Les policiers ont-ils le droit de demander à tout automobiliste de subir un alcootest?
La Police provinciale de l’Ontario (PPO) exige main‐ tenant que tous les auto‐ mobilistes interceptés sur les autoroutes du Grand Toronto subissent un alcoo‐ test. Or, plusieurs experts estiment que la loi qui leur permet de le faire est anti‐ constitutionnelle.
La Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d'autres lois, communément appelée loi C46, est en vigueur depuis 2018.
C’est cette même loi qui permet aux policiers d’arrê‐ ter une personne qui a consommé de l’alcool même si elle n’a pas conduit depuis deux heures.
Selon les policiers, c’est une mesure juste.
Il n'y a pas de parti pris. Tout le monde subit l’alcoo‐ test, selon le porte-parole de la PPO Kerry Schmidt.
Selon l'organisme MADD Canada, cette mesure per‐ mettra de réduire le nombre de personnes qui conduiront avec les facultés affaiblies.
Malgré tout, l’Association canadienne des libertés ci‐ viles (ACLC) insiste : cette loi est probablement inconstitu‐ tionnelle et viole la Charte ca‐ nadienne des droits et liber‐ tés.
Aucun groupe ne devrait se sentir visé, selon la po‐ lice
Selon M. Schmidt, 51 per‐ sonnes sont mortes dans des accidents de la route liés à l'alcool ou à la drogue l'année dernière dans la province. C’est afin de prévenir ces drames que les policiers pro‐ cèdent à des tests d’alcoolé‐ mie pour tous les chauffeurs, peu importe les circons‐ tances dans lesquelles ils sont interceptés par les poli‐ ciers.
Lorsque les policiers ar‐ rêtent un conducteur - pour toute infraction ou toute en‐ quête - ils incluront égale‐ ment une demande obliga‐ toire de dépistage d'alcool, qui vise à s'assurer que les conducteurs sont sobres et qu'ils ne conduisent pas en état d'ébriété, dit M. Schmidt.
Cette mesure a été im‐ plantée cette semaine sur les autoroutes du Grand Toronto et de Hamilton.
Il précise que la PPO n’est pas la première à appliquer la loi de cette manière, puisque la GRC en Saskatche‐ wan le fait déjà.
C'est équitable pour tous les automobilistes et [...] au‐ cune communauté ou groupe ne doit se sentir visé.
Kerry Schmidt, porte-pa‐ role de la Police provinciale de l'Ontario
Anticonstitutionnel, dit l’ACLC
Or, Shakir Rahim, direc‐ teur du programme de jus‐ tice pénale de l'ACLC, affirme que son organisation est sé‐ rieusement préoccupée. Se‐ lon lui, l'élargissement du champ d'application de la loi viole l'article 8 de la Charte des droits et libertés, qui pro‐ tège les individus contre les perquisitions et les saisies abusives.
Nous reconnaissons que la conduite en état d'ivresse est un problème grave au‐ quel il faut s'attaquer, mais
nous pensons qu'il existe des moyens plus conformes à la Charte et toujours efficaces de le faire , selon M. Rahim.
Nous ne pensons pas que [cette mesure] soit justifiable d'un point de vue constitu‐ tionnel.
Shakir Rahim, directeur du programme de justice pé‐ nale de l’Association cana‐ dienne des libertés civiles
Afin d’illustrer l’impor‐ tance de l'article 8 de la Charte des droits et libertés, M. Rahim donne l’exemple suivant : Nous pourrions vivre dans une société où les policiers pourraient entrer dans votre appartement à tout moment et fouiller dans vos affaires. Ils pourraient vous interpeller dans la rue et vous dire de vider vos poches. Il y aurait peut-être quelques crimes qui seraient détectés en conséquence. Mais cette société-là n'est pas libre et démocratique.
M. Rahim rappelle que quiconque refuse de subir un alcootest pourrait faire face à des accusations criminelles.
Il ajoute que la Cour su‐ prême du Canada devrait se pencher sur la loi C-46. Il pré‐ cise que plus les policiers uti‐ lisent cette disposition de la loi, plus de citoyens deman‐ deront à des juges de se pen‐ cher sur sa constitutionna‐ lité.
MADD s’en réjouit
Steve Sullivan, directeur général de MADD Canada, a déclaré que son organisation fait pression depuis des an‐ nées pour l'extension du dé‐ pistage obligatoire de l'alcoo‐ lémie. L'organisme se dédie à éradiquer la conduite avec facultés affaibles.
Ce qui influence la déci‐ sion des gens de conduire avec des facultés affaiblies [...], c'est leur perception de se faire prendre [ou non], se‐ lon M. Sullivan. Si vous pen‐ sez qu'il y a plus de chances que les policiers vous at‐ trapent, vous changerez votre comportement.
Selon le ministère de la Justice, des recherches dé‐ montrent que jusqu'à 50 % des conducteurs ayant un taux d'alcoolémie supérieur à la limite légale peuvent ne pas être détectés lors des contrôles routiers. Le minis‐ tère affirme que les taux de conduite en état d'ébriété et d'accidents de la route mor‐ tels ont été considérable‐ ment réduits dans d'autres pays où le dépistage obliga‐ toire de l'alcool a été intro‐ duit.
Selon M. Sullivan, les contrôles d'alcoolémie obli‐ gatoires aideront les policiers à détecter davantage de conducteurs en état d'ébriété.
Quand les policiers se basent uniquement sur des soupçons, ils passent à côté de nombreux conducteurs en état d'ébriété , affirme M. Sullivan. En discutant avec des policiers d'autres juridic‐ tions, j’ai [entendu] : "Quand j’ai [imposé des alcootests systématiques], j'ai effective‐ ment trouvé des personnes en état d'ébriété que je n'au‐ rais jamais soupçonnées dans le passé".
Avec des informations de Ryan Patrick Jones de CBC