De jeunes Chinois en quête désespérée d’épargne
Pour de plus en plus de jeunes Chinois, tous les moyens d’économiser sont bons en raison du ralentis‐ sement économique et du taux de chômage élevé. Les réseaux sociaux chinois re‐ gorgent même d’influen‐ ceurs prodiguant des conseils pour épargner. De quoi effrayer les autorités.
Liu Ning a 30 ans. Elle vit seule et mène une double vie, en quelque sorte.
Elle a d’abord un emploi de bureau à horaire clas‐ sique, de 9 h à 17 h, tous les jours de la semaine.
Et depuis deux mois, dans ses moments libres, elle de‐ vient « Petite Liu qui veut économiser un million » sur Xiahongshu, l'Instagram chi‐ nois.
Elle-même amatrice de balados et d’influenceurs donnant des conseils pour économiser, elle se trans‐ forme à son tour en modeste influenceuse, avec ses quelque 200 abonnés.
Elle ne se met jamais en scène. Elle ne publie que des photos et de courts articles.
Ses plus récentes publica‐ tions s’intitulent 5 conseils pour économiser de l'argent que j'ai découverts en regar‐ dant une série télévisée japo‐ naise et 20 conseils pour éco‐ nomiser de l'argent si vous voyagez le 1er mai [la fête des Travailleurs est une des grandes journées fériées en Chine, NDLR].
Être frugal est une néces‐ sité, d’une certaine manière. J'ai arrêté d'acheter des trucs inutiles. Lorsque j’ai com‐ mencé à aller en ligne, s’il y avait un article populaire dont les influenceurs fai‐ saient la promotion, tout le monde autour de moi l’ache‐ tait. Mais au fil des années, ça s'est beaucoup amélioré. Désormais, tout le monde se concentre davantage sur les économies et n’achète plus de choses à moins d’en avoir vraiment besoin, explique-telle lors d’un entretien vidéo de chez elle.
Les habitudes de consom‐ mation des moins de 30 ans, comme Liu Ning, vont affec‐ ter la deuxième économie mondiale pendant des an‐ nées.
Selon une étude publiée plus tôt cette année par l’Ins‐ titut Tsinghua-Nikkei d’études sur les médias, basé à Pékin, les moins de 30 ans comptent pour 18,4 % de la population de la Chine, un pays de 1,4 milliard d’habi‐ tants.
La génération sans ar‐ gent qui économise impi‐ toyablement
C’est la génération qui est la plus touchée par le ralen‐ tissement économique, le fardeau du vieillissement de la population et le chômage. Le taux de chômage chez les jeunes de 16 à 24 ans était de 15,3 % en mars, de 7,2 % pour les jeunes de 25 à 29 ans et de 4,2 % pour ceux de 30 ans et plus.
Les expressions fantômes sans argent et démons qui économisent impitoyable‐ ment sont des termes en mandarin qui reviennent souvent pour décrire cette jeune génération chinoise.
Certains jeunes affichent leur frugalité sur les réseaux sociaux. Mais ce qu’ils af‐ fichent, ce n’est pas tant la frugalité. Ils expriment plutôt leur mécontentement à l’égard de la société, a sou‐ tenu Wang Ning, un profes‐ seur de sociologie à l’Univer‐ sité Sun Yat-sen de Guangz‐ hou, dans une entrevue au magazine chinois Southern Views.
Un récent article du Wa‐ shington Post décrivait une des nouvelles tendances sur le web à Shanghai, coeur de l’économie chinoise. Un grand nombre de restaurants y ciblent ces jeunes éco‐ nomes en offrant la livraison de boîtes-repas mystères. On commande un repas, puis on déballe la surprise lorsqu’elle arrive.
Une de ces boîtes mys‐ tères comprenait récemment du porc braisé poivré, du chou sauté, du tofu parfumé à la coriandre et du riz. Tout ça pour l’équivalent de 3,50 $, dans le centre de Shanghai.
Explosion du marché des produits usagés
La classe moyenne chi‐ noise, qui détermine le vo‐ lume de la consommation du pays, a désormais peur de dépenser, a affirmé à Nikkei Asia Zhao Weilin, chercheur principal à l'Institut de re‐ cherche japonais Itochu.
Les Chinois se tournent de plus en plus vers les ob‐ jets d’occasion, alors que les produits de luxe étaient au‐ trefois synonymes de statut social et de richesse.
Selon une étude de l’Insti‐ tut de l’énergie, de l’environ‐ nement et de l’économie de l’Université Tsinghua parue en avril, la valeur de l’écono‐ mie circulaire aura presque doublé l’an prochain en Chine par rapport à 2022.
La valeur totale des pro‐ duits d’occasion et usagés pourrait alors atteindre 570,5 milliards de dollars cana‐ diens.
En entrevue vidéo sur un réseau social chinois, Liu Ning pèse ses mots et prend son temps avant de répondre pour tenter d’expliquer ce qui motive ces changements.
De nombreuses discus‐ sions en ligne mentionnant le chômage chez les jeunes et le ralentissement de l’écono‐ mie sont censurées en Chine.
D'après ce que je vois au‐ tour de moi, les gens ai‐ maient magasiner avant, mais maintenant, comme moi, leur quête d'objets ma‐ tériels a diminué. Ils se concentrent davantage sur l’investissement dans leur croissance personnelle, ex‐ plique-t-elle.
Par exemple, nous ache‐ tons moins de sacs de créa‐ teurs les plus récents et ne cherchons pas à nous procu‐ rer autant de choses. Au lieu de cela, nous rejoignons da‐ vantage de clubs de lecture ou acquérons de nouvelles compétences.
Liu Ning, alias « Petite Liu qui veut économiser un mil‐ lion » sur le réseau Xiahong‐ shu
Elle entend continuer à donner des conseils qu’elle applique elle-même sur les façons de trouver des cou‐ pons de réduction sur Inter‐ net et les bénéfices de créer des groupes d’achats, surtout pour éviter les produits in‐ utiles qu’il ne faut pas ache‐ ter, selon elle.
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