Le Saint-Laurent, une menace tranquille et mal documentée à Québec
Avalant des routes et gri‐ gnotant petit à petit les rives dans l'est de la pro‐ vince, parfois même à grosses bouchées, le fleuve Saint-Laurent menace aussi dans la région de Québec. D'importantes « lacunes » de connaissances empêchent cependant « les décideurs d'obtenir une compréhension complète » du danger à venir, selon la Communauté métropoli‐ taine de Québec, qui juge « impératif » de cartogra‐ phier les zones de submer‐ sion et d'évaluer le risque.
Des signaux d'alarme se manifestent déjà un peu par‐ tout sur le territoire.
Les préfets des MRC de la Côte-de-Beaupré et de l'Île d'Orléans ont récemment partagé leurs inquiétudes sur l'érosion des berges, en amont du mini-sommet sur la résiilience territoriale tenu lundi, à Québec. On voit la différence à chaque année, l'évolution du fleuve et du comportement des eaux [...] Les terrains reculent graduel‐ lement, ont-ils dit, parlant d'une érosion visible à l'oeil nu.
Sur le flanc sud de l'île d'Orléans, exposé aux vents soutenus et aux vagues pro‐ venant de l'estuaire, des ter‐ rains entiers, des chalets et des résidences seraient vul‐ nérables aux assauts du Saint-Laurent. On craint éga‐ lement que le couvert de glace, protection naturelle des rives durant l'hiver, ne se fasse de plus en plus rare.
Dans le quartier du PetitChamplain, à Québec, des ci‐ toyens sourcillent en assis‐ tant aux coups d'eau fré‐ quents sur la rue Dalhousie, presque devenus banals, et demandent aux autorités de mieux les protéger des dé‐ bordements côtiers.
La situation est dange‐ reuse. Ça prend un plan de protection beaucoup plus structuré, à mon avis, affir‐ mait cet hiver Jocelyn Gilbert, administrateur du conseil de quartier Vieux-Québec-CapBlanc-Colline parlementaire.
Lacunes sances de connais‐
La Commaunauté métro‐ politaine de Québec (CMQué‐ bec) partage ces préoccupa‐ tions et estime qu'il est temps de mieux comprendre ce qui attend les riverains dans un contexte de change‐ ments climatiques, surtout dans une région aussi urba‐ nisée.
On sait qu'il va y avoir des modifications dans les condi‐ tions climatiques, probable‐ ment plus d'événements ex‐ trêmes, explique en entrevue Antoine Verville, directeur de la planification territoriale, de la mobilité durable et du dé‐ veloppement social et écono‐ mique à la CMQuébec. Il faut absolument mettre à jour nos connaissances.
L'approche ne s'inscrit pas dans la panique, précise-t-il, mais plutôt dans la préven‐ tion et l'adaptation. Les mu‐ nicipalités se doivent, penset-il, d'être plus résilientes à des événements climatiques qui pourraient réalistement se produire dans le futur.
Les travaux antérieurs de la CMQuébec et ailleurs ré‐ vèlent qu'un rehaussement du niveau du fleuve de 30 à
est attendu
50 centimètres dans les 100 prochaines an‐ nées. C'est une hypothèse ni
catastrophiste ni optimiste. C'est ce qui sort de la science, selon Antoine Verville.
La CMQuébec veut dans un premier temps mieux comprendre la nature et la gravité des menaces aux‐ quelles le territoire métropo‐ litain est exposé. Une fois ces éléments identifiés, elle sou‐ haite étudier certaines carac‐ téristiques spécifiques [...] pour ensuite cibler les sec‐ teurs prioritaires et plus vul‐ nérables.
Des mesures d'adaptation seraient enfin évaluées afin de minimiser le risque pour la population et les infra‐ structures.
On peut imaginer que d'ici 100 ans, par exemple, une inondation qu'on voit déjà sur Dalhousie, dans les mêmes conditions météoro‐ logiques, pourrait être 30 centimètres plus élevée. Ça implique donc de connaître ces zones-là [plus vulné‐ rables] et d'adapter le terri‐ toire pour qu'il soit plus rési‐ lient, souligne M. Verville.
Il y a énormément de tra‐ vaux et d'études qui se font sur le Saint-Laurent. Mais dans le but vraiment de pro‐ duire des cartes d'aménage‐ ment du territoire, effective‐ ment, on le connaît assez peu.
Antoine Verville, directeur de la planification territoriale, de la mobilité durable et du développement social et éco‐ nomique à la CMQuébec
Des effets un peu par‐ tout
Outre l'île d'Orléans et le Petit-Champlain, Antoine Ver‐ ville évoque des enjeux un peu partout sur le territoire métropolitain. Il cite entre autres Lévis, où plusieurs in‐ frastructures et projets se trouvent au bord du fleuve.
Il note aussi les zones d'embouchures de rivières se jetant dans le Saint-Laurent, d'est en ouest de la région métropolitaine; comme la ri‐ vière Sainte-Anne, sur la Côte-de-Beaupré.
Dans le cadre de son mandat de cartographie des bassins versants, la CMQué‐ bec modélise les grandes ri‐ vières et, déjà, on s'intéresse à certains effets combinés, comme une crue printanière jumelée à une grande marée.
Des impacts liés à ces phénomènes se sont notam‐ ment manifestés à BaieSaint-Paul, l'an dernier, quand la crue de la rivière du Gouffre s'est heurtée à une grande marée du fleuve Saint-Laurent, provoquant une forme de bouchon, contribuant ainsi à l'augmen‐ tation du niveau de l'eau à la jonction des deux cours d'eau.
Deux ans de négocia‐ tions
La CMQuébec négocie de‐ puis plus de deux ans avec le gouvernement provincial afin d'obtenir le mandat, ainsi que le financement, de pro‐ céder à ces études. Une réso‐ lution en ce sens a été adop‐ tée en 2021.
Or le fleuve Saint-Laurent n'a pas été mis au sommet des priorités dans les régions de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches à l'heure actuelle.
Si Québec prépare des nouvelles cartes de zones inondables pour plusieurs ri‐ vières, le Saint-Laurent ne fi‐ gure pas à la liste des cours d'eau confiée à la CMQuébec. C'est une question de priori‐ tés gouvernementales, af‐ firme M. Verville, sans amer‐ tume. Soulignant une bonne collaboration du provincial dans ce dossier malgré les délais, il espère obtenir le feu vert pour s'attaquer au fleuve.
Les villes et les MRC tra‐ vaillent actuellement avec des calculs de cotes de crue datant de plusieurs décen‐ nies. La plupart de ces calculs ont été réalisés dans les an‐ nées 80.
L'un des objectifs serait d'ailleurs d'aboutir, au terme de l'exercice, à des cartes de zones inondables dans la portion fluviale du territoire qui répondraient au cadre lé‐ gal du gouvernement. Ces nouveaux règlements pour l'aménagement du territoire sont attendus ce printemps.
Le maire de Québec et président de la CMQuébec, Bruno Marchand, a évoqué l'importance de cartogra‐ phier le Saint-Laurent lors d'une annonce sur la rési‐ lience territoriale, lundi.