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Ces sondages Biden-Trump qui ne disent pas grand-chose

- Frédéric Arnould

43-44 %, 37-37 %, 41-43 % : tous ces sondages qui pré‐ figurent une élection prési‐ dentielle très serrée entre Joe Biden et Donald Trump donnent le tournis aux États-Unis, surtout lors‐ qu’ils sont suranalysé­s dans les médias. Mais que valent-ils vraiment? Proba‐ blement pas grand-chose pour prédire le résultat fi‐ nal de novembre prochain.

Cela faisait des mois que Donald Trump avait une cer‐ taine avance dans la plupart des sondages, mais depuis quelques jours, il y a des signes avant-coureurs d’un certain déclin, d'une fatigue, dans le soutien à l’ex-pré‐ sident républicai­n. Son pro‐ cès criminel à Manhattan, qui fait les manchettes de façon quotidienn­e, y serait-il pour quelque chose? Trop tôt pour le dire.

Il reste que l'avance de l'ancien président Trump sur le président Biden a diminué au cours des derniers mois, et les plus récents sondages montrent une course au coude-à-coude, alors que Joe Biden gagne du terrain grâce au soutien de groupes démo‐ graphiques clés.

Selon FiveThirty Eight, un agrégateur de sondages qui compile et pondère les en‐ quêtes d’opinions, la moyenne des coups de sonde donne 41,04 % des in‐ tentions de vote à Donald Trump, contre 40,6 % pour Joe Biden. Autant dire qu’on est bien en deçà de la marge d’erreur.

Muni de sa boule de cris‐ tal, Larry Sabato, qui a célé‐ bré récemment le 25e anni‐ versaire de la fondation de son Centre pour la politique à l’Université de la Virginie, met en garde ceux qui prennent pour argent comp‐ tant ces sondages qui pul‐ lulent. Ils peuvent montrer au fil du temps ce qui se passe dans les principaux sous-groupes, les données démographi­ques qui comptent dans la politique américaine, et si un sousgroupe modifie clairement ses préférence­s, mais pour ce qui est de nous dire qui va gagner, il suffit de tirer à pile ou face.

Un outil de propagande

Ces sondages sont sur‐ tout utilisés à des fins de pro‐ pagande politique pour faire miroiter des avancées dans les intentions de vote ou en‐ core pour mobiliser des bâilleurs de fonds, pour les candidats qui tirent de l’ar‐ rière. Quel que soit le camp favori du moment, il s'ap‐ puiera sur ce sondage et dira : "Regardez ces chiffres, bien sûr, ils sont gravés dans la pierre." Ils ne peuvent pas changer, les élections sont terminées. Et toute l'histoire nous montre ensuite que ce n'était pas vrai, fait remar‐ quer Larry Sabato.

À un peu moins de six mois du rendez-vous électo‐ ral de novembre, la marge d'erreur des sondages se si‐ tuerait, selon lui, aux alen‐ tours de 6 %, alors que la se‐ maine précédant l'élection, elle n’est plus que de 1,7 %.

Parlant d’erreur, en 2016, les maisons de sondage se sont clairement trompées sur l’issue réelle du vote, avec la victoire de Donald Trump sur Hillary Clinton.

Même en 2020, elles ont subi un certain embarras, car même si Joe Biden a gagné par plus de 7 millions de voix sur Donald Trump, men‐ tionne Larry Sabato, cela s'est vraiment joué sur 43 000 voix dans les États clés les plus serrés. Quarantetr­ois mille voix sur plus de 160 millions de voix expri‐ mées.

Des maisons de sondage fictives?

Aujourd’hui, bien des ins‐ tituts de sondage font des projection­s avec un échan‐ tillon de 600 ou 700 per‐ sonnes, parfois même 400 ou 500, ce qui ne donne pas un bon instantané de la si‐ tuation. Larry Sabato déplore qu’une fois de plus les mé‐ dias extrapolen­t trop sur ces données moins fiables. La presse les laisse faire parce qu'elle aime aussi les ru‐ meurs. Je ne veux pas être cruel, mais il y a beaucoup de gens dans la profession de journalist­e qui ne com‐ prennent pas du tout les chiffres.

L’autre phénomène que l’on constate en regardant ces coups de sonde, c’est la proliférat­ion de maisons de sondage qui semblent sorties de nulle part et qui, bien sou‐ vent, ont des enquêtes d’opi‐ nion qui sont commandité­es par des groupes partisans, bien qu’ils s’en défendent en se proclamant non partisans. Ces résultats sont alors par‐ tagés dans les chambres d’écho que sont les diverses publicatio­ns partisanes, re‐ prises ensuite par les bu‐ reaux des partis nationaux.

Pendant un certain temps, nous avons utilisé les moyennes des sondages et pensé que cela éliminait le problème, que nous pou‐ vions éliminer l'erreur dans une certaine mesure, ex‐ plique le fondateur du Centre pour la politique de l’Univer‐ sité de Virginie.

Les partis ont compris et savent donc que si l'on crée quatre ou cinq instituts de sondage fictifs qui ne peuvent pas être facilement classés comme démocrates ou républicai­ns, la moyenne s'en trouvera affectée, et ils le font surtout dans les États clés de l'échiquier politique.

Larry Sabato, politologu­e, Université de la Virginie

Pourquoi sonder surtout six États?

Le président Joe Biden et son adversaire républicai­n sont engagés dans une course présidenti­elle serrée qui pourrait en effet dé‐ pendre de la façon dont les votes des grands électeurs seront exprimés dans six États clés : Arizona, Georgie, Michigan, Nevada, Pennsylva‐ nie et Wisconsin.

Tous ces États ont opté pour Joe Biden en 2020, mais le nombre d'électeurs d'ori‐ gines ethniques et d'âges di‐ vers pourrait entrer en ligne de compte à la prochaine élection. Des voix qui ne semblent pas encore mobili‐ sées de façon définitive, à plusieurs mois du scrutin.

Et le facteur Kennedy?

Dans une course aussi serrée, la candidatur­e de Ro‐ bert F. Kennedy Jr. a le poten‐ tiel de faire basculer l'élec‐ tion, même si l'on ne sait pas exactement en faveur de qui. Des sondages antérieurs sug‐ géraient que Kennedy Jr., descendant de la famille dé‐ mocrate la plus célèbre du pays, pourrait attirer plus de votes qui seraient allés à Joe Biden, mais des sondages plus récents suggèrent qu'il nuirait aussi à Donald Trump.

Sur ce point, le polito‐ logue de l’Université de la Vir‐ ginie tempère un peu la per‐ ception générale. Il ne croit pas que Robert F. Kennedy Jr. prendra autant de votes à M. Trump qu’à M. Biden.

Donald Trump a trois atouts dans son jeu pour que Joe Biden perde des appuis essentiels, si modestes soient-ils, souligne Larry Sa‐ bato. Il s'agit de trois candi‐ dats susceptibl­es de prendre plus de votes au démocrate : Jill Stein, candidate du Parti vert, Cornel West, candidat indépendan­t afro-américain qui n'obtiendrai­t peut-être que 1 % ou moins du vote populaire, mais l'endroit où il l’obtiendrai­t pourrait avoir une réelle importance dans certains États, et bien sûr RFK Jr.

« Wait and see »

Bien sûr, tout peut chan‐ ger, comme on le voit dans les récents sondages. Joe Bi‐ den dispose d’ici l’élection présidenti­elle d'un réservoir de publicité négative bien plus riche à utiliser contre Donald Trump, grâce aux dé‐ clarations et aux idées incen‐ diaires de ce dernier, ou en‐ core à ses déboires judi‐ ciaires.

Mais les tendances évo‐ luent, un peu comme les plaques tectonique­s, à leur rythme.

Faut-il donc se pencher sur ces sondages mainte‐ nant? Pas vraiment, à part pour les accros de la poli‐ tique. Avant le mois d’oc‐ tobre, cela ne servira pas à grand-chose, car le choix des Américains est loin d’être cristallis­é.

Il faudra attendre de voir ce que sera la question de l'urne : le prix de l’essence, la situation à la frontière, la guerre dans la bande de

Gaza? Ou une autre surprise?

La seule chose (presque) sûre, c’est que de Joe Biden et de Donald Trump, un seul sera président…

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