Forcer la réduction des déchets
Des déchets jonchent le trottoir et le gazon : du pa‐ pier, des sacs, des bou‐ teilles.
Le fait de ne pas ramasser les déchets chaque semaine, on voit que les déchets partent au vent. C’est vrai‐ ment sale, déplore Louis Boucher, propriétaire d'im‐ meubles résidentiels à Mon‐ tréal.
L'espacement de la col‐ lecte des ordures, qui se fait maintenant toutes les deux semaines dans l’arrondisse‐ ment de Mercier-HochelagaMaisonneuve, dans l'est de Montréal, y est pour quelque chose, croit-il.
Ce sont de bonnes idées de fonctionnaires dans un bureau, mais ils ne vont pas sur le terrain, ces gens-là! Ils ne comprennent pas la réa‐ lité. Ils n’ont jamais eu d’im‐ meubles, jamais géré des lo‐ cataires ni géré des déchets.
Louis Boucher, proprié‐ taire d'immeubles résiden‐ tiels
Selon lui, la réduction de la fréquence de la collecte ne doit pas s’appliquer aux im‐ meubles résidentiels.
Les locataires, il y en a qui arrivent, il y en a qui quittent. Ils ont aussi des colocataires. Il y a des familles, dont cer‐ taines avec des bébés, donc il y a des couches. Il y en a qui ont des chats, donc il y a de la litière, énumère-t-il.
Après un projet pilote dans certains quartiers de Mercier-Hochelaga-Maison‐ neuve, l’espacement de la collecte a été élargi à d’autres secteurs et couvrira l'en‐ semble de l'arrondissement cet automne.
Son entrée en vigueur ré‐ cente cause encore de la confusion. Devant certains immeubles, des bacs de pou‐ belles débordent et des sacs noirs éventrés restent pen‐ dant deux semaines sur le trottoir ou aux abords des ruelles.
Pour que la mesure fonc‐ tionne, il faut faire du com‐ postage, soutient l’arrondis‐ sement, car près de la moitié du contenu du sac à ordures est composé de matières or‐ ganiques.
Il est cependant hors de question pour Louis Boucher de tenter de nouveau l’expé‐ rience du compostage dans son immeuble de 20 loge‐ ments.
On a eu des milliers de mouches, des milliers, par‐ tout. Mon concierge ne veut plus rien savoir. Les loca‐ taires non plus, insiste-t-il.
Forcer le changement
La Ville de s’en cache pas : l'objectif de l'espacement de la collecte des ordures est de forcer le recyclage et surtout le compostage, dont les col‐ lectes sont maintenues de fa‐ çon hebdomadaire.
À Montréal, le taux de participation à la collecte du compost n’est que de 35 %, alors que la Ville veut qu'il at‐ teigne 60 % en 2025.
Si on n’amène pas une certaine contrainte, la partici‐ pation n’est pas au rendezvous.
Marie-Andrée Mauger, responsable de l’Environne‐ ment à la Ville de Montréal
En ce moment, une per‐ sonne sur trois à Montréal participe à la collecte des ma‐ tières organiques. Ce n'est pas suffisant quand on pense que la collecte n’est pas facul‐ tative, mais obligatoire, ditelle.
Ces changements dans la gestion des matières rési‐ duelles visent, entre autres, à répondre à la Loi sur la qua‐ lité de l’environnement du Québec, qui exige des muni‐ cipalités qu'elles réduisent la quantité de déchets qu'elles produisent.
Il y a aussi la capacité limi‐ tée des dépotoirs actuels, entre autres celui de Terre‐ bonne, où le Grand Montréal envoie la moitié de ses or‐ dures.
On ne compte qu'un seul site d'enfouissement près de Montréal et on pensait qu’il serait à pleine capacité en 2029. L'an dernier, les ges‐ tionnaires du site ont dit que ce serait plutôt en 2027. Ça se remplit à vitesse grand V, s'inquiète Marie-Andrée Mauger.
Pour le moment, outre Mercier-Hochelaga-Maison‐ neuve, Saint-Laurent est le seul arrondissement à avoir espacé les collectes des or‐ dures, en excluant les multi‐ logements. D'autres arron‐ dissements vont suivre dans les prochaines années.
C’est sûr que, dans les multilogements, on a un défi d’espace pour implanter le bac brun. Mais, dans la me‐ sure où il n’y a pas plus de matière générée - elle est juste différente -, on peut di‐ minuer ou réaménager l’es‐ pace dévolu aux déchets, suggère Mme Mauger.
L’arrondissement de Saint-Laurent a mis en place des conteneurs communau‐ taires à l’extérieur des im‐ meubles, ce que salue Louis Boucher.
Ça, c’est intéressant! S'il n'y a pas de place, pourquoi ne pas faire du compostage communautaire? Des bacs qui seraient placés dans un coin de parc, par exemple. Et ceux qui veulent en faire, ils amènent leur sac, propose-til.
Ce n’est toutefois pas une option que privilégie la Ville.
Ce qu’on voit dans le mul‐ tiplex, c'est que plus il y a d'anonymat, plus c’est facile de ne pas participer, explique Marie-Andrée Mauger. Aussi, ce qu'on a vu avec les bacs à l'extérieur, c'est que ça attire les dépôts sauvages. Il y a des sacs non triés. Et on peut continuer comme si de rien n’était. Ce n'est pas le com‐ portement recherché.
La tarification des dé‐ chets
D'autres villes, comme Ga‐ tineau, sont allées encore plus loin que l'espacement des collectes des ordures. Elles imposent une tarifica‐ tion pour les sacs de déchets supplémentaires. Une me‐ sure qui relève de l’écofisca‐ lité.
On y est allé de façon pro‐ gressive, explique la direc‐ trice des matières résiduelles à la Ville de Gatineau, Chan‐ tal Marcotte.
Les changements dans la gestion des matières rési‐ duelles ont commencé en 2010 avec le compostage et la réduction de la fréquence de la collecte des ordures dans le résidentiel.
Dans les multilogements, ça a été en 2018. Au même moment, on a réduit le nombre de collectes d'en‐ combrants et c’est en 2019 que la tarification est arrivée dans les résidences seule‐ ment, relate-t-elle.
On a conservé la collecte aux deux semaines et on a réduit le volume de déchets. C'est maintenant une pou‐ belle de 120 litres maximum et ceux qui auront des sur‐ plus devront payer.
Chantal Marcotte, direc‐ trice des matières résiduelles à la Ville de Gatineau
Au début, les déchets sup‐ plémentaires devaient être contenus dans des sacs à l’ef‐ figie de la Ville vendus au coût de 50 cents chacun. Maintenant, les Gatinois doivent acheter des éti‐ quettes à 2,15 $ chacune et les apposer sur leurs sacspoubelle supplémentaires.
Le montant de 2,15 $ re‐ présente ce que ça coûte à la Ville pour gérer un sac avec les contrats actuels et le coût sera révisé en fonction des coûts réels, explique-t-elle.
La mise en place de toutes ces mesures n’a pas été toujours facile. Les élus ont été l’objet de critiques, il y a eu des plaintes et de la résistance.
On a vécu un tsunami en raison du changement de comportements. Pourtant, il n'y a pas eu tant de mécon‐ tentement. On a eu 450 re‐ quêtes lors de la réduction de la poubelle à 120 litres sur environ 140 000 portes dans une population d'environ 300 000, mais ceux qui étaient contre criaient fort, souligne Chantal Marcotte.
Gatineau a tout de même poursuivi ses objectifs et il y a eu des résultats : en 10 ans, le tonnage de déchets est passé de 60 000 à 45 000, une diminution de 25 %, a calculé la Ville.
Et ce n'est pas fini, pré‐ vient Mme Marcotte. D’autres mesures sont à venir dans les prochaines années, dont la tarification dans les multi‐ logements en 2025.
Il va y avoir un autre petit tsunami, prévoit-elle, mais la Ville va accompagner les pro‐ priétaires. Une équipe peut même aller rencontrer les lo‐ cataires.
Pas de nouveaux dépo‐ toirs
Qu’est-ce qui justifie qu’on ait pensé aller jusque-là? Eh bien, c’est le problème ma‐ jeur que l’on a avec les lieux d’enfouissement technique. Il y a de moins en moins d'es‐ pace pour en aménager de nouveaux et les coûts sont extraordinaires, avec chaque fois des levées de boucliers et des syndromes "pas dans ma cour", explique Marc Oli‐ vier, chimiste et professeurchercheur au Centre de transfert technologique en écologie industrielle, situé à Sorel-Tracy.
L'aménagement d’un dé‐ potoir est encore plus contesté que l’obligation de composter ou de recycler, dit-il. Les villes choisissent donc la deuxième option.
Par ailleurs, il n'est pas surprenant de constater qu'elles choisissent d'espacer la collecte des ordures, ajoute-t-il, en raison du prin‐ cipe de « kilométrage net zéro ».
Vous ne pouvez implanter une collecte [par exemple, le compostage] sans en dimi‐ nuer une autre. Il faut que la somme de tous les kilomé‐ trages parcourus dans le mois par les camions soit la même. C'est une préoccupa‐ tion d'acceptabilité sociale, car si vous mettez plus de collectes, les gens disent : "Il va y avoir trop de camions, la ville va être plus encombrée et plus bruyante", explique M. Olivier.
Il croit qu'il faut remercier les gens pour leurs efforts à composter ou à recycler.
Et c'est de créer de la va‐ leur ajoutée régionalement, dit-il. D'avoir des installations industrielles locales qui per‐ mettent de créer de l'activité économique localement à partir des ordures que les ci‐ toyens ont triées. C'est ça, la façon de les remercier et de les récompenser pour les ef‐ forts qu'ils font depuis long‐ temps.
C’est d’ailleurs ce que fera la Ville de Montréal, assure Marie-Andrée Mauger.
En ce moment, on construit deux grandes infra‐ structures de traitement de la matière organique. À SaintLaurent, on va faire un com‐ post, soit un fertilisant de qualité agricole, et à Mon‐ tréal-Est, ce sera un centre de traitement pour faire du gaz naturel renouvelable. Donc, on va traiter localement sur l'île de Montréal toutes nos matières organiques, af‐ firme-t-elle.