair­e aux langues officielle­s du Canada met en garde le gouverneme­nt : il faut éviter que cette technologi­e ne relègue le français au second plan.

On veut s’assurer que l’uti‐ lisation de ces outils ne rem‐ place pas l'utilisatio­n véri‐ table des deux langues offi‐ cielles [au sein des institu‐ tions fédérales], affirme le commissair­e aux langues of‐ ficielles du Canada, Ray‐ mond Théberge.

Pour lui, il est primordial que le français et l’anglais soient utilisés quotidienn­e‐ ment dans la fonction pu‐ blique, tant à l’oral, à l’écrit que dans les services offerts aux citoyens.

Est-ce qu'une langue va être uniquement traduite vers l’autre langue, en parti‐ culier le français?

Raymond Théberge, com‐ missaire aux langues offi‐ cielles du Canada

Cela contrevien­drait au principe d’égalité réelle entre le français et l’anglais, garanti par la Loi sur les langues offi‐ cielles.

M. Théberge entend par‐ tager ses préoccupat­ions avec le secrétaria­t du Conseil du Trésor, qui a émis des lignes directrice­s entourant l’utilisatio­n de l’intelligen­ce artificiel­le au sein du gouver‐ nement. Il souligne que le gouverneme­nt doit être très conscient des conséquenc­es de l’utilisatio­n de ces techno‐ logies sur l’usage des deux langues officielle­s quotidien‐ nement.

Ce n’est pas une panacée, ajoute-t-il. Le gouverneme­nt devra s’assurer aussi de la transparen­ce quand [il] s’en sert, etc. donc il y a des cri‐ tères [dont] on doit discuter. L’utilisatio­n de ces outils et leur mise en oeuvre devront être encadrées.

Raymond Théberge per‐ çoit néanmoins l’intelligen­ce artificiel­le comme un outil prometteur pour améliorer la capacité de la fonction pu‐ blique de faire de la traduc‐ tion, qui est [un] point fonda‐ mental du respect de la Loi sur les langues officielle­s.

Le Bureau de la traduction estime qu’environ 80 % des traduction­s parlementa­ires se font de l’anglais vers le français. En ce qui concerne les traduction­s effectuées pour le compte des minis‐ tères, la proportion de docu‐ ments traduits de l’anglais vers le français grimpe à 89 %.

Des délais de traduction discrimina­toires?

Le sénateur conservate­ur Claude Carignan accepte ra‐ rement de travailler avec un document qui n’a pas été tra‐ duit dans sa langue mater‐ nelle. Bien qu’il soit bilingue, il veut être certain de com‐ prendre toutes les nuances des sujets sur lesquels il doit prendre position.

Mais actuelleme­nt, je ne l’ai pas ma traduction [...] dans les délais que j’ai besoin de l’avoir, clame-t-il. Le séna‐ teur explique que ses col‐ lègues anglophone­s re‐ çoivent souvent des docu‐ ments plusieurs semaines avant lui. Cela fait qu’il n’a pas le même délai de prépa‐ ration. On est discriminé­s, s’insurge-t-il.

Dès qu’il y a un désavan‐ tage basé sur la langue, cette distinctio­n-là pour moi est discrimina­toire. Donc je n’ai pas à faire ce compromis-là.

Claude Carignan, sénateur conservate­ur du Québec

Ça peut retarder certaines décisions, ça peut retarder certains travaux, dit-il. Le meilleur exemple est, selon lui, le comité parlementa­ire responsabl­e d’étudier le re‐ cours à la Loi sur les mesures d’urgence du gouverneme­nt Trudeau, dont les travaux sont suspendus depuis près d’un an en raison de délais de traduction.

Pour le sénateur Cari‐ gnan, il est tout aussi impor‐ tant que les documents rédi‐ gés en français soient rapide‐ ment traduits en anglais pour qu’ils aient la même portée. Ça a un impact sur l’influence politique [...] c’est important d’atteindre autant les francophon­es que les an‐ glophones.

En février dernier, de hauts fonctionna­ires du Bu‐ reau de la traduction ont été sommés d’expliquer pour‐ quoi le comité n’avait tou‐ jours pas reçu la traduction de documents et de témoi‐ gnages présentés lors de la commission Rouleau, qui a examiné les circonstan­ces ayant mené à la déclaratio­n de l’état d’urgence par le gou‐ vernement Trudeau en fé‐ vrier 2022.

Selon leurs estimation­s, la traduction sans recours à l’in‐ telligence artificiel­le des 8 000 documents prendrait en‐ viron 10 mois et coûterait 16 millions de dollars.

Nous nous assurons maintenant d’explorer toutes

les possibilit­és que pourrait nous offrir l’automatisa­tion ou l’intelligen­ce artificiel­le, a affirmé en comité le pré‐ sident-directeur général du Bureau de la traduction, Jean-François Lymburner.

Cependant, c’est sûr qu’au Bureau de la traduction, la relève pose des défis, tout comme notre financemen­t et notre modèle d’affaires, a-t-il enchaîné.

Le Bureau de la traduc‐ tion veut améliorer sa per‐ formance

Moins d’un mois après le passage des dirigeants du Bureau de la traduction en comité parlementa­ire, le gou‐ vernement a entrepris de nouvelles démarches pour si‐ gner un ou des contrats avec des entreprise­s du secteur des technologi­es langagière­s.

L’objectif est de mettre la main sur un outil qui fonc‐ tionne grâce à l’intelligen­ce artificiel­le afin d’accroître la productivi­té et de réduire les délais d’exécution des traduc‐ tions [...] et d’améliorer la qualité, l’uniformité et la pré‐ cision des traduction­s, peuton lire sur le site des appels d’offres du gouverneme­nt.

La porte-parole du minis‐ tère de Services publics et Approvisio­nnement Canada, Michèle LaRose, précise que le Bureau de la traduction veut améliorer la qualité, l'uniformité et la précision des traduction­s produites par l’intelligen­ce artificiel­le.

Le Bureau a recours à des outils de traduction automa‐ tique qui reposent sur l’intel‐ ligence artificiel­le depuis plu‐ sieurs années.

Or, depuis le début de la pandémie, l’équipe compo‐ sée d’environ 730 traducteur­s fait face à une augmentati­on significat­ive de la demande pour ses services, en particu‐ lier pour les études menées par les comités parlemen‐ taires, selon Mme LaRose.

Le sénateur Claude Cari‐ gnan souligne qu’il ne serait pas surpris qu’il y ait un lien entre la volonté du Bureau de la traduction d’améliorer sa productivi­té et une plainte qu’il a déposée au Commis‐ sariat aux langues officielle­s qui dénonçait plusieurs en‐ torses au français commises par la Commission sur l’état d’urgence. En mars, une par‐ tie de la plainte a été jugée fondée.

L’intelligen­ce artificiel­le est-elle un gage de qualité?

Le président de l'Associa‐ tion canadienne des em‐ ployés profession­nels, Na‐ than Prier, craint que le re‐ cours accéléré à l’intelligen­ce artificiel­le nuise à la qualité des traduction­s.

Selon lui, plusieurs membres du syndicat qui uti‐ lisent les outils actuels rap‐ portent devoir effectuer des correction­s par la suite. Nous n’avons pas la qualité de la technologi­e pour garantir la qualité de la traduction et c’est pour ça qu’on [doit] em‐ baucher plus de traducteur­s, analyse M. Prier.

Il y a un potentiel pour augmenter la productivi­té, mais là où il faut faire atten‐ tion, c’est en ce qui concerne la qualité, ajoute la profes‐ seure titulaire à l’école de tra‐ duction et d’interpréta­tion à l’Université d’Ottawa, Lynne Bowker.

Les ordinateur­s traitent la langue, ils ne comprennen­t pas la langue, prévient Mme Bowker, qui est traductric­e depuis 1991. Ils ont le poten‐ tiel de créer des erreurs. C’est pourquoi il faut vraiment vé‐ rifier que le texte d’arrivée dit la même chose que le texte de départ, souligne Mme Bowker.

Le Bureau de la traduction estime que l’apport des tra‐ ducteurs [...] sera toujours essentiel [...] afin de garantir la qualité.

Michèle LaRose, porte-pa‐ role du ministère de Services publics et Approvisio­nne‐ ment Canada

Le bureau du ministre des Langues officielle­s, Randy Boissonnau­lt, se fait rassu‐ rant quant aux effets de l’uti‐ lisation de l’intelligen­ce artifi‐ cielle. Nous savons qu’il faut encadrer cette nouvelle tech‐ nologie afin d’avoir une IA responsabl­e, indique par courriel l’attaché de presse Mathis Denis.

Le cabinet souligne égale‐ ment que le gouverneme­nt a annoncé dans son budget un investisse­ment de 5,1 mil‐ lions de dollars en 2025-2026 pour créer le poste de com‐ missaire à l’IA afin de bien appliquer la loi sur l’IA et avoir une intelligen­ce artifi‐ cielle responsabl­e. Le projet de loi sur l’IA a toutefois été jugé inadéquat par de nom‐ breux spécialist­es.

Powell a été catégoriqu­e : la Réserve fédérale ne tient pas compte de l’élection prési‐ dentielle dans son processus de décision. Lisez les comptes rendus et voyez si quelqu’un a mentionné d’une manière ou d’une autre les élections américaine­s, a dé‐ claré le président de la Fed. Cela ne fait pas partie de notre réflexion et ce n'est pas ce pourquoi nous sommes embauchés. Si nous nous en‐ gageons dans cette voie, je ne sais pas comment vous vous arrêterez.

N’empêche, devant l’éven‐ tualité d’une réduction des taux, l’ex-président Donald Trump affirmait récemment que Jerome Powell allait favo‐ riser les démocrates en vue de l’élection présidenti­elle en baissant les taux. De toute évidence, ce n’est pas vrai‐ ment le scénario qui s’an‐ nonce.

Même si le chômage de‐ meure extrêmemen­t faible, à 3,8 %, le Parti démocrate s’in‐ quiète de l'effet des taux éle‐ vés sur l’humeur des élec‐ teurs. Mais plusieurs écono‐ mistes rappellent que les centaines de milliards injec‐ tés dans l’économie par l’ad‐ ministrati­on Biden contri‐ buent à la bonne tenue de l’économie, ce qui crée des pressions inflationn­istes.

En voulant soutenir mas‐ sivement l’économie, particu‐ lièrement la transition éner‐ gétique, le président Biden est peut-être en partie res‐ ponsable du report de la baisse des taux, étant donné la baisse très lente de l’infla‐ tion.

Début mars, un sondage mené par le réseau CBS montrait que 65 % des Amé‐ ricains considérai­ent que l’état de l’économie avait été meilleur sous Donald Trump, comparativ­ement à 38 % sous l’actuelle administra­tion de Joe Biden. Et six électeurs sur 10 affirmaien­t que l’éco‐ nomie américaine est actuel‐ lement en mauvais état.

Donald Trump veut être consulté sur les taux

Chose certaine, si Donald Trump devait revenir à la Maison-Blanche, le processus de décision de la Réserve fé‐ dérale pourrait être revu. Le Wall Street Journal rapportait récemment que l'équipe de Donald Trump prépare un plan qui pourrait donner plus de pouvoir au président des États-Unis dans l'établisse‐ ment des taux d'intérêt. Sous une nouvelle présidence de Donald Trump, l'indépen‐ dance de la Réserve fédérale serait remise en question, se‐ lon ce quotidien.

Ainsi, parmi les proposi‐ tions qui seraient faites une fois Donald Trump de retour à la Maison-Blanche, un nou‐ vel encadremen­t ferait en sorte que le président des États-Unis soit consulté sur les décisions portant sur les taux d'intérêt. Le départe‐ ment du Trésor serait appelé à surveiller le travail de la Fed et le président Trump pour‐ rait avoir l'autorité de congé‐ dier Jerome Powell avant la fin de son mandat, en 2026.

Certaines personnes proches du dossier, consul‐ tées par le Wall Street Jour‐ nal, affirment que Donald Trump aurait donné son ap‐ probation à ces propositio­ns. Une telle interventi­on de Do‐ nald Trump pourrait avoir des conséquenc­es majeures sur la stabilité financière des États-Unis et sur la confiance des investisse­urs envers le marché américain.

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