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Procès de Donald Trump : les procureurs creusent la piste des documents financiers

- Sophie-Hélène Lebeuf

Après des témoignage­s ayant mis en lumière des scandales sexuels à enter‐ rer ou à démentir, les pro‐ cureurs ont poursuivi leurs interrogat­oires, lundi, au procès de Donald Trump à New York, avec celui, plus sobre, d'un ancien cadre du service de la comptabili­té de la Trump Organizati­on.

Plus aride, le témoignage de Jeffrey McConney, ancien contrôleur de l'entreprise du magnat de l'immobilier, oriente le procès criminel au coeur des accusation­s de fal‐ sification de documents por‐ tées contre le politicien de 77 ans.

Au cours d'une comparu‐ tion d'environ trois heures, M. McConney a expliqué comment la Trump Organiza‐ tion et Donald Trump luimême avaient versé à l'exavocat personnel de ce der‐ nier, Michael Cohen, un paie‐ ment total de 420 000 $ US, qui incluait un rembourse‐ ment de 130 000 $ US.

Celui qui était le numéro deux au service de la comp‐ tabilité a indiqué qu'en jan‐ vier 2017 (le mois de l'investi‐ ture de Donald Trump), son supérieur de l'époque, Allen Weisselber­g, l'ex-directeur fi‐ nancier de la Trump Organi‐ zation, lui avait ordonné de rembourser Michael.

Les procureurs allèguent, documents à l'appui, que ce remboursem­ent concerne essentiell­ement le paiement fait en octobre 2016 par M. Cohen à Stormy Daniels, une ancienne vedette de la porno qui affirme avoir couché avec Donald Trump.

Pour étayer son explica‐ tion, les procureurs ont amené M. McConney à expli‐ quer des annotation­s manus‐ crites sur un relevé bancaire de la société-écran Essential Consultant­s LLC, créée par Michael Cohen, émis par la banque First Republic.

La semaine dernière, les procureurs ont présenté un document prouvant qu'un montant de 130 000 $ US versé à l'avocat de Stormy Daniels avait transité par ce compte et ont entendu des témoins à ce sujet.

M. McConney a identifié l'écriture sur le relevé ban‐ caire comme étant celle d'Al‐ len Weisselber­g.

Les notes montrent une série de calculs établis à par‐ tir de la somme de 130 000 $ US et d'une autre de 50 000 $ US versée par Michael Cohen pour d'autres raisons sans lien avec cette affaire.

Ce montant, qui a officiel‐ lement été présenté comme des honoraires, a ensuite été doublé par M. Weisselber­g pour atteindre 360 000 $ US, afin de tenir compte des im‐ pôts qui seraient payés par Michael Cohen, a indiqué M. McConney.

Une prime annuelle de 60 000 $ US a ensuite été ajou‐ tée à ce montant, portant à 420 000 $ US la somme à ver‐ ser à Michael Cohen.

Nous avons tout addi‐ tionné et nous sommes arri‐ vés au montant que nous voulions lui payer.

Jeffrey McConney, ancien contrôleur de la Trump Orga‐ nization

Avez-vous connaissan­ce d'un autre cas où un rem‐ boursement a été doublé pour tenir compte des im‐ pôts? a demandé le procu‐ reur Matthew Colangelo. Non, a répondu M. McCon‐ ney.

Cette 12e journée de pro‐ cès s'est par ailleurs amorcée avec une décision du juge Juan Merchan, qui a de nou‐ veau trouvé Donald Trump coupable d'outrage au tribu‐ nal pour avoir violé une or‐

donnance de bâillon.

Des paiements men‐ suels officielle­ment pour des « frais juridiques »

Dans cette affaire, l'ancien président américain est ac‐ cusé d'avoir falsifié des docu‐ ments financiers de façon à camoufler les vraies raisons du paiement fait à Michael Cohen - soit, selon les procu‐ reurs, le rembourser pour les 130 000 $ US versés à Stormy Daniels - et dissimuler ainsi un « plan criminel pour cor‐ rompre l’élection de 2016 ».

En vertu de la loi new-yor‐ kaise, lorsque des docu‐ ments sont falsifiés dans le but de couvrir d’autres crimes, comme ce que sou‐ tiennent les procureurs dans ce dossier, l'infraction à la loi est considérée comme plus grave et est passible d'une peine plus sévère. Ils doivent donc convaincre les jurés des deux assertions.

Jusqu'ici, la démonstrat­ion des procureurs s'était davan‐ tage attardée aux autres crimes allégués, essentiell­e‐ ment à la présumée conspi‐ ration qu'aurait échafaudée Donald Trump pour rempor‐ ter illégaleme­nt l'élection, entre autres en réduisant au silence de présumées maî‐ tresses.

Pour la première fois de‐ puis le début de la procé‐ dure, leur argumentai­re s'est orienté vers la présumée fal‐ sification de documents; les 34 chefs d’accusation concernent plus spécifique‐ ment 11 factures, 12 entrées de registres comptables et 11 chèques.

La somme de 420 000 $ US a été découpée en une série de 12 paiements men‐ suels de 35 000 $ US, pour lesquels Michael Cohen de‐ vait au préalable présenter chaque mois une facture, a spécifié M. McConney.

Facture après facture chacune a été montrée au jury -, les sommes réclamées étaient officielle­ment présen‐ tées comme des dépenses juridiques découlant d'un mandat de représenta­tion en justice, autrement dit comme des honoraires.

M. McConney a cepen‐ dant indiqué qu'il n'avait ja‐ mais vu de contrat d'hono‐ raires au nom de Michael Co‐ hen à ce sujet et qu'il n'avait pas transmis les factures au service juridique, contraire‐ ment à la pratique habituelle de l'entreprise.

M. Cohen a soumis au to‐ tal 11 factures mensuelles, de février à décembre 2017, à la Trump Organizati­on.

Le New York Times a re‐ levé que Michael Cohen ne travaillai­t plus pour la Trump Organizati­on au moment où il a présenté les factures en question.

Des chèques signés par Trump lui-même

Jeffrey McConney a dit avoir demandé à une em‐ ployée de son service, qui a témoigné après lui, d'identi‐ fier les paiements faits à Mi‐ chael Cohen comme des frais juridiques associés à un mandat de représenta­tion en justice.

Selon son témoignage et les preuves présentées, les deux premiers chèques ont été faits par la Donald J. Trump Revocable Trust, une fiducie créée pour gérer son entreprise pendant sa prési‐ dence et contrôlée par les fils aînés de l'homme d'affaires.

Après réception de la pre‐ mière facture, a soutenu M. McConney, Allen Weisselber­g a donné par courriel le feu vert au paiement, avec l'ac‐ cord de Don et d'Eric.

Les neuf chèques subsé‐ quents ont été signés par Do‐ nald Trump, alors président, à partir de son compte per‐ sonnel, a poursuivi M. Mc‐ Conney.

Appelée à la barre en après-midi, une autre an‐ cienne employée du service de la comptabili­té, Deborah Tarasoff, a pris le relais là où s'arrêtait le récit de M. Mc‐ Conney.

Par son entremise, les procureurs ont notamment présenté aux jurés les 11 chèques préparés par la Trump Organizati­on, dont 9 portaient la signature emblé‐ matique de Donald Trump au feutre noir.

Pas d'ordre direct

Lors du contre-interroga‐ toire mené par la défense, M. McConney a indiqué qu'il n'avait pas reçu d'ordre direct de Donald Trump au sujet de ces paiements ou même abordé la question avec lui.

Allen Weisselber­g ne lui a pas davantage confié que les ordres émanaient du grand patron, a-t-il témoigné.

Cette démonstrat­ion va au coeur de l'argumentai­re des avocats de Donald

Trump : leur client n'était pas au courant des agissement­s de Michael Cohen.

Au début de la comparu‐ tion de M. McConney, les procureurs ont cependant évoqué un épisode ayant vraisembla­blement pour ob‐ jectif de démontrer la sur‐ veillance qu'exerçait Donald Trump sur les finances de son organisati­on.

En 1988, un an après s'être joint à l'entreprise, M. McConney s'est fait repro‐ cher par Donald Trump la di‐ minution des soldes de tré‐ sorerie par rapport à la se‐ maine précédente. Tu es viré, s'est-il fait dire.

Ce n'est pas arrivé, a-t-il poursuivi, mais il a déclaré avoir alors compris à quel point M. Trump portait une attention soutenue aux sor‐ ties d'argent.

Les procureurs ne pour‐ ront pas compter sur le té‐ moignage de l'ex-directeur fi‐ nancier de la Trump Organi‐ zation, qui reste loyal à son ancien patron, pour tracer une ligne directe entre Do‐ nald Trump et l'ordre pré‐ sumé de falsifier des docu‐ ments liés au rembourse‐ ment fait à Michael Cohen.

Allen Weisselber­g a purgé une peine de prison l'an der‐ nier pour son rôle dans les fraudes fiscales dont la Trump Organizati­on a été re‐ connue coupable.

Il purge une deuxième peine pour s'être parjuré au cours d'une poursuite civile intentée contre Donald Trump.

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