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Le maire de Rafah à Radio-Canada : « La souffrance humaine est énorme, énorme… »

- Rania Massoud

Le maire de la ville de Ra‐ fah, dans le sud de la bande de Gaza, n’a qu’un seul mot à la bouche : « ca‐ tastrophe ».

C’est une catastroph­e à tous les niveaux : catas‐ trophe humanitair­e, catas‐ trophe sociale, catastroph­e sanitaire, catastroph­e envi‐ ronnementa­le, catastroph­e économique… Et le monde nous observe, sans bouger le petit doigt, lâche Ahmad AlSoufi, qui a accordé une en‐ trevue téléphoniq­ue à RadioCanad­a depuis le centre de Rafah.

Depuis le 6 mai dernier, les forces israélienn­es ont in‐ tensifié leurs opérations contre sa ville, qui se trouve non loin de la frontière égyp‐ tienne, appelant les civils à se déplacer vers la région d'AlMawasi, à une dizaine de ki‐ lomètres de là.

Israël affirme que les der‐ niers bataillons du Hamas sont retranchés à Rafah et se dit déterminé depuis plu‐ sieurs mois à y mener un as‐ saut terrestre d'ampleur pour anéantir le mouvement islamiste palestinie­n, au pou‐ voir à Gaza depuis 2007, qui a mené le 7 octobre, dans le sud d'Israël, une attaque san‐ glante qui a déclenché la guerre.

Selon l’ONU, sur les 1,4 million de personnes entas‐ sées à Rafah, seulement 80 000 ont pu fuir la ville au cours des trois derniers jours.

La plupart des civils qui se trouvent dans le sud de la bande de Gaza sont des dé‐ placés qui ont été poussés là par sept mois de combats et de bombardeme­nts qui ont réduit à l'état de ruines le nord puis le centre de la bande de Gaza.

Ceux qui ont décidé de rester préfèrent mourir sur place plutôt que de devoir se déplacer encore une fois, dit le maire de Rafah. Évidem‐ ment, nous les encourageo­ns à partir pour fuir les bombar‐ dements, nous privilégio­ns la sécurité physique des civils, surtout celle des femmes et des enfants, ajoute-t-il.

Mais, selon lui, la région désignée comme « zone hu‐ manitaire » par Israël est dé‐ sertique et dépourvue de toute infrastruc­ture basique pour abriter les déplacés. Rien n'a été mis en place pour l'accueil des civils fuyant les combats, dit-il.

L’armée israélienn­e a par ailleurs pris le contrôle du seul point de passage à Ra‐ fah qui relie la bande de Gaza au monde extérieur, via l’Égypte.

Tous les approvisio­nne‐ ments ont été coupés [...]. On manque d’eau, de nourriture, de médicament­s, de carbu‐ rant… On manque de tout!

Ahmad Al-Soufi, maire de Rafah

L'ONU avait affirmé mardi ne plus disposer que d'un jour de réserves de fioul pour les opérations humanitair­es à Gaza, et avait appelé à rou‐ vrir les passages.

Il ne restait mercredi que trois jours de carburant aux hôpitaux du sud de Gaza, ce qui signifie qu'ils pourraient bientôt cesser de fonction‐ ner, a averti l'Organisati­on mondiale de la santé (OMS).

Le maire de Rafah assure quant à lui que les hôpitaux de la ville sont soit non opé‐ rationnels, soit inaccessib­les en raison des routes coupées ou détruites par les bombar‐ dements israéliens.

Nous sommes complète‐ ment démunis, dit-il, le souffle presque coupé. On n’a plus les moyens d’aider les gens. On est même inca‐ pables de retirer les blessés de sous les décombres parce qu’on manque de matériel et de machinerie­s.

Avec la fermeture du point de passage de Rafah, il est devenu impossible pour les Palestinie­ns d’évacuer les blessés vers l’Égypte pour y être soignés, explique-t-il en‐ core.

Tous les blessés, surtout les blessés graves, sont dé‐ sormais condamnés à mourir sans soins. Nous vivons dans la peur et la terreur à Rafah [...]. La souffrance humaine est énorme, énorme…

Ahmad Al-Soufi, maire de Rafah

Le maire de Rafah en ap‐ pelle à l’humanité de la com‐ munauté internatio­nale pour assumer ses responsabi­lités et mettre fin à ce massacre. C’est une véritable catas‐ trophe qui concerne l’huma‐ nité tout entière, dit-il.

M. Al-Soufi, qui a été élu à la tête de la municipali­té de Rafah en juin 2020, assure qu’il n’y a plus d’endroits sûrs dans toute la bande de Gaza. Il accuse par ailleurs l’armée israélienn­e d’avoir complète‐ ment rasé des villes entières avec des bulldozers et des chars. Il craint que la ville de Rafah ne finisse par subir le même sort.

Il appelle la communauté internatio­nale à fournir des logements temporaire­s pour les déplacés, ainsi que des hôpitaux de campagne pour soigner les blessés. Il y a, à Rafah, plus de 1600 per‐ sonnes atteintes de maladie rénale, qui ont besoin de su‐ bir un traitement de dialyse deux fois par jour, indique M. Al-Soufi. Il y a des malades qui souffrent de cancer, des malades avec des problèmes cardiaques…

Les besoins sont évidem‐ ment énormes, mais le plus urgent est de parvenir à un cessez-le-feu. Il faut mettre fin à la violence et ouvrir les passages pour acheminer de l’eau, de la nourriture et des médicament­s à la popula‐ tion.

Ahmad Al-Soufi, maire de Rafah

Selon le maire de Rafah, ce n’est pas avec les bombes qu’Israël réussira à en finir avec le Hamas. C'est claire‐ ment une guerre contre le peuple palestinie­n et non pas contre le Hamas, accuse-t-il.

La communauté interna‐ tionale ne cesse de répéter qu’Israël a le droit de se dé‐ fendre, mais les Palestinie­ns ont eux aussi des droits qui sont reconnus par les Na‐ tions unies, dont le droit à l’autodéterm­ination et le droit de résister à l’occupa‐ tion, ajoute-t-il.

On voit bien qu’il y a deux poids, deux mesures dans le monde, se désole-t-il, accu‐ sant les pays occidentau­x de se désintéres­ser du sort des Palestinie­ns.

Depuis l’attaque du Ha‐ mas, qui a fait plus de 1170 morts côté israélien, majori‐ tairement des civils, l’armée de l’État hébreu bombarde sans répit la bande de Gaza, où sont toujours détenus 128 otages israéliens.

L’offensive israélienn­e a fait jusqu'à présent 34 844 morts côté palestinie­n, dont un grand nombre de femmes et d’enfants, selon le minis‐ tère de la Santé à Gaza.

Pour Ahmad Al-Soufi, la seule solution pour régler le conflit est de parvenir à un accord. Personnell­ement, je suis contre la violence, dit-il. Pour moi, toutes les vies hu‐ maines se valent.

Nous, les Palestinie­ns, sommes un peuple pacifique, assure-t-il encore. Nous n’avons qu’un seul souhait : avoir les mêmes droits que les autres peuples à travers le monde.

Une adaptation en arabe de ce texte est disponible sur le site de RCI.

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