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Crise dans l’industrie forestière : « Ça commence à ressembler à un tremblemen­t de terre »

- Jean-Marc Belzile

L’industrie forestière est mise à mal depuis plu‐ sieurs semaines. Des cen‐ taines de personnes ont été mises à pied dans diffé‐ rentes usines de la pro‐ vince.

Les 275 pertes d’emplois annoncées cette semaine lors de l’annonce de la ferme‐ ture pour une durée indéter‐ minée de l’usine de fabrica‐ tion de cellulose de Rayonier à Témiscamin­g s'ajoutent à une lourde tendance dans le milieu forestier.

L’entreprise Produits fo‐ restiers Résolu annonçait le 26 mars dernier à ses 50 em‐ ployés qu’elle suspendait les opérations de sa scierie Com‐ tois, à Lebel-sur-Quévillon, pour une période indétermi‐ née.

Le 5 mai prochain, les 130 travailleu­rs de la scierie de Maniwaki appartenan­t à la même entreprise perdront aussi leur emploi pour une durée d’un mois alors que les activités de l’usine sont inter‐ rompues.

La scierie Béarn au Témis‐ camingue, propriété de Chantiers Chibougama­u, a fermé ses portes le 25 avril dernier pour une durée indé‐ terminée. 120 travailleu­rs ont été mis à pied. Puis lundi der‐ nier, Rayonier Advanced Ma‐ terials annonce à ses em‐ ployés la mise à pied tempo‐ raire de 275 personnes à son usine de Témiscamin­g à par‐ tir du 2 juillet.

En à peine plus d’un mois, c’est donc près de 600 tra‐ vailleurs qui ont été touchés par cette vague de mises à pied.

Il se dégage aujourd’hui une très malheureus­e im‐ pression de la crise parfaite qui avait prévalu dans la pé‐ riode 2007-2010 ou il y avait un effondreme­nt de la constructi­on, un effondre‐ ment des prix qui était sur du long terme, une réduction de bois disponible au début de la chaîne de transforma­tion, nous dit Frédéric Verreault, directeur exécutif au déve‐ loppement corporatif chez Chantiers Chibougama­u.

Il estime que tous ces fac‐ teurs font en sorte que les entreprise­s forestière­s doivent prendre un pas de recul.

C’est plus qu’une petite secousse, ça commence à ressembler à un tremble‐ ment de terre.

Frédéric Verreault, direc‐ teur exécutif au développe‐ ment corporatif chez Chan‐ tiers Chibougama­u.

La conjonctur­e dans le do‐ maine forestier est difficile, le marché du bois est extrême‐ ment difficile, les usines opèrent à perte, affirme pour sa part la préfète du Témisca‐ mingue Claire Bolduc, dont les communauté­s sont direc‐ tement touchées par les an‐ nonces de fermetures.

Les coûts énergétiqu­es sont à la hausse, les taux d'intérêt n'aident pas, il y a tout un contexte de réces‐ sion qui se fait sentir et qui frappe de plein fouet le mi‐ lieu forestier, explique Claire Bolduc tout en précisant que les récentes annonces auront des impacts beaucoup plus grands.

À partir du moment où les activités en usine sont inter‐ rompues, toutes les autres entreprise­s en amont, l’in‐ dustrie forestière, le trans‐ port du bois, ce sont toutes ces entreprise­s qui sont fragi‐ lisées. On est très conscient de l’interrelat­ion qui existe entre toutes les entreprise­s sur le territoire, ajoute-t-elle.

Une interrelat­ion évidente existe aussi entre des usines qui ont annoncé des ferme‐ tures, c’est le cas pour la scie‐ rie Béarn appartenan­t à Chantiers Chibougama­u et l’usine de Témiscamin­g déte‐ nue par Rayonier Advanced Materials.

Lors d’une récolte dans un secteur, l’usine de Témisca‐ ming prend les feuillues alors que la scierie Béarn traite les résineux.

Dans un secteur comme le Témiscamin­gue, il y a beaucoup d’arbres feuillus et les liens entre la scierie Béarn et les activités de pâtes cellulosiq­ues de Rayo‐ nier à Témiscamin­g sont ab‐ solument directs, explique Frédéric Verreault.

Le lien entre les 2 entre‐ prises se poursuit à la suite des opérations alors que les copeaux inutilisés par la scie‐ rie de Béarn sont récupérés par l’usine de Témiscamin­g.

C’est ce qui explique qu’historique­ment aussi ces deux usines étaient dans le giron de Tembec. Aujourd’hui elles ne le sont plus, mais la dépendance entre les 2 de‐ meure au rendez-vous. Il y a clairement un effet domino concret qui repose sur l’inter‐ dépendance entre les usines, ajoute Frédéric Verreault, qui veut tout de même demeu‐ rer positif. Il est convaincu que son entreprise trouvera des solutions.

Faut d’abord s'occuper des humains, des hommes et des femmes qui sont affectés par cette crise par l’arrêt de

leur travail, mais il faut aussi garder la tête froide, se re‐ trousser les manches et se dire voilà la situation, la re‐ garder avec lucidité. Et se dire maintenant : qu’est-ce qu’on fait? Qu’est-ce qu’on trouve comme solutions?, af‐ firme celui qui estime qu’il est trop tôt pour se pronon‐ cer sur ces solutions.

En n’ayant pas le diagnos‐ tic complet du défi qu’on doit relever, on risque de ne pas mettre en oeuvre les bonnes solutions. Chaque jour compte, mais il ne faut pas non plus précipiter choses, explique-t-il.

Québec interpellé

les

Le directeur québécois du syndicat Unifor, Daniel Clou‐ tier croit que le gouverne‐ ment du Québec a un rôle important à jouer pour l’ave‐ nir de l’industrie forestière

L’absence de vision claire du gouverneme­nt ou l’ab‐ sence d’annonces claires que ce soit sur un régime fores‐ tier, que ce soit sur le plan caribou ne favorisent pas les parties, autant les em‐ ployeurs, les syndicats, les groupes communauta­ires à avoir des discussion­s et des projets intelligen­ts, c’est très difficile dans ce contexte-là, affirme-t-il, ajoutant qu’il est urgent de revoir le régime fo‐ restier.

Tout le monde s’entend pour dire que le régime fo‐ restier ne fonctionne plus et qu’il faut le changer et le faire avec une perspectiv­e d’avenir pour une économie durable au niveau de la foresterie et de tout ce qui en découle, mais malheureus­ement on est confronté en ce moment à cette absence de leader‐ ship [du côté du] ministère des Ressources naturelles et des Forêts, ce qui fait que c’est très difficile, ajoute-t-il.

C’est un moment char‐ nière et c’est urgent que notre gouverneme­nt prenne acte de la nécessité d'agir et d'agir rapidement, men‐ tionne pour sa part la préfète du Témiscamin­gue Claire Bol‐ duc, qui estime qu’il n’est pas trop tard pour agir, mais que le temps presse.

Les usines sont toujours là, le bois est toujours là, les communauté­s sont mobili‐ sées, attentives. Actuelle‐ ment, c’est le temps d’agir, il sera trop tard quand ça fera un an et qu’on n’aura rien fait, là on sera très inquiet, on aura compris qu’on nous a laissé tomber, mais là c’est en plein le bon temps d’agir, explique-t-elle.

La ministre des Res‐ sources naturelles et des Fo‐ rêts, Maïté Blanchette Vézina, n'était pas disponible pour commenter vendredi, mais compte réagir au début de la semaine prochaine.

En novembre dernier, elle avait annoncé une série de consultati­ons sur l’avenir de la forêt. Les consultati­ons ont été lancées en février der‐ nier.

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