Des écoles canadiennes massivement utilisées comme tremplins pour demander l’asile
Romain Schué, Daniel Boily Sur papier, ils sont parfois des centaines, voire des milliers d’étudiants étran‐ gers par établissement d’enseignement. Mais de plus en plus, un nombre important d’entre eux ne mettent jamais les pieds dans l'école qui leur a ou‐ vert les portes du Canada.
En l’espace d’un an seule‐ ment, le nombre de deman‐ deurs d’asile arrivant au Ca‐ nada grâce à un permis d’études a presque triplé.
Selon des données fédé‐ rales obtenues par Radio-Ca‐ nada, plus de 11 300 de‐ mandes d’asile en 2023 concernaient des personnes venues initialement au Ca‐ nada pour étudier. Soit 8 % du nombre total des de‐ mandes d’asile faites l’an passé, une année record.
Depuis des années, le Ca‐ nada n’a pas surveillé le nombre de demandes pour étudier au Canada et, par ap‐ pât du gain, des écoles ont été motivées de faire venir de plus en plus d’étrangers. Ottawa a perdu le contrôle, juge l’avocat en immigration Richard Kurland, qui étudie depuis plusieurs années le commerce autour de ces per‐ mis d’études.
On a laissé la porte ou‐ verte à n’importe qui pour venir au Canada avec des permis d’études. On n’a pas contrôlé le nombre de per‐ mis émis chaque année.
Richard Kurland, avocat en immigration
Ce phénomène a pris énormément d’ampleur en peu de temps.
En l’espace de cinq ans, le nombre de demandeurs d’asile entrant au Canada avec un permis d’études a été multiplié par sept. Dans le même temps, le nombre de permis d’études approu‐ vés a lui aussi nettement grimpé, mais à un degré bien moindre.
Des universités québé‐ coises ciblées
Cette situation concerne de nombreux établissements privés et publics, notamment en Ontario, où l'on relève une forte proportion de permis délivrés à des ressortissants indiens.
Situé en banlieue de To‐ ronto, le Seneca College est en tête de ces institutions ayant inscrit le plus d’étran‐ gers qui finissent par deman‐ der l’asile. D’autres établisse‐ ments privés ontariens sont concernés.
Le Conestoga College, par exemple, a connu un bond phénoménal d’inscriptions d’étudiants étrangers (de 6000 à 30 000 entre 2018 et 2023), avec, là encore, une forte hausse du nombre de personnes demandant l'asile une fois arrivées au pays grâce à leur permis d'études.
Mais le Québec n’est pas en reste. Loin de là. Contrai‐ rement à d’autres provinces, cette problématique vise es‐ sentiellement des institutions publiques situées en région, loin de la métropole mont‐ réalaise.
Au cours des derniers mois, nous avons été sensibi‐ lisés par les directions des établissements d’enseigne‐ ment supérieur face au phé‐ nomène des étudiants étran‐ gers qui s’inscrivent, mais qui finissent par ne jamais assis‐ ter à leurs cours, ce qu’on ap‐ pelle les no show, reconnaît le cabinet de la ministre de l’Immigration, Christine Fré‐ chette.
Notre hypothèse est qu’il s’agit des mêmes personnes qui obtiennent un permis d’études et qui demandent par la suite le statut de de‐ mandeurs d’asile.
Maude Méthot-Faniel, porte-parole de la ministre Christine Fréchette
Ses prédécesseurs ont dé‐ jà serré la vis, par le passé, aux collèges privés recrutant massivement des étudiants indiens. À présent, les re‐ gards se tournent vers cer‐ taines universités québé‐ coises, qui ont elles aussi grandement haussé le nombre d’inscriptions d’étu‐ diants étrangers.
À l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), plus de 300 personnes inscrites dans l’établissement ont demandé l’asile l’an passé. Une hausse de 342 % en seulement quelques mois.
Il est bien difficile de trou‐ ver les causes de cette situa‐ tion, indique Marie-Karlynn Laflamme, porte-parole de l’établissement saguenéen, qui se dit mal outillé.
Il est impossible de connaître les intentions des gens en provenance de l’in‐ ternational qui font une de‐ mande d’admission à l’UQAC dans une autre perspective que celle d’y étudier.
Marie-Karlynn Laflamme, porte-parole de l’UQAC
Ce phénomène est simi‐ laire à l’Université du Québec à Trois-Rivières ou encore à l’Université Laval. Ces établis‐ sements partagent une vo‐ lonté commune d’attirer de plus en plus d’étudiants afri‐ cains francophones dans leurs rangs.
Les décisions d’admission sont basées sur des critères académiques, se défend l’Université Laval. La per‐ sonne ne déclare pas son statut de réfugié lorsqu’elle remplit une demande d’ad‐ mission, écrit par courriel le porte-parole Jérôme Pelletier.
Hausse spectaculaire d’inscriptions au Québec
Le gouvernement Legault rejette régulièrement la faute sur son homologue fédéral concernant la hausse mas‐ sive du nombre d’immigrants temporaires au Québec. Pourtant, Québec a aussi participé à cette augmenta‐ tion en octroyant un nombre record de certificats d’accep‐ tation du Québec (CAQ), un document préalable à l’émis‐ sion du permis d’études par Ottawa, réservé aux ressor‐ tissants étrangers souhaitant étudier au Québec.
L’an passé, d’après des données diffusées par la Loi sur l’accès à l’information, Québec a accepté près de 157 000 CAQ, contre 122 000 une année plus tôt et 97 000 en 2020. S’il le désire, le gou‐ vernement Legault a d’ailleurs la liberté d’imposer des conditions pour l’obten‐ tion de ce certificat.
Des étudiants profi‐ tables pour les écoles
Ce qui est problématique, c’est qu’on utilise le système d’immigration à mauvais es‐ cient, estime l’avocate québé‐ coise Krishna Gagné.
À ses yeux, le permis d’études est parfois devenu un sésame permettant de mettre les pieds au Canada. Pour demander l’asile, la per‐ sonne doit trouver une façon d'arriver au Canada. Si elle réussit à obtenir une lettre d’admission [d’un établisse‐ ment], ça peut être une voie qui peut même être plus fai‐ sable que le visa de touriste, ajoute-t-elle.
Des établissements ont été utilisés comme porte d’entrée au Canada, soit pour demander l’asile, soit pour trouver un travail.
Krishna Gagné, avocate en immigration
Cette situation serait néanmoins profitable pour certaines institutions pu‐ bliques et privées qui ferme‐ raient les yeux sur ces strata‐ gèmes, croit l’avocat en immi‐ gration Richard Kurland.
Chaque étudiant paye des milliers de dollars à l’école pour venir étudier au Ca‐ nada. Pour les écoles, ce sont des sommes très impor‐ tantes. À cause de ça, il y a tout un commerce hors du Canada et ça se passe à l’ex‐
térieur de nos lois, avance l’avocat de Vancouver, qui ré‐ clame davantage de vérifica‐ tions de la part des autorités gouvernementales.
En déboursant ces mon‐ tants et ces frais d’inscription parfois élevés, un étudiant obtient ainsi une quasi-ga‐ rantie d’arriver légalement au Canada, résume-t-il.
Il faut motiver les écoles à bien surveiller leurs étu‐ diants et à bien sélectionner des personnes qui vont ter‐ miner leurs études avec suc‐ cès au Canada.
Richard Kurland, avocat en immigration
Il faut contrôler le nombre de permis accordés à chaque école, propose-t-il. Si on voit que beaucoup d’étudiants étrangers ne viennent pas dans une école spécifique, l’année suivante, le gouver‐ nement doit réduire le nombre de permis.
Ottawa assure de son côté avoir conscience de ces enjeux. Il faut resserrer les tours, admet le ministre fé‐ déral de l’Immigration, Marc Miller, dans une récente en‐ trevue accordée à Radio-Ca‐ nada.
Ce dernier, tout en jetant le blâme sur des collèges pri‐ vés ontariens, n’hésite pas à critiquer également le laxisme de certaines universi‐ tés.
Des institutions publiques ne sont pas exemptes de cri‐ tiques.
Marc Miller, ministre fédé‐ ral de l’Immigration
On a ce phénomène de gens ici pour d'autres rai‐ sons, avec des visas étu‐ diants, et qui demandent par la suite l'asile. C'est un pro‐ blème, confie le ministre Mil‐ ler.
De nouvelles règles im‐ posées par Ottawa
Au cours des dernières se‐ maines, le gouvernement fé‐ déral a d’ailleurs instauré de nouvelles règles entourant l’arrivée des étudiants étran‐ gers au Canada. Un plafond temporaire de deux ans a même été mis en place et une hausse des exigences fi‐ nancières a été décrétée.
Pour rendre également ces stratagèmes liés aux per‐ mis d’études moins at‐ trayants, Ottawa a également décidé, dès septembre pro‐ chain, de limiter à 24 le nombre d’heures de travail permises, chaque semaine, pour ces étudiants.
Avant la pandémie, ce maximum était fixé à 20 heures, mais le gouverne‐ ment avait levé ce plafond en 2022 pour contrer le manque de main-d'oeuvre.
Avec la collaboration de Louis Blouin