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Drake contre Kendrick Lamar : le rap et la culture de la confrontat­ion

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Le conflit qui oppose Drake et Kendrick Lamar n'est pas du même registre que les rivalités entre rappeurs, qui ont culminé dans les années 1990 avec de cé‐ lèbres assassinat­s, selon le chroniqueu­r spécialisé en rap Antoine-Samuel Mauf‐ fette Alavo, alias Dj Asma,

Si plusieurs ont songé à l'affronteme­nt musical entre Kendrick Lamar et Drake après la fusillade survenue dans la nuit de lundi à mardi près du portail du domicile de Drake à Toronto, rien n'in‐ dique pour le moment qu'il y a un lien à faire avec les évé‐ nements survenus cette se‐ maine.

Entretien avec Antoine-Sa‐ muel Mauffette Alavo.

La culture de l'affronte‐ ment, qui existe dans le rap depuis les années 1980, pourquoi fait-elle partie de cet imaginaire collectif?

Le rap a toujours été un sport compétitif. Au début, les gens s'affrontaie­nt sur un coin de rue pour savoir qui faisait le meilleur rap.

Il y a toujours eu cet as‐ pect de se vanter, puis de se proclamer le meilleur, puis parfois quand il y avait des conflits entre rappeurs, ils mettaient ça en musique et ça vendait des disques.

Dans les années 1990, il y a eu quand même les as‐ sassinats de Tupac Shakur et de The Notorious B.I.G. qui sont fortement ratta‐ chés à l'histoire du rap, non?

C'est là que ça a un peu débordé. On est passé des disques à des trucs beau‐ coup plus personnels, un peu reliés aux gangs de rue, puis de la violence qui a été mal‐ heureuseme­nt un peu de chaque côté, 2Pac, puis B.I.G. sur les côtes ouest et est.

On voit ça un peu plus de nos jours, des membres de gangs de rue vont rapper sur leurs exploits criminels et vont finir en prison.

Mais dans le cas de Drake, c'est un autre niveau, on est plutôt dans une compétitio­n musicale. Je pense que ce qui est arrivé chez lui, c'est plutôt un mauvais timing.

Quels sont les exemples de guerre des mots qui ont aussi marqué l'histoire de la musique?

Il y a eu différents conflits qui ont moussé les ventes, mais ils sont aussi reconnus comme des moments char‐ nières de la culture hip-hop.

Il y a eu par exemple KRS One contre le BDP à New York, l'est contre l’ouest dont on a parlé, et puis Drake a été très souvent champion. Il a battu un rappeur de Phila‐ delphie, c'est là où il s'est montré comme un grand compétiteu­r. Il a aussi af‐ fronté Pusha T qui a rem‐ porté leur duel.

Il y a quelque chose de très enivrant et, visible‐ ment, les admirateur­s aiment ça.

C’est un aspect des mé‐ dias sociaux, des potins, puis de la rapidité qu'on voit avec les médias sociaux. Avant, on devait enregistre­r, puis en‐ voyer une chanson, puis peut-être faire un clip. Là, on a vu qu’entre Kendrick Lamar et Drake, il y a eu cinq ou six chansons en quelques jours.

Et puis, il y a des coups bas, des rumeurs, des accu‐ sations, ta femme n'est pas vraiment mariée avec toi, t'as un autre enfant, etc..

À un moment, Kendrick Lamar a dit que Drake avait un deuxième enfant, comme caché, alors que Drake avait envoyé de la fausse informa‐ tion à son camp, donc il lui a rappelé je t'ai eu. Ça reste des choses qui nourrissen­t les admirateur­s.

Est-ce que Drake a beau‐ coup d'ennemis musicale‐ ment?

Il y a l'aspect roi de la montagne, c'est l'artiste le plus écouté en ligne, le plus vendu, donc tout le monde veut s’attaquer à lui, le chal‐ lenger. Ça a commencé avec Kendrick et Future, un rap‐ peur très connu. Il y a aussi Rick Ross et ASAP Rocky et même The Weeknd, un chan‐ teur canadien de R'n'B.

Drake a répondu à chacun d'entre eux donc il est un peu seul contre tous dans cette bagarre de ruelle musicale.

Il y a aussi des chicanes dans la musique pop, comme avec les Beatles dans les années 1960. Quelle est la différence?

Dans la pop, l'artiste il va parler de son ex ou bien de son manager, mais ils vont jamais insulter directemen­t la personne ou la nommer, et surtout pas s'attendre à une réponse. Le rap c'est plus direct, c'est plus public et puis maintenant c'est telle‐ ment populaire, tout le monde est en train de regar‐ der.

Ça a mis un peu d'énergie, de renouveau dans une mu‐ sique qui quand même per‐ dait un peu de terrain der‐ rière le reggaeton et l'afro‐ beat sur la scène mondiale.

Le rap sans attaques, sans menaces, sans conflits, est ce que ça atti‐ rerait autant à votre avis?

Les associatio­ns avec la violence sont des choses du passé et il n’y en a pas plus qu’à un concert de métal ou un festival de country.

Mais il ne faut pas que le rap devienne terne et plate. Le rap reste un sport compé‐ titif, on aime ça quand ça reste dans les règles de l’art.

Avec la collaborat­ion du Téléjourna­l Ontario et de l'émission Dans la mosaïque. Les propos recueillis ont été raccourcis par souci de clarté et de concision.

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